Revue des publications
- Yoel Kirszenblat
Docteur à l’université Aix-Marseille
« Il envoya le corbeau, et il partit, allant et venant jusqu’à ce que les eaux aient séché de dessus la terre. Il envoya la colombe d’auprès de lui pour voir si les eaux avaient décru de la surface du sol. Mais la colombe ne trouva pas d’endroit où poser la plante de son pied et elle revint vers lui, vers l’arche, car l’eau était sur la surface de toute la terre. Il étendit sa main, la prit et l’amena à moi vers l’arche. Il attendit encore sept autres jours et envoyé à nouveau la colombe de l’arche.
La colombe revint vers lui le soir – et voici, elle avait saisi dans son bec une feuille d’olivier ! Et Noé sut que les eaux avaient baissé de sur la terre. Il attendit encore sept autres jours et renvoya la colombe, et elle ne revint plus vers lui ».
Genèse, ch. 8 : 7
La belle et la bête : et si le pigeon nous confrontait à nos propres incohérences ?
La colombe, la belle, est admirée pour sa beauté et ses symboles. A contrario le pigeon, la bête, est rejeté, considéré comme un « nuisible », un vecteur de maladies. Et pourtant, la colombe n’existe pas en tant que telle, puisqu’il s’agit d’une tourterelle ou d’un pigeon bizet mais blanc. Pourtant, comment un même animal peut-il à la fois susciter le rejet et le désir, représenter la saleté ou la paix, être néfaste ou protégé ?
Le pigeon, « gris » ou « blanc », subit des discriminations principalement fondées sur son physique et des idées reçues. Du reste, le droit encourage ces différences et ancre dans les mœurs une forme de spécisme.
C’est sous ce mouvement notamment qu’il sera proposé de présenter l’actualité bibliographique des derniers mois.
La colombe, de par son mythe et sa couleur blanc immaculé, représente un symbole d’espoir, de pureté de paix, d’amour et de fidélité, de liberté ou encore de baptême.
Cette légende prend notamment racine dans la Genèse où Noé envoya à trois reprises une colombe afin de vérifier si le déluge recouvrait encore la surface de la terre et ainsi évaluer le retrait des eaux sur terre. D’une manière indirecte, la colombe sauva l’humanité et devint un symbole d’espoir et de paix entre Dieu et l’humanité (D. LUCIANI, Des animaux, des hommes et des dieux. Parcours dans la Bible hébraïque, Presses Universitaires de Louvain, 2020).
Cette représentation de la paix se retrouve aussi lors de la symbolique de la Trêve olympique, où des colombes sont libérées. Le comité olympique, dans un feuillet d’information, déclarait que :
« (…) dans un monde déchiré par les guerres et la violence, la colombe de la paix représente l’un des idéaux et des défis du CIO : construire un monde pacifique et meilleur grâce au sport. La flamme olympique apporte à tous les peuples de la terre la chaleur de l’amitié par le partage et la camaraderie. Dans le symbole, la flamme se compose d’éléments colorés effervescents – évoquant la liesse éprouvée lors de la célébration de l’esprit humain. Ces éléments symbolisent le rassemblement des peuples, sans distinction de race, pour le respect de la Trêve »1.
Le pigeon, quant à lui, endosse d’autres représentations bien moins flatteuses : celui d’un oiseau au corps dodu, cosmopolite, bruyant, sale et vecteur de maladies, relayant par ailleurs au second plan son rôle historique de messager – pour lequel certains d’entre eux furent décorés –, ou d’animal de chair et d’ornementation (Y. KIRSZENBLAT, L’animal en droit public, Thèse : Droit : Université d’Aix-Marseille, 2018).
Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, les deux animaux sont identiques si bien que l’espèce de « colombe » n’existe pas car il s’agit simplement d’une tourterelle ou d’un pigeon biset blanc.
Cet exemple de dissonance cognitive nous confronte à nos perceptions vis-à-vis des animaux, où, sans réelles raisons, certains sont caressés et d’autres consommés. Ce paradoxe, qui ne trouve pas de fondement rationnel, constitue une discrimination fortement ancrée dans le subconscient (C. KERBRAT-ORECCHIONI, « Ce ne sont que des animaux » : le spécisme en question, Pommier, 2023 ; v. ég. C. PELLUCHON, Manifeste animaliste : politiser la cause animale, Rivages, 2021).
Le droit s’inscrit également dans ce sillage et de nombreuses règlementations retranscrivent un spécisme sociétal, comme le démontre l’article 120 du Règlement Sanitaire Départemental Type :
« Il est interdit de jeter ou de déposer des graines ou nourriture, en tous lieux ou établissements publics, susceptibles d'attirer les animaux errants, sauvages ou redevenus tels, notamment les chats ou les pigeons ; la même interdiction est applicable aux voies privées, cours ou autres parties d'un immeuble ou d'un établissement lorsque cette pratique risque de constituer une gêne pour le voisinage ou d'attirer les rongeurs.
Toutes mesures doivent être prises pour empêcher que la pullulation de ces animaux soit une cause de nuisance et un risque de contamination de l'homme par une maladie transmissible ainsi que de propagation d'épidémie chez les animaux ».
Établir un lien entre les nuisances et les pigeons est pourtant à contre-courant des dernières mœurs en termes de bien-être animal où, par exemple, la notion de « nuisible » a progressivement disparu du vocable juridique pour être remplacée par « espèce susceptible d’occasionner des dégâts » (ESOD).
En effet, les mœurs évoluent et se pose de plus en plus la question de « comment devons-nous traiter les animaux ? » (St. COOKE, What are animal rights for ?, Bristol University Press, 2023 ; C. HESS HALPEM, Les droits des animaux : législation, éthique, évolutions, perspectives, Artemis, 2023 ; R. WACKS, Animal lives matter : the quest for justice and rights, Routledge India, 2024 ; K. C. MOORE, The case for the legal protection of animals : Humanity’s shared destiny with the animal kingdom, Palgrave Macmillan, 2023 ; J. KOTZMANN, The legal recognition of animal sentience : principles, approaches and applications, Hart Publishing, 2024 ; v. ég. J. LEBORNE, La protection pénale de l’animal, Thèse : Droit : Toulon, 2023 ; Ch. RENAUD, La protection pénale de l'animal : entre anthropocentrisme et reconnaissance d'une valeur intrinsèque animalière ; étude comparée des systèmes français et canadien, Mémoire : Droit : Université de Laval et Toulouse, 2023 ; A. BONNET, La protection des animaux et le droit de l’environnement, L’Harmattan, 2023 ; A. PADILLA VILLARRAGA, Derecho sintiente: Los animales no humanos en el derecho latinoamericano (Derecho y Sociedad), Siglo del Hombre Editores, 2022 ; R. N FASSE, S. C BUTLER, Animal rights law, Hart Publishing, 2023 ; I OFFOR, Global animal law from the margins, Routledge, 2023). Cette préoccupation s’inscrit jusqu’à la norme suprême dans de nombreux pays et la Belgique devrait être le prochain pays à constitutionnaliser l’animal, en les reconnaissant comme des êtres sensibles (v. par ex. O. LE BOT, Droit constitutionnel de l’animal, Publication indépendante, 2023).
Néanmoins, cette constitutionnalisation de l’animal est, sauf exception, souvent imparfaite et ne constitue qu’un objectif d’État et non pas un droit invocable directement par les justiciables, ce qui aurait pourtant plus de portée (V. par ex. Y. KIRSZENBLAT, « La sensibilité de l’animal en droit constitutionnel comparé », in R. BISMUTH, F. MARCHADIER, Sensibilité animale : perspectives juridiques, CNRS, 2015).
En parallèle, d’autres initiatives se mettent en place, comme la reconnaissance de la personnalité juridique de l’animal (S. MAREK MULLER, Impersonating animals : rhetoric, ecofemnism, and animal rights law, Michigan State Univeristy Press, 2020 ; C. REGAD, C. RIOT, La personnalité juridique de l’animal, Mare Martin, 2023). Récemment, les requins et les tortues marines sont désormais qualifiées « d’entités naturelles sujets de droit » dans les Iles Loyautés (Nouvelle-Calédonie) et ces dispositions ont été insérées dans le Code de l’environnement de cette province (C. REGAD, « Les avancées de la personnalité juridique de l’animal dans les Iles Loyautés (Nouvelle-Calédonie, France) », PEERS Press, 2023 ; C. REGAD, « La personnalité juridique des fleuves, reflet de la progression du droit du vivant », JCP G Semaine Juridique, n°19, 2023).
Autre évènement majeur, le 22 décembre 2021, le Tribunal de première instance en matière d’infractions pénales de la Cité de Buenos Aires (n° IPP 246466/2021-0), a reconnu qu’un Hurleur noir (Auloatta Caraya) était un sujet de droit non humain et qu’à ce titre il disposait de droits et libertés fondamentales (C. REGAD, C. RIOT, « Sandra, Cécilia et maintenant Coco, des affaires judiciaires qui révèlent les avancées de la personnalité juridique de l’animal en Argentine - Note sur la décision du 22 décembre 2021 du Tribunal de première instance en matière d’infractions pénales de la Cité de Buenos Aires (n° IPP 246466/2021-0) », PEERS Press, 2023). Cette nouvelle jurisprudence, dans la mouvance de celles de Sandra et Cécilia, laisse l’espoir qu’un jour une personnalité juridique universelle de l’animal existera et que ce dernier disparaitra progressivement de la catégorie juridique des biens meubles et immeubles.
L’exemple de la colombe et du pigeon souligne d’une part la contradiction entre droit et biologie, et d’autre part la nécessité de ne pas enfermer les animaux dans des catégoriques juridiques déconnectées de la biologie (G. DUCKLER, Juris zoology : a dissection of animals as legal objects, Lexington books, 2022 ; E. HUCHARD, « La frontière entre humains et autres espèces redessinée par les sciences comportementales », Communications, 2022, vol. 110).
L’humanité gagnerait à apprendre de cette histoire où, qu’il s’agisse d’un pigeon « gris » ou d’un pigeon « blanc », ils sont identiques, disposent des mêmes vertus et de la même beauté. Et comme le disait Saint-Exupéry, « on ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux »2.
- 1 Comité international olympique, décembre 2015 : https://stillmed.olympic.org/Documents/Reference_documents_Factsheets/La_Treve_olympique.pdf
- 2 A. de SAINT-EXUPERY, Le Petit prince, Gallimard, 1999, p. 76.