Droit constitutionnel
- Olivier Le Bot
Professeur de droit public
Université d’Aix-Marseille
Résumé : Deux évènements ont été retenus pour cette chronique. Le premier concerne le Mexique, qui vient de réviser sa Constitution pour y ajouter diverses dispositions relatives aux animaux. Le second a trait au Conseil constitutionnel français, qui s’est prononcé sur la constitutionnalité d’une loi visant à limiter l’engrillagement en zones rurales afin de faciliter la libre circulation des animaux sauvages.
Mots-clés : engrillagement – animal sauvage – Mexique – Constitution
Le Mexique ajoute la protection de l’animal dans sa Constitution
Après le Belgique au mois de mai1, le Mexique est le second pays à avoir révisé sa Constitution au cours de l’année 2024 pour y insérer des dispositions relatives à la protection des animaux. A en effet été publié au Journal officiel du Mexique, le 2 décembre 2024, un décret prenant acte de la révision des articles 3, 4 et 73 de la Constitution, fixant son entrée en vigueur au lendemain de sa publication (art. 1er) et comportant des mesures transitoires.
I/ Le processus de révision
L’initiative, impulsée par la société civile, trouve son origine dans un projet de révision constitutionnelle présenté le 5 février 2024 par le titulaire du pouvoir exécutif fédéral, l’ancien Président Andrés Manuel López Obrador (2018-2024).
La révision a ensuite été adoptée dans les conditions prévues par l’article 136 de la Constitution, qui exige, dans un premier temps, un vote favorable du Congrès de l’Union à la majorité des deux tiers des membres et, dans un second temps, une approbation par la majorité des entités fédérées (ceux-ci se composant des États et de la Cité autonome de Mexico).
Le texte a été adopté à une large majorité par la chambre des députés le 12 novembre 20242 puis, à l’unanimité, par le Sénat le 21 novembre 2024. La réforme a ensuite été approuvée par 26 États sur 32, entre le 21 et le 29 novembre3.
Le décret de la présidente Claudia Sheinbaum Pardo a été publié le 2 décembre 2024.
II/ Le contenu de la révision
La réforme porte sur trois articles de la Constitution.
Tout d’abord, est ajouté à l’article 4 un alinéa 6 rédigé comme suit : « Il est interdit de maltraiter les animaux. L’État mexicain doit garantir la protection, le traitement adéquat, la conservation et les soins des animaux, dans les conditions établies par les lois applicables ». Se trouvent ainsi insérées dans le texte constitutionnel une interdiction et des obligations. L’interdiction est celle de maltraiter les animaux. Elle semble s’imposer à tous mais ne devrait en pratique concerner que les autorités publiques, en faisant obstacle aux lois, règlements, actes administratifs individuels et situations administratives qui y contreviennent. Le texte comporte par ailleurs des obligations, qui pèsent sur l’État : garantir la protection des animaux, garantir le traitement adéquat des animaux, garantir la conservation des animaux et garantir le soin des animaux. La troisième de ces obligations, à savoir la conservation, s’inscrit dans une perspective environnementale alors que les trois autres relèvent davantage d’une logique de bien-être animal. On notera que l’obligation de garantie qui pèse ainsi sur l’État est mise en œuvre dans les conditions prévues par la loi, ce qui peut à la fois fonder la compétence du législateur et, selon l’interprétation qui sera donnée de la disposition, la priver de portée autonome en l’absence de loi.
La deuxième innovation de la révision constitutionnelle se situe au niveau de son article 73, qui fixe le champ de compétence du Congrès. Lui est confiée une nouvelle compétence législative, ajoutée au paragraphe XXIX-G déjà existant, à savoir une compétence en matière « de protection et de bien-être des animaux ». D’apparence technique, le changement est important en ce qu’il ouvre la possibilité d’adopter au niveau fédéral une loi de protection et de bien-être des animaux là où, jusqu’à présent, n’existaient pour l’essentiel que des législations fédérées, avec des niveaux de protection variables d’une entité à l’autre.
Le troisième changement concerne l’éducation. À l’article 3, se trouve ajouté, au sein de l’alinéa 12 (qui existe depuis 2019), la mention selon laquelle les programmes scolaires devront comprendre des connaissances sur « la protection des animaux ». L’objectif est de rechercher, par ce biais, la diffusion d’une attitude bienveillante à l’égard de ces derniers, avec en perspective une évolution à long terme de la société.
Protection, législation et éducation forment ainsi les trois axes de la réforme.
III/ La mise en œuvre de la révision
Le décret présidentiel comporte deux parties. La première se limite à un article unique qui prend acte de la révision des trois articles précédemment mentionnés et se borne à reprendre les termes de la loi constitutionnelle adoptée. La seconde partie, intitulée « dispositions transitoires », représente pour sa part une création du pouvoir exécutif. Se fondant sur l’ajout à l’article 73 d’une compétence du législateur fédéral en matière de protection et de bien-être animal, il pose que « le Congrès de l’Union dispose d’un délai de cent quatre-vingts jours civils à compter de l’entrée en vigueur du présent décret pour promulguer la loi générale sur le bien-être, les soins et la protection des animaux, en tenant compte de leur nature, de leurs caractéristiques et de leurs liens avec les personnes, de la nécessité d’interdire les mauvais traitements dans l’élevage, de l’utilisation et de l’abattage d’animaux destinés à la consommation humaine et de l’utilisation d’animaux sauvages dans des spectacles à but lucratif, ainsi que des mesures nécessaires pour lutter contre les nuisibles et les risques sanitaires ». Il convient de bien insister sur le fait que cette obligation est posée par le décret lui-même et non pas par la loi constitutionnelle. On pourra dès lors s’étonner qu’un acte juridiquement inférieur (à savoir un simple décret) impartisse un délai pour adopter un acte supérieur, en l’occurrence une loi, et comporte des indications sur le contenu qui devra être le sien. On s’interrogera également sur la portée de cette obligation, sa force contraignante et les sanctions qui pourraient bien être attachées à sa méconnaissance. En tout état de cause, le processus d’adoption de ce texte promet un jeu d’influence de la part tous les acteurs concernés, c’est-à-dire aussi bien des défenseurs des animaux que des utilisateurs de ceux-ci, notamment les lobbys de l’industrie agro-alimentaire, de la recherche et de la corrida.
France : constitutionnalité de la loi encadrant l’implantation des clôtures pour permettre la circulation des animaux sauvages
CC, 18 octobre 2024, décision n° 2024-1109 QPC, Groupement forestier Forêt de Teillay et autres
La loi n° 2023-54 du 2 février 2023 « visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée » a introduit dans le code de l’environnement un article L. 372-1 visant, dans les zones naturelles, à empêcher les clôtures qui ne laissent pas passer la faune.
À cette fin, cet article dispose que les clôtures implantées « dans les zones naturelles ou forestières délimitées par le règlement du plan local d’urbanisme » ou, à défaut d’un tel règlement, « dans les espaces naturels », doivent permettre « en tout temps la libre circulation des animaux sauvages ». Il ajoute que ces clôtures « sont posées 30 centimètres au-dessus de la surface du sol, leur hauteur est limitée à 1,20 mètre et elles ne peuvent ni être vulnérantes ni constituer des pièges pour la faune ». Le même article prévoit en outre que les clôtures édifiées depuis moins de trente ans, c’est-à-dire depuis le 3 février 1993, doivent être mises en conformité avant le 1er janvier 2027.
Ces dispositions ont été contestées par des propriétaires terriens et des fédérations de chasseurs par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur celle-ci le 18 octobre 2024.
I/ Sur le principe même d’une limitation de l’engrillagement
Le Conseil valide d’abord, dans son principe même, le dispositif contesté, considérant que l’atteinte qu’il porte au droit de propriété est nécessaire et proportionnée4.
Elle est regardée comme justifiée en ce qu’elle met en œuvre plusieurs objectifs d’intérêt général : la protection de l’environnement, la lutte contre l’incendie et la préservation des paysages. Sur le premier de ces objectifs, le Conseil constitutionnel souligne que le législateur, en adoptant les dispositions contestées, a entendu permettre la libre circulation des animaux sauvages dans les milieux naturels afin de « prévenir les risques sanitaires liés au cloisonnement des populations animales » (une concentration trop importante des animaux pouvant favoriser des épizooties), de « remédier à la fragmentation de leurs habitats » et de « préserver la biodiversité ».
La limitation apportée au droit de propriété est par ailleurs considérée comme proportionnée aux objectifs poursuivis, et cela pour trois raisons. Premièrement, le dispositif ne s’applique que sur un champ géographique limité : il ne vise en effet que les clôtures implantées dans les zones naturelles ou forestières délimitées par le règlement du PLU ou, en l’absence d’un tel règlement, dans les espaces naturels. Sur ce point, le Conseil constitutionnel prend soin de préciser que « les notions de "clôture" et d’"espaces naturels" ne sont pas imprécises » (pt. 20). Deuxièmement, la limitation de la hauteur des clôtures et l’obligation de laisser une distance de 30 centimètres au-dessus du sol « ne font pas obstacle à l’édification d’une clôture continue et constante autour d’un bien foncier afin de matérialiser physiquement le caractère privé des lieux pour en interdire l’accès aux tiers » (pt. 21, soulignant ainsi que ne se trouve pas remise en cause la possibilité de clore son terrain, comme le prévoit d’ailleurs l’article 647 du code civil depuis 1804). Troisièmement, le dispositif ne présente pas un caractère absolu, deux types de situations ayant été exclues de son champ d’application. La première série d’exclusions (prévue au dernier alinéa de l’article contesté) concerne les habitations et le siège des exploitations agricoles ou forestières : afin d’être protégées, ces dernières peuvent être entourées d’une clôture étanche (qui devra être édifiée à moins de 150 mètres des limites de l’habitation ou du siège de l’exploitation). La seconde série d’exclusions se présente sous la forme d’une liste comportant neuf items, mentionnant notamment les élevages équins, les sites scientifiques, les terres agricoles, les zones de régénérations forestières ou encore les sites devant être clos pour des motifs de sécurité publique.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, le Conseil constitutionnel estime que le législateur « a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les objectifs précités et le droit de propriété ». Se trouve en conséquence écarté le moyen tiré de la violation de cette exigence constitutionnelle, de même que le grief tiré de la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence (pt. 23).
II/ Sur l’exigence de mise en conformité des clôtures existantes
Les dispositions contestées imposent aux propriétaires la mise en conformité des clôtures édifiées moins de trente ans avant la publication de la loi du 2 février 2023 avec les caractéristiques qu’elles prévoient. Elles s’appliquent ainsi aux clôtures existantes, portant de ce fait atteinte à des situations légalement acquises.
En vertu d’une jurisprudence constante, il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations.
En l’espèce, l’exigence d’un motif d’intérêt général suffisant est regardée comme satisfaite (pts. 28-32).
D’une part, l’atteinte à une situation légalement acquise est jugée justifiée. Selon le Conseil, le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement ainsi que les objectifs d’intérêt général précités. Le dispositif instauré vise en effet à réduire le nombre des enclos étanches en milieu naturel eu égard à leurs conséquences sur l’environnement.
D’autre part, l’atteinte est considérée comme proportionnée. En effet, les propriétaires disposent d’un délai de quatre ans, à compter de l’entrée en vigueur de la loi, pour mettre en conformité leurs clôtures, et cette obligation de mise en conformité ne s’applique pas aux clôtures réalisées depuis plus de trente ans avant la publication de la loi du 2 février 2023. En outre, les dispositions litigieuses « n’empêchent pas les propriétaires de maintenir des clôtures existantes, afin de matérialiser physiquement leur propriété pour en interdire l’accès aux tiers », à la condition qu’elles respectent les caractéristiques qu’elles prévoient, et elles « s’appliquent sous réserve des (…) exceptions » précédemment mentionnées.
Au final, le Conseil constitutionnel valide un dispositif qu’il juge équilibré en ce que les limitations qu’il apporte à certaines exigences constitutionnelles sont justifiées par des objectifs légitimes et qu’elles ne vont pas au-delà de ce que requiert leur mise en œuvre.
- 1 Voir O. Le Bot, « La Belgique inscrit la protection et le bien-être de l’animal dans sa Constitution », RSDA 2024-1.
- 2 Sur 450 votes, 441 pour et 1 abstention.
- 3 Voir la liste sur le site du Sénat.
- 4 Le moyen tiré de l’atteinte au droit de propriété est examiné sous l’angle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (limitation de la propriété) et non pas de l’article 17 du même texte (réservé aux cas de privation de propriété).