Droit civil des personnes et de la famille
- Fabien Marchadier
Professeur de Droit privé et sciences criminelles
Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers (Institut Jean Carbonnier)
La présente chronique couvre la période allant de décembre 2022 à mai 2023. Aucune difficulté juridique inédite ne se présente. Il est question de garantie de conformité (Chambéry, 5 janvier 2023, n° 21/00483), de la preuve de la propriété (Cour d’appel de Bordeaux, 1ère Ch. civ., 2 mars 2023, n° 20/02157 et Cour d'appel de Caen, 3ème ch. civ., 13 avril 2023, n° 22/00819), du partage de l’animal en cas de séparation d’un couple uni par un pacte civil de solidarité (Cour d'appel de Caen, 3ème ch. civ., 13 avril 2023, n° 22/00819) et du statut des dépenses d’entretien de l’animal dans un contexte de surendettement (Cour d'appel d'Amiens, 1ère ch. civ., 10 janvier 2023, n° 22/00267). Un semestre de continuité plutôt que de rupture. La garantie de conformité mise à part, la considération pour l’animal en tant qu’être vivant et sensible reste faible. L’application du droit des biens n’empêche pas la protection de l’animal ni l’élaboration de solutions adaptées à sa singularité. Toutefois, agissant symboliquement sur les représentations sociales et juridiques de l’animal, elle freine son extraction de la catégorie des biens.
I. La relation homme/animal
1. La revendication de l’animal (Cour d’appel de Bordeaux, 1ère Ch. civ., 2 mars 2023, n° 20/02157)
Mots-clés : art. 515-14. – être sensible. – être vivant. – meuble. – propriété de l’animal. – preuve. – concubins (séparation). – art. 2276 du Code civil. – art. 212-9 du Code rural et de la pêche maritime. – cheval
Le célèbre arrêt Lunus (Cass., civ. 1ère, 16 janvier 1962, Sirey 1962. 281 note C.-I. Foulon-Piganiol, Dalloz 1962. 199 note R. Rodière, JCP 1962.II.12557 note P. Esmein, RTDC 1962. 316 obs. A. Tunc) a bouleversé l’analyse juridique de la relation entre l’animal et les êtres humains. Présentant une dimension affective et subjective, donnant lieu, en cas d’atteinte, à l’allocation de dommages et intérêts, elle souligne la spécificité de l’animal. Il n’est pas une simple chose appropriée. Il est un être vivant doué de sensibilité. Cependant, cette relation singulière n’a pas remplacé le rapport de propriété. L’animal est tout à la fois un sujet d’affection et un objet de propriété. Malgré sa lettre et sa structure, l’article 515-14 du Code civil n’efface pas cette dualité. En réservant à titre résiduel l’application du régime des biens aux animaux, il maintient les habitudes de pensée. En outre, les lois visant spécifiquement les animaux ne sont pas nécessairement des lois protectrices. Du moins, la finalité protectrice manque d’évidence. Certaines d’entre elles s’inscrivent clairement dans une logique réificatrice héritée du passé. En atteste cette décision de la Cour d’appel de Bordeaux relative, une nouvelle fois, à la preuve de la propriété de l’animal. Les magistrats se contentent d’énoncer les règles de droit applicable pour départager les prétentions concurrentes de deux ex-concubins concernant la propriété de 5 chevaux. La présentation est neutre. Les textes s’enchaînent sans que leur articulation ni leur portée quant à la nature juridique de l’animal ne soient précisées (comp. Cour d'appel de Colmar, Chambre 3 A, 19 septembre 2022, n° 21/01304 et Cour d'appel de Nancy, Première Présidence, 6 octobre 2022, n° 22/01656, RSDA 2022/2 p. 30 obs. F. M. ; Cour d'appel, Nîmes, 1re chambre civile, 4 Février 2021 – n° 19/01368, Cette Revue 2021/1. 33 obs. F. M.). Sont cités, dans l’ordre, l’article 515-14 du Code civil, l’article 2276 du Code civil et l’article L212-9 du Code rural et de la pêche maritime. Ce dernier impose aux propriétaires d’équidés et de camélidés une obligation d’identification. La traçabilité des animaux poursuit avant tout un objectif sanitaire, notamment en cas d’épidémie. Elle participe également, de manière préventive, à la lutte contre le vol et les trafics. Elle a pour objet la santé humaine et les intérêts des propriétaires. La protection de l’animal est assez lointaine et la Cour d’appel n’a pas cherché à donner à ce texte une telle finalité. Au contraire, elle articule ce texte propre aux équidés et aux camélidés et le droit des biens. L’immatriculation et le certificat émis en conséquence ne sont pas rapprochés d’une sorte d’état civil animalier, mais des règles relatives à la propriété et plus particulièrement à sa preuve. La Cour précise que le certificat n’est pas un titre de propriété (rappr. Cour d'appel de Caen, 3ème ch. civ., 13 avril 2023, n° 22/00819, précisant également, à propos de la propriété d’un chien que se disputaient deux partenaires après leur séparation, que, à l’instar des biens, la preuve de la propriété des animaux est libre, « les différents certificats d'identification ou d'immatriculation de l'animal ne sont pas déterminants en la matière et constituent simplement des éléments qui, corroborés par d'autres, peuvent emporter la conviction du juge sur la question de la propriété de l'animal »).
Il ne constitue qu’une présomption simple du droit de propriété, susceptible d'être renversée par des éléments factuels contraires, en particulier par une possession utile (art. 2276 du Code civil). En l’espèce, l’ex-concubin a échoué dans cette tâche pour quatre des cinq chevaux au cœur du litige. Quant au cinquième cheval, son ex-concubine n’en revendiquait pas la propriété. L’ancrage de l’animal dans le droit des biens reste encore profond et l’hypothèse d’une propriété animalière peine encore à se concrétiser (rappr. F.M., « La propriété animalière en quête de spécificité », note sous Nîmes, ch. civ. 2A, 27 octobre 2011, n° 10/03389 ; Poitiers, ch. civ. 4, 26 octobre 2011, n° 10/03536, RSDA 2011/2 p. 40).
2. L’indemnisation du handicap tout au long de la vie de l’animal (Chambéry, 5 janvier 2023, n° 21/00483)
Mots-clés : garantie de conformité. - animal de compagnie. – chien (berger allemand). - êtres vivants, uniques et irremplaçables. - remplacement (non). – compensation du handicap (oui)
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Chambéry est une nouvelle confirmation (déjà en ce sens, Cour d'appel, Toulouse, 1re chambre, 1re section, 15 Juin 2020 – n° 18/02947, RSDA 2020/2 p. 32 obs. F. M. ; Lyon, 6e chambre, 20 décembre 2018, n° 17/08023, Rennes, 2e chambre, 12 octobre 2018, n° 15/06334 et Cass. civ. 1ère, 12 Septembre 2018, n° 16-29.064, RSDA 2018/2 p. 27 obs. F. M.) de la célèbre jurisprudence Delgado (Cass. civ. 1ère, 9 déc. 2015, n° 14- 25910, cette revue 1/2015. 55 obs. K. Garcia et 2/2015. 35 obs. F. M., Dalloz 2016. 360 note S. Desmoulin-Canselier, CCC 2016/2 comm. 53 obs. S. Berhneim-Desvaux, JCP G 2016 doctr. 173 ét. G. Paisant). Affirmer l’individualité de l’animal est riche de potentialités. Pour l’heure cependant, elles restent confinées à la garantie de conformité du Code de la consommation. Et, dans cette mesure, elles pourraient bientôt ne plus connaître d’application pratique. L’ordonnance n° 2021/1247 du 29 septembre 2021 a prévu qu’à partir du 1er janvier 2022, les ventes d’animaux domestiques ne relèvent plus de la garantie de conformité (art. L217-2 du Code de la consommation), mais seulement de la garantie des vices rédhibitoires du Code rural sauf pour les parties à réserver contractuellement le jeu de la garantie des vices cachés.
Pour les ventes antérieures à cette date, l’animal est encore un être unique et irremplaçable, auquel son maître s’est attaché. En conséquence, et contre la lettre du Code de la consommation, l’acquéreur peut refuser le remplacement proposé par la vendeur, alors même que le coût de la réparation (comprendre, les frais vétérinaires) serait bien supérieur au prix d’achat de l’animal (en l’occurrence, le prix de vente de la chienne Isis s’élevait à 700 euros et l’acquéreur réclamait au vendeur professionnel une somme de plus de 6000 euros au titre des dépenses de santé actuelles, des frais futurs et du préjudice moral). La Cour d’appel de Chambéry n’affirme pas explicitement que ce choix est discrétionnaire et exclusif de la faute. Il ne saurait cependant lui faire grief et amputer son droit à réparation. Celui-ci présente à la fois une dimension morale et matérielle. Le préjudice moral découle de la cohabitation avec un animal souffrant d'un handicap ayant un retentissement sur son confort de vie. Ce préjudice moral est-il autre chose qu’un préjudice réfléchi ? N’implique-t-il pas nécessairement d’admettre que l’animal est une victime directe ? Une réponse positive soulèverait deux difficultés majeures. D’une part, l’animal peut-il être une victime et souffrir un préjudice sans être une personne ? D’autre part, ce préjudice consiste, en l’espèce, en une malformation qui s’est développée avec la croissance de l’animal et qui existait dès la naissance. Le préjudice est, du point de vue de l’animal (en supposant, une fois encore, qu’un animal puisse être victime d’un préjudice réparable), d’être né handicapé. L’indemnisation du préjudice de vie, balayée par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 au profit d’une prise en charge du handicap par la solidarité nationale, serait admise pour les animaux de compagnie (à ceci près qu’elle ne pèserait pas sur le corps médical, mais sur le vendeur professionnel) ! Quant au préjudice matériel, il correspond aux frais médicaux qui dépassent ceux normalement prévisibles pour un chien en bonne santé et qui seront exposés pendant tout au long de la vie de l'animal. Rappelant, dans une certaine mesure, la jurisprudence Quarez (Cons. d’État, 14 février 1997, n° 133238), cette solution conduit les magistrats à calculer le montant de la réparation à partir des frais médicaux d’ores et déjà engagés à raison du handicap (360 euros annuel) et de l’espérance de vie de l’animal (11 ans). Au total, l’acquéreur obtiendra plus de 7000 euros (800 euros au titre du préjudice moral, 764,12 euros au titre des dépenses de santé actuelles et 5.603,51 euros au titre des frais futurs).
3. Les charges liées aux animaux ne sont pas des dépenses nécessaires au sens du droit du surendettement (Cour d'appel d'Amiens, 1ère Ch. civ., 10 janvier 2023, n° 22/00267 ; Cour d'appel de Lyon, 6ème Ch., 27 avril 2023, n° 22/03127)
Mots clés. – Surendettement. – détermination du montant des remboursements. – dépenses nécessaires. – entretien des animaux
Le droit du surendettement ne laisse a priori aucune place à la relation avec les animaux de compagnie. Pour déterminer la capacité de remboursement du débiteur, l’article L731-2 du Code de la consommation réserve « la part des ressources nécessaire aux dépenses courantes du ménage » qui « intègre le montant des dépenses de logement, d'électricité, de gaz, de chauffage, d'eau, de nourriture et de scolarité, de garde et de déplacements professionnels ainsi que les frais de santé ». Les dépenses liées à l’entretien des animaux de compagnie sont absentes. Leur nécessité, refusée par le droit du surendettement, ne fait pourtant aucun doute. Elles découlent du droit de détenir un animal, affirmé par l’article L 214-2 du Code rural et de la pêche maritime. Le propriétaire qui négligerait l’alimentation de son animal et sa santé s’expose à des sanctions pénales (délit d’abandon puni par l’article 521- 1 du Code pénal). La Cour d’appel d’Amiens (1ère Ch. civ., 10 janvier 2023, n° 22/00267) a pourtant exclu les frais de mutuelles des animaux des charges pour calculer la capacité de remboursement d’un débiteur au motif qu’elles ne sont pas « des dépenses nécessaires ». D’éventuels frais vétérinaires pourraient alors accroître un peu plus le passif ou contraindre les débiteurs à se séparer de leurs animaux. Dans un cas comme dans l’autre, la solution adoptée est peu rationnelle quoique parfaitement fondée. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon (6ème Ch., 27 avril 2023, n° 22/03127) va dans le même sens. Les dépenses d’entretien des animaux sont dépourvues d’impérativité, énonce péremptoirement la Cour sans fournir aucune explication.
Les magistrats ne sont pas toujours aussi définitifs. La matière appelle des réponses plus nuancées, compte tenu de la nature des dépenses et de leur montant. Un arrêt de la Cour d’appel de Versailles avait ainsi considéré que le premier juge comme la commission de surendettement avaient, « à juste titre » intégré, pour le calcul des charges, « les frais supplémentaires (…) de soins vétérinaires que doit exposer régulièrement la débitrice » (Versailles, ch. 16, 14 octobre 2010, n° 10/02591, RSDA 2010/2 p. 55 obs. F. M.). Les dépenses somptuaires sont certainement inutiles (compléments alimentaires, friandises, pull en laine Gucci …). Cependant, sauf à neutraliser le droit de détenir un animal, les frais de nourriture et de santé mériteraient de rejoindre la catégorie des dépenses nécessaires.
II. L’animal dans la famille
4. Le partage du chien indivis entre les anciens partenaires (Cour d'appel de Caen, 3ème ch. civ., 13 avril 2023, n° 22/00819)
Mots-clés : art. 515-14. – indivision. – licitation. – intérêt de l’animal. – chien
La question de la propriété de l’animal dans un contexte de séparation était une nouvelle fois posée et les magistrats caennais y ont répondu en suivant le même raisonnement que la Cour d’appel de Bordeaux (v. supra n° 1). Faute de lois protégeant l’animal, les lois relatives aux biens s’appliquent, soit, en l’occurrence, l’article 2276 du Code civil et l’article 515-5 du même Code. Dans la mesure où aucun des ex-partenaires ne parvenait à établir sa propriété sur le chien Nabilla (cf. supra n° 1), celui-ci relevait du régime de l’indivision. L’incongruité d’une telle qualification apparaît de manière éclatante dès lors qu’est réclamé le partage. En 2012, à une époque où seul l’article L214-1 du Code rural et de la pêche maritime affirmait la singularité de l’animal, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait rendu une solution originale reprenant en substance la solution retenue par le législateur suisse en pareille hypothèse (Aix-en-Provence, ch. 11 A, 13 janvier 2012, n° 2012/31, époux Claudot c/ Josiane Le Gales, RSDA 2012/1 p. 55 obs. F.M.). La Cour d’appel de Caen reproduit cette solution originale en s’appuyant sur l’article 515-14 du Code civil. L’attribution à l’un des indivisaires est la seule issue envisageable, « le chien n’étant pas naturellement partageable », soulignent les magistrats caenais. À cette fin, l’intérêt propre de l’animal est le seul guide. L’article 651, a du Code civil suisse précise ainsi que, pour départager les demandes concurrentes, le juge se décide « en vertu des critères appliqués en matière de protection des animaux ». En l’espèce, l’attribution Mme S., alors même que le chien était en possession de son ex- partenaire, se fonde sur trois éléments. D’une part, le chien avait toujours vécu depuis son adoption dans l'habitation occupée par Mme S. D’autre part, il était habitué à y vivre avec Nikita, l'autre chien de Mme S. Enfin, il n'est pas démontré que Mme S. ne lui apporterait pas les soins nécessaires à son bien-être (ce sont des considérations similaires qui avaient fondé la décision de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence précitée de 2012). Même s’il n’est pas explicitement nommé, l’intérêt de l’animal est au cœur d’une telle motivation. D’un point de vue théorique, il est en parfaite adéquation avec l’article 515-14 du Code civil. D’un point de vue pratique, il est plus expédient qu’une hiérarchisation des liens d’affection qui résulterait d’une quantification hasardeuse des sentiments réciproques entre l’animal convoité et chacune des parties revendiquant l’exclusivité de sa compagnie. Cependant, si le chien n’est pas naturellement partageable en tant qu’être vivant, les liens d’affection sont-ils nécessairement indivisibles ? Le partage des sentiments aurait permis d’envisager le maintien des liens avec chacun des ex-partenaires (mais ce n’est pas ce qui était demandé et le juge n’avait certainement pas à envisager d’office cette éventualité).
L’ex-partenaire, privé de la compagnie de l’animal, aurait pu normalement solliciter le versement d’une soulte dont le montant aurait pu tenir compte non seulement de la valeur vénale du chien, mais encore et surtout (en l’espèce, s’agissant d’un chien abandonné, recueilli puis adopté, cette valeur devait être proche de zéro … au demeurant, pour un être vivant doué de sensibilité, la non-patrimonialité ne devrait-elle pas être la règle ?) la valeur affective. La Cour d’appel de Caen est cependant restée muette sur cet aspect de la difficulté, envisagé tant par le droit suisse que par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (arrêt préc.).