Repérage des situations de violences incluant les animaux par les personnels de l’Éducation nationale
- Marie-Laure Laprade
Professeur des écoles
Education nationale
Le temps quotidien passé par les enfants et adolescents dans leur établissement fait de l’école un lieu privilégié d'observation, de repérage, d'évaluation des difficultés diverses des élèves mais aussi du recueil de la parole de l'enfant.
Il n’est ainsi pas rare dans le cadre scolaire que des enfants témoins de violences sur un animal dans le cercle familial interpellent leur enseignant. Des paroles qui manifestent une incompréhension, un questionnement sur des événements sans doute ressentis comme inappropriés voire traumatisants.
Selon les statistiques, les enseignants sont les plus pourvoyeurs, notamment dans le premier degré, des informations préoccupantes et des signalements au sujet d’enfants possiblement en danger. Ceci s’explique par l’observation longue et régulière des enfants par leur enseignant unique et ce dans diverses situations, classe, récréation, sport et sorties scolaires. Les enseignants sont formés à repérer des signes de mal-être et ils sont conscients que l’insécurité psycho-affective n’est pas propice aux apprentissages.
Nous rappellerons dans cet article le cadre légal du signalement d’enfants en danger dans l’Education nationale et les outils à la disposition des enseignants. Nous aborderons aussi les freins rencontrés par ces enseignants aux différentes étapes du protocole de signalement de situations de possibles mises en danger des enfants et adolescents. Nous préciserons la place des violences sur les animaux dans les signes d’alerte pour l’enseignant. Enfin, nous envisagerons des pistes d’amélioration pour une meilleure prise en compte des actes de maltraitances sur l’animal du foyer comme signal faible d’autres violences intrafamiliales.
I. Cadre de référence pour le signalement d’enfants en danger ou en risque de danger à l’Education nationale
A. Rôle de l’Éducation nationale dans la protection de l’enfance
La protection de l’enfance est encadrée par la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007.
Si la loi oblige chaque citoyen à agir lorsqu’il a connaissance de la situation d’un enfant en danger ou en risque de l’être, elle s’impose avec d’autant plus de force pour les fonctionnaires de l’Education nationale en application de l’article 40 du code de procédure pénale1.
Tout fonctionnaire qui a la connaissance d’un crime ou d’un délit dans l’exercice de ses fonctions « est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République ».
L’Éducation nationale contribue à la protection de l’enfance en danger en menant des actions de formation auprès de ses personnels et de prévention auprès des élèves. Elle contribue aussi en signalant les situations des enfants en danger ou susceptibles de l’être aux autorités compétentes.
B. Définition de l’enfant en danger (ou en risque de danger)
Selon la définition de la direction de l'information légale et administrative :
- L'enfant en risque de danger est celui qui connaît des conditions d'existence pouvant mettre en danger sa santé ou son développement physique, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou développement intellectuel, son entretien, son développement affectif ou social mais qui n'est pas pour autant maltraité.
- L’enfant en danger est celui dont la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger, ou dont les conditions d’éducation sont gravement compromises.
II. Prise en compte des violences faites aux animaux pour dénoncer la situation d'enfants en danger
Des enfants ou adolescents témoins ou auteurs de faits de violences sur les animaux dans le cadre familial peuvent relever des critères de l’enfant en danger à plusieurs titres : mise en danger de la moralité et du développement affectif notamment.
Notons que des violences psychologiques (humiliation, chantage affectif fort, manifestation de rejet et/ou de mépris, dévalorisation systématique, exigences éducatives excessives ou disproportionnées par rapport à l’âge et aux capacités de l’enfant, isolement forcé, observation de violences…) sont des maltraitances certes plus difficiles à mettre en évidence que les sévices corporels mais dont le retentissement sur le développement psychoaffectif de l’enfant peut être aussi sévère.
De nombreuses études démontrent d’une part que la violence envers les animaux du foyer est un prédicteur fort que l'agresseur peut infliger des violences aux personnes, conjoints et enfants, même s’il ne faut pas supposer que c'est toujours le cas.
Les enfants et les adolescents, en particulier ceux qui sont vulnérables, tirent des avantages significatifs pour leur développement de la présence d'un animal de compagnie à leurs côtés. Des études ont montré que pour les enfants qui subissent fréquemment des traumatismes, leurs animaux de compagnie deviennent leurs confidents, leurs consolateurs. Ils leur procurent réconfort, sentiment de sécurité et les soulagent du stress.
Mais ces animaux qu’ils chérissent peuvent être utilisés comme moyen d'intimidation, de chantage et de représailles pour maintenir le contrôle et le pouvoir de l'agresseur sur l’enfant.
L’atteinte à cet animal est d’autant plus dommageable pour l’enfant qui en est témoin sans oublier bien sûr la victime animale.
De nombreux enfants et adultes peuvent être exposés à des formes directes de maltraitance ou subir les effets de la maltraitance en tant que témoins de violences familiales impliquant un animal de compagnie.
L’exposition à ces violences lors de l’enfance et la présence de comportements violents à l’âge adulte sont corrélées.
Ainsi, les enfants qui sont fréquemment exposés à des formes graves de violence familiale sont plus susceptibles de maltraiter souvent les animaux, tout comme les enfants qui sont régulièrement exposés à la maltraitance des animaux.
Les formes directes et indirectes d'abus ont de profondes répercussions à court et à long terme sur le développement de l'enfant et de l’adolescent.
Dans notre pratique d’enseignants, nous observons que les enfants évoquent difficilement la violence sur des personnes au sein de la famille. Mais ils sont plus disposés à parler de la maltraitance de leurs animaux de compagnie. Une attention particulière portée à ces paroles permettrait aux professionnels de mieux juger quand les enfants sont en risque.
Sur un autre plan, la maltraitance extraordinaire d'animaux par des enfants eux-mêmes peut précéder des actes plus violents de la part de ces individus à l'âge adulte envers des animaux ou de leurs pairs.
Dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 5) de 2013 la cruauté a d’ailleurs été retenue comme symptôme du trouble des conduites.
Il est donc important que les personnes qui observent ce genre de conduite chez des enfants puissent alerter les services compétents pour déclencher un suivi particulier de ces enfants.
Il est établi que la violence envers les animaux et la violence envers les personnes sont souvent des problèmes interconnectés. La plupart des enseignants pressentent ce lien entre les violences mais il y a méconnaissance des études sur ce sujet dans la sphère éducative.
Pourtant, comme nous l’avons vu, cette intuition est corroborée par de nombreuses études mais les paroles d’enfants et les observations restent dans le registre anecdotique. Elles ne sont pas des éléments déclencheurs d’une vigilance particulière et encore moins d’un protocole de signalement.
Or les violences perpétrées contre les animaux dans la sphère familiale dont sont témoins ou acteurs les enfants sont des signaux faibles annonciateurs d’une tendance ou d’un risque.
Si ces éléments précurseurs sont détectés à temps et interprétés justement, ils permettent d’anticiper des événements potentiellement graves et de les prévenir.
III. Protocoles de signalement
A. Les outils
La protection de l’enfance distingue deux « outils » : l’information préoccupante (IP) et le signalement.
Comme le dispose l’article L. 226-42 du Code de l’action sociale et des familles, toute personne travaillant dans un service public susceptible de connaître des situations de danger doit se saisir de ces outils s’il a connaissance d’une telle situation.
L’information préoccupante est définie comme étant « une information transmise à la cellule départementale mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-33 pour alerter le président du conseil départemental sur la situation d’un mineur en danger ou en risque de l’être ».
Depuis 2007, les CRIP (cellules de recueil des informations préoccupantes) recueillent les informations préoccupantes (art. 221-14 et 226-3 du Code de l’action sociale et des familles).
Le terme de signalement est réservé à la saisine de l’autorité judiciaire dans les cas où la gravité de la situation le justifie. Quand un enfant est gravement atteint dans son intégrité physique et psychique, qu’il est victime ou menacé de faits susceptibles de revêtir une qualification pénale et qu’il nécessite une protection immédiate, alors tout personnel de l’Éducation nationale peut aviser directement le procureur de la République. Dans ce cas, une copie de cette transmission est adressée au président du conseil départemental et à la DSDEN (Direction des services départementaux de l’Education nationale).
Le signalement et l’information préoccupante sont des écrits objectifs qui décrivent la situation d’un mineur en danger ou en risque de danger ou de suspicion de maltraitance nécessitant une mesure de protection administrative ou judiciaire.
S’il estime que des éléments sont préoccupants, l’enseignant, par exemple, en fait une description la plus précise possible.
Il doit aussi préciser le type d’information rapportée.
Il peut s’agir de faits directement observés tels que des traces, des comportements de l’enfant/adolescent et/ou de son entourage qui l’interpellent.
Il peut aussi s’agir de propos de l’enfant ou de ses parents entendus par l’enseignant ou rapportés par d’autres personnes (autres enfants, autres adultes de la famille ou de l’établissement où est scolarisé l’enfant) dont l’identité doit alors être indiquée.
L’enseignant renseigne le contexte et les circonstances dans lesquelles l’enfant a fait ses révélations.
La transmission d’information(s) préoccupante(s) ou le signalement doivent être sans censure, sans jugement, sans commentaire personnel, sans vérification, l’information préoccupante (IP) n’ayant « pas pour objet de déterminer la véracité des faits allégués » (art. 1er du décret n° 2016-1476 du 28 octobre 2016).
La transmission de l’information préoccupante doit être une réflexion partagée entre différents acteurs : enseignants, directeur d’école, chef d’établissement, assistant social, médecin scolaire, infirmier, psychologue scolaire, conseiller principal d’éducation (CPE), inspecteur de l’Éducation nationale (IEN) et inspecteur d’académie adjoint des services de l’Éducation nationale (IA-DASEN).
Dans chaque département, une conseillère technique du service social élèves est responsable du recueil de tous les signalements émanant de l’Éducation Nationale.
Sauf si cela est contraire à l’intérêt de l’enfant, notamment dans les situations de maltraitance, les titulaires de l’autorité parentale sont avisés par le président du conseil départemental de la réception d’une information préoccupante et de la mise en place d’une évaluation (art. D. 226-2-6 du Code de l’action sociale et des familles).
À partir d’une information « préoccupante », une rencontre est proposée aux parents et à leurs enfants partageant le même domicile.
Une évaluation de la situation familiale est alors engagée.
Cette évaluation est réalisée par une équipe pluridisciplinaire relevant des services départementaux de l’ASE, de la PMI, et de la cellule de recueil des informations préoccupantes ainsi que par les assistants du service social de l’Éducation nationale lorsque l’IP émane de l’école.
L’évaluation peut conclure à un classement sans suite, une mesure de protection ou une saisine de l’autorité judiciaire.
Dans les cas de signalement direct au Procureur de la République, l’information donnée aux familles revient au Parquet afin d’éviter que l’enfant subisse des pressions.
B. Le recueil de la parole de l’enfant ou de l’adolescent
Lorsqu’un enfant se confie à l’adulte, celui-ci recueille la parole de manière bienveillante et rassurante sans questions suggestives ni jugement. Néanmoins, il est judicieux de demander à l’enfant s’il a des frères et sœurs et comment cela se passe avec eux à la maison. Les paroles de l’enfant sont retranscrites mot à mot. C’est l’adulte dépositaire qui évalue dans un premier temps si les propos sont des signes d’alerte qu’il convient de rapporter.
Si de nombreuses études mettent en évidence les facteurs de risque de maltraitance, les violences faites aux animaux du foyer ne figurent pas sur les documents d’accompagnement pour la rédaction d’une information préoccupante. Leur évocation par l’enfant ne donne donc généralement pas lieu à une attention particulière alors que les études scientifiques montrent qu’elles sont réellement un signal faible d’autres violences au sein du foyer et qu’elles impactent les enfants qui en sont témoins et/ou qui s’interposent pour protéger l’animal auquel ils sont attachés. L’exposition à la violence régulière sur l’animal du foyer peut engendrer chez l’enfant une habituation à la violence. Il sera plus enclin à devenir violent à son tour sur les animaux voire sur ses pairs. L’exposition à la violence peut aussi créer un traumatisme chez l’enfant et perturber son développement psychoaffectif.
Les études montrent une corrélation entre l'exposition à la maltraitance animale dans un foyer violent et des actes de maltraitance animale commis par les enfants7, p. 469-480.">5 ainsi que des troubles affectifs et du comportement6.
Dans l’entretien préalable à l’IP, il n’est pas non plus envisagé de questionner l’enfant qui alerte de par sa propre situation ou son comportement sur la présence d’animaux dans son foyer ni sur les relations que l’enfant et les autres membres de la famille entretiennent avec eux. Les animaux sont totalement invisibilisés dans ces démarches de signalement.
Des violences sur les animaux révélées par un enfant doivent pourtant nous inciter à interroger la présence d’autres signes d’alerte afin qu’une démarche telle qu’une IP permette d’enclencher une analyse du contexte de vie de l’enfant.
L’évaluation globale réalisée par une équipe pluridisciplinaire à la suite d’une IP prend en compte de nombreux signes d’alerte dont l’exposition à une maltraitance. Cette maltraitance peut revêtir différentes formes de violences dont les violences psychologiques et l’exposition à la violence. Les violences faites aux animaux relèvent de ces deux catégories.
Cadre national de référence : Évaluation globale de la situation des enfants en danger ou risque de danger (has-sante.fr)
IV. Freins à se saisir de ces outils
A. Des difficultés d’ordre général
Les personnes de l’Education nationale en contact avec les enfants disposent donc d’outils pour alerter sur les possibles situations de violences intrafamiliales, information préoccupante et signalement.
Même si la situation a évolué du fait d’une sensibilisation régulière, quelques enseignants hésitent à rédiger ces documents. Le sentiment de manque de compétences pour recueillir la parole des enfants et la pertinence de la démarche au vu des éléments factuels les empêchent d’aller plus loin. C'est pourtant la personne choisie en confiance par l'enfant qui doit rédiger l’IP afin d’éviter toute transformation des propos de l’enfant et du contexte de leur recueil.
Dans le premier degré, les transmissions d'informations par les personnels enseignants peuvent être sources de difficultés pour les enseignants et contre-productifs au regard de la technicité à mobiliser dans le relationnel avec les parents car il faut veiller à maintenir la relation école-parents. Informer les responsables légaux d’un enfant que l’enseignant ou le directeur rédige une IP peut s’avérer compliqué. L’obligation légale de le faire est un argument à avancer mais qui ne convainc pas toujours les familles.
D’autres difficultés comme l’absence de suites et la minimisation des faits et de leur gravité sont rapportées par les enseignants. Ces expériences négatives n’incitent pas à déclarer les maltraitances sur les animaux aux autorités compétentes.
Des particularités locales sont également dénoncées lorsqu'un recteur, un DASEN, la conseillère technique du service social de l’académie, un chef d'établissement ou un inspecteur de l’Éducation nationale (IEN) ne se saisissent pas pleinement de l'enjeu.
Dans le document de recommandation de bonne pratique de la HAS sur l’évaluation globale de la situation des enfants en danger ou risque de danger qui s’adresse à tous les professionnels et institutions qui contribuent au recueil et au traitement des informations préoccupantes, il est constaté :
- une absence d’outils partagés au niveau national, une diversité des organisations et des pratiques en fonction des conseils départementaux et parfois au sein d’un même territoire (processus de traitement, professionnels mobilisés, modalités d’évaluation, etc.) ;
- un manque d’échanges sur les pratiques du côté des professionnels de terrain ;
- des difficultés à respecter les délais de traitement prévus par la loi.
B. Des difficultés propres aux maltraitances animales intrafamiliales
Le 17 mars 2023, s’est tenu à Paris un colloque sur le thème de la corrélation entre les violences sur les personnes vulnérables et les violences sur les animaux. Cet événement, organisé par une équipe scientifique pluridisciplinaire avait pour objectif de sensibiliser le grand public mais aussi les différents acteurs de la protection de l’enfance et des personnes vulnérables au sein d’un foyer.
Des témoignages de terrain, forces de l’ordre, associations de protection animale, vétérinaires, services sociaux, enseignants, associations de protection des femmes et des synthèses scientifiques, vétérinaires, psychologiques et juridiques ont alterné. Une trentaine d’intervenants ont apporté un éclairage global sur des situations souvent ignorées ou négligées.
Enseignants et psychologues scolaires ont manifesté leur impuissance à agir et leur frustration face à la non prise en compte par leur hiérarchie et les CRIP des maltraitances animales pourtant souvent concomitantes d’autres violences. Leurs témoignages montrent la nécessité de dénoncer ces violences pour les animaux eux-mêmes et afin de prévenir d’autres violences.
Certaines CRIP sont plus engagées dans la prise en compte des violences sur les animaux du foyer dans l’intérêt des personnes qui y vivent dont les enfants. Elles déclenchent plus volontiers une enquête complémentaire sur la famille par les services sociaux. Ces responsables de CRIP pointent néanmoins la complexité de la mise en œuvre de la nouvelle disposition prévue par la loi Maltraitance n° 1539-2021. L’article L. 221-17 du Code de l’action sociale, notamment, demande aux CRIP de mieux repérer les mineurs auteurs de violences sur les animaux et les mineurs exposés à des violences sur les animaux.
Confrontés à des paroles d’enfants rapportant des violences sur leurs animaux de compagnie, les enseignants doivent pouvoir faire remonter cette information. Mais la méconnaissance, d’une part, des études prouvant la corrélation entre les violences et, d’autre part, des textes de loi par les nombreux acteurs impliqués participe à l’immobilité sur ce sujet. Une information préoccupante lancée par un enseignant sur la base d’éléments de maltraitances animales est rejetée, taxée de confusion de situations incomparables, de parallèles déplacés, excessifs, et considéré comme non pertinente.
Pourtant les enfants parlent plus facilement des violences faites aux animaux de la famille que des violences sur les personnes. Il convient de ne pas négliger ces paroles, notamment à l’école.
Inclure les violences sur les animaux de la famille comme signaux d’alerte de violences intrafamiliales dans la liste des éléments déclencheurs d’une IP, s’avère nécessaire pour une prévention efficace.
V. Pour une prévention et une action plus efficaces
A. La formation (des personnels de l’EN)
Dans l'Education nationale, les formations initiale et continue des personnels, dans le domaine de la protection de l'enfance, sont mises en œuvre aux niveaux national, académique et départemental. Ces formations sont réglementées.
L'article L. 542-1 du Code de l'éducation8 prévoit notamment une formation partiellement commune aux différentes professions et l'article D. 542-1 du Code de l'éducation9 en prévoit les contenus.
La formation initiale est organisée par les INSPE, Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation. Le rôle des INSPE est fondamental pour donner aux personnels de l'Éducation nationale une culture commune et des notions juridiques et institutionnelles pertinentes sur le thème de la protection de l'enfance.
Au niveau académique, les recteurs impulsent les orientations nationales et définissent les plans académiques de formation continue. La formation continue a plus particulièrement pour objectifs la sensibilisation au repérage de signaux d'alerte, la connaissance du fonctionnement des dispositifs départementaux ainsi que l'acquisition de compétences pour protéger les enfants en danger ou susceptibles de l'être. Les conseillers techniques de service social de la DSDEN (Direction des services départementaux de l’Education nationale) apportent leur expertise dans ces formations.
C’est à cette formation qu’il convient d’intégrer une sensibilisation au lien entre les violences pour les personnels de l’Education nationale.
Le Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation10 établi par l'arrêté du 1er juillet 2013 relatif à la formation des enseignants (JO du 18-7-2013, BOEN n° 30 du 25-7-2013) engage les professeurs, documentalistes et conseillers principaux d'éducation à « identifier toute forme d'exclusion ou de discrimination, ainsi que tout signe pouvant traduire des situations de grande difficulté sociale ou de maltraitance ».
La sensibilisation et la formation des enseignants du second degré, des personnels d'éducation et d'orientation sont prévues dans les plans académiques de formation. Concernant les enseignants du premier degré et des personnels des réseaux d'aide aux élèves en difficultés (RASED), les modules sont mis en place dans le cadre du plan de formation départemental.
Considérant le temps que l’élève passe en classe, les professeurs sont les premières personnes-ressources du repérage des situations à risque ou des situations de mal-être. Leur formation est donc essentielle.
Comme nous l’avons vu, des professionnels de nombreux domaines sont amenés à gérer des situations de violence sur les personnes vulnérables et sur les animaux du foyer. Qu’ils soient professionnels de santé (infirmier, aides-soignants, médecins, dont les pédiatres et les pédopsychiatres, etc.), psychologues, professionnels de l'action sociale (assistantes sociales, éducateurs, auxiliaires de vie, intervenants de l'Aide Sociale à l'Enfance, etc.), professionnels de l’éducation nationale (enseignants, directeurs, personnels de santé, psychologues, etc.), vétérinaires, membres des forces de l’ordre, magistrats et avocats mais aussi membres des associations de protection animale et des associations de protection des enfants et des femmes, il est crucial de les sensibiliser et de les former à la fois dans le cadre des études initiales et de la formation continue.
Un socle commun de connaissances et de compétences est envisageable. Ce socle permettrait de former :
- au lien entre les violences, en présentant des synthèses d’études sur cette corrélation et en expliquant les mécanismes communs sous-jacents aux différentes formes de violences ainsi qu’aux enjeux de la prise en compte de toutes ;
- au repérage des maltraitances humaines ou animales ;
- au recueil bienveillant et facilitant de la parole de l’enfant et à sa transcription fidèle et objective ;
- à la connaissances des outils, des procédures et des parcours de signalement ou d’information préoccupante, en prenant en compte les freins à ces démarches.
La mise en œuvre de formations interinstitutionnelles regroupant les différents professionnels intervenant notamment sur un même territoire favoriserait leur coordination pour intervenir rapidement et efficacement.
Plus généralement, la connaissance et la détection de violences sur un animal doivent inciter à alerter pour protéger l’animal lui-même et pour prévenir de potentielles violences humaines en évaluant systématiquement le risque pour les personnes vulnérables du foyer.
Les CRIP chargées du recueil, du traitement et de l’évaluation des informations préoccupantes doivent se saisir des articles L. 221-1 et L. 226-3 du Code de l’action sociale et des familles afin d’intégrer la maltraitance animale comme un signe précoce de détection et d'alerte des risques de violence que peut encourir une personne. Il convient aussi d’harmoniser les pratiques sur l’ensemble du territoire pour permettre une équité de traitement pour les enfants/adolescents et les animaux au sein des familles.
B. La collaboration (transdisciplinaire)
La protection de l'enfance est multiforme et implique des compétences particulières dans des domaines complémentaires. La synergie des différents acteurs est indispensable.
Pourtant, la politique publique en matière de prévention et de protection de l'enfance se traduit par des actions très inégales selon les départements auxquels incombe la compétence de l’Aide Sociale à l’Enfance.
Les articles L. 221-1 et L. 226-3 du Code de l’action sociale et des familles intégrant la question de la violence faite aux animaux sont passés sous les radars et les CRIP en sont mal informées.
De plus, la communication et la coordination entre conseils départementaux, Éducation nationale et autres acteurs de la protection des personnes et des animaux doivent progresser pour répondre de manière cohérente à des situations urgentes et pour mener des actions de prévention efficaces.
Dans les cas de violence familiale où les victimes animales et humaines sont évidentes, des efforts de collaboration transdisciplinaire doivent être menés.
En cas de suspicion, les agents de protection des animaux et des humains peuvent comparer leurs conclusions, car il est connu que là où les animaux sont à risque, les personnes sont souvent à risque et vice versa.
Les professionnels de l’Education nationale, les psychologues, les travailleurs sociaux, les vétérinaires, les éducateurs et des professionnels de la santé mais aussi les associations de protection animale sont régulièrement confrontés à la violence intrafamiliale.
Des notifications croisées des situations de violences rapportées par ces professionnels dont les expertises sont complémentaires et interdépendantes, permettraient, par des mesures préventives, une meilleure protection des enfants, des femmes, des personnes âgées vulnérables du foyer, sans oublier les animaux eux-mêmes.
Conclusion
L’Education nationale et en particulier les enseignants jouent un rôle important dans la protection de l’enfance du fait de l’accompagnement durable des élèves pendant leur scolarité. Des outils tels que l’information préoccupante et le signalement dans les cas les plus graves permettent aux enseignants de révéler aux autorités compétentes les situations susceptibles de mise en danger d’un enfant/adolescent. Ces protocoles ne mentionnent cependant pas explicitement la violence sur les animaux du foyer comme des éléments déclencheurs d’une vigilance particulière. Pourtant, les études montrent que cette atteinte à la moralité et au développement psycho-affectif de l’enfant a d’importantes répercussions. L’habituation de l’enfant exposé à la violence sur l’animal peut entrainer une reproduction d’actes violents à l’encontre des animaux ou des pairs. Un environnement violent engendre aussi chez l’enfant des traumatismes impactant ses comportements. Prendre la parole de l’enfant au sérieux lorsqu’il rapporte des actes violents sur les animaux du foyer est donc crucial.
L’école est aussi le lieu privilégié d’une éducation au respect de l’altérité et à l'empathie envers ses semblables et envers les animaux. Cette sensibilisation au respect des animaux rejoint le programme de sensibilisation contre la violence et le harcèlement prévu par l’Education nationale.
Dans ce contexte de lutte contre la violence et le harcèlement, il convient de penser de façon systématique à la violence perpétrée sur les animaux et de l’intégrer pleinement dans la liste des éléments déclencheurs d’un signalement pour une analyse globale du foyer par les services autorisés.
Les protocoles de signalement sont souvent perçus comme complexes et peu opérants. Le manque de formation partagée avec les nombreux acteurs de la lutte contre les violences humaines et animales ainsi que les méandres administratifs et l’inégalité de traitement des signalements sont des freins récurrents à ces démarches.
Une simplification est nécessaire et des pistes d’amélioration existent. Ainsi, la loi n° 2021-153911 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale permet par deux articles inscrits dans le Code de l’action sociale et des familles d’attirer l’attention des CRIP sur les auteurs de violences sur les animaux. Ces articles souvent méconnus ou mal interprétés doivent être clairement explicités pour une application efficace.
La formation des différents acteurs amenés à repérer des violences humaines ou animales doit contenir des connaissances communes sur le lien avéré entre ces types de violence ainsi que sur les protocoles de signalement. Une communication entre ces différents acteurs et la possibilité de signalements croisés auprès d’une même instance permettrait le recoupement des éléments pertinents.
Considérer les violences animales, d’une part, pour ce qu’elles ont de moralement et légalement répréhensibles et, d’autre part, comme des signaux d’alerte de potentielles violences intra-familiales améliorerait l’efficacité d’action et de prévention pour sauver les animaux victimes et anticiper ou empêcher les violences sur des personnes, enfants et adultes vulnérables.
- 1 Article 40 relatif à l'obligation pour tout officier public ou fonctionnaire d'aviser sans délai le procureur de la République de tout crime ou délit.
- 2 Article L. 226-4 relatif à la possibilité pour toute personne exerçant dans un service ou un établissement public ou privé susceptible de connaître des situations de mineurs en danger d'aviser directement le procureur de la République, du fait de la gravité de la situation.
- 3 Article L. 226-3.
- 4 Article L. 221-1.
- 6 5= McDONALD, S.E., CODY, A.M., BOOTH, L.J. et al. (2018). Animal Cruelty among Children in Violent Households: Children’s Explanations of their Behavior. J Fam Viol, 33(7), p. 469-480. McDONALD, S.E., DMITRIEVA, J., SHIN, S., et al. (2017). The role of callous/unemotional traits in mediating the association between animal abuse exposure and behavior problems among children exposed to intimate partner violence. Child Abuse Negl, 72, p. 421-432.
- 7 Article L. 221-1.
- 8 Article L. 542-1 du Code de l'éducation.
- 9 Article D. 542-1 du Code de l'éducation.
- 10 Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation.
- 11 Loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes.