Violences sur les animaux et sur les personnes vulnérables : repérage et signalement par les vétérinaires
- Estelle Prietz
Docteur Vétérinaire
En charge de la commission « Protection et bien-être de l’animal »
Conseil National de l’Ordre des vétérinaires - Emilie Couquerque
Inspectrice en santé et protection animale
DDPP 59
BUREAU BEA DGAL
Personne Ressource
Résumé : Les vétérinaires, garants du bien-être animal, exercent une profession réglementée et sont soumis au secret professionnel. Acteurs de santé publique, ils se doivent de remplir leurs missions en signalant les maltraitances animales qu’ils constatent au cours de leur exercice, en ayant à l’esprit le lien qui existe entre maltraitance animale et maltraitance humaine. Ils disposent d’un parcours de signalement prévu par la loi et, désormais, d’outils facilitant les démarches. Attendus et soutenus par la société dans ce rôle, les vétérinaires ont besoin que les freins humains qui persistent soient levés au vu des enjeux transversaux de lutte contre la violence exercée sur tous les êtres vivants vulnérables, animaux ou humains.
Abstract : Veterinarians, the guarantors of animal welfare, exercise a regulated profession and are bound by professional secrecy. As agents of public health, they have a duty to fulfill their missions by reporting any animal maltreatment they may observe during their practice, keeping in mind the link between animal and human maltreatment. They have access to a reporting procedure provided by law and have now tools to facilitate the process. Expected and supported by society in this role, the veterinarians need the human brakes that persist to be removed in view of the cross-cutting issues involved in combating violence against all vulnerable living beings, whether animal or human.
De par sa compétence, son engagement pour les animaux, parfois depuis la tendre enfance, et sa déontologie, le vétérinaire est le garant du bien-être animal. En complément de ces qualités, il exerce dans un cadre réglementaire associé historiquement à son rôle majeur en santé publique, mais qui a progressivement évolué en y ajoutant une place d’expert en protection animale. Sentinelle des maltraitances, il est attendu de lui une vigilance et une action proactive de signalement auprès des autorités lorsqu’il les constate. Souvent confident des propriétaires, il est amené à entendre les fonctionnements intimes de leur foyer et se retrouve parfois détenteur d’informations révélant des dysfonctionnements familiaux pouvant présenter des risques pour les personnes vulnérables. Le lien entre le comportement violent envers les animaux et envers les humains est une connaissance instinctive de chaque praticien qui est désormais démontrée scientifiquement au travers de nombreuses études. Cette connaissance partagée par un nombre croissant d’acteurs (forces de l’ordre, magistrats, travailleurs sociaux, enseignants, médecins…), comme l’a démontré le colloque du 17 mars 2023, renforce l’obligation des vétérinaires de partager ce qu’ils découvrent dans le secret de leur consultation.
Cependant, bien que légitime dans sa démarche, le vétérinaire se doit de respecter le cadre réglementaire de son exercice professionnel sous peine de poursuites. Depuis l’ordonnance n° 2011-863 du 22 juillet 2011 relative à la modernisation des missions des vétérinaires titulaires d'un mandat sanitaire, les vétérinaires, « sans préjudice des autres obligations déclaratives que leur impose le présent livre, [...] informent sans délai l'autorité administrative des manquements à la réglementation relative à la santé publique vétérinaire qu'ils constatent dans les lieux au sein desquels ils exercent leurs missions si ces manquements sont susceptibles de présenter un danger grave pour les personnes ou les animaux » (article L. 203-6 du Code rural). Le signalement des dangers graves pour les animaux ou les Hommes est donc une des missions qui sont confiées au vétérinaire sanitaire. Comme nous le verrons, d’autres textes encadrent la gestion du respect des animaux par ces professionnels.
Mais le vétérinaire reste une femme (le plus souvent désormais) ou un homme comme les autres, et il est essentiel de prendre en compte les freins humains qui vont le faire hésiter à signaler.
Les mentalités évoluent avec la prise en compte grandissante de la sensibilité animale dans notre société. Non pas que le vétérinaire percevait moins la souffrance animale il y a quelques années, mais il se sentait probablement moins soutenu et aussi moins attendu dans ce rôle de lanceur d’alerte qu’aujourd’hui. De nombreuses décisions assumées sous leur responsabilité ont permis de soulager la souffrance animale et/ou d’extraire les animaux maltraités de leur foyer, et nombreux sont ceux qui continuent sans en référer aux autorités administratives, craignant le manque d’efficacité et la publicité parfois difficile à gérer. Aujourd’hui, on ne parle plus de dénonciation mais de signalement, et les outils pour accompagner les vétérinaires dans leur démarche se multiplient, d’autant plus que se développe la sensation d’agir pour protéger les animaux mais également les personnes vulnérables. La démarche humaniste est une motivation supplémentaire car elle donne du crédit et du poids aux actions.
Nous allons nous attacher dans cet article à évoquer les moyens mis en œuvre pour permettre au vétérinaire d’être un des acteurs de signalement des violences commises sur les animaux mais également sur les humains.
I. Vétérinaire, une profession réglementée
La profession vétérinaire dispose d’un ordre en charge de garantir la qualité du service rendu aux usagers. C’est une profession réglementée, soumise à un code de déontologie, dont le respect est assuré par un ordre national s’appuyant sur 12 ordres régionaux.
Depuis l’ordonnance du 31 juillet 2015 portant modification du code de déontologie, l’Ordre des vétérinaires « peut participer à toute action dont l'objet est d'améliorer la santé publique vétérinaire, y compris le bien-être animal ». Une commission Protection et Bien-Être de l’Animal a dès lors été constituée au niveau national, disposant de référents dans chaque région chargés d’être les interlocuteurs privilégiés des vétérinaires et des usagers pour ce qui concerne les questions en relation avec le bien-être animal.
L’exercice de la profession vétérinaire se fait sous la tutelle du ministère de l’Agriculture pour lequel le vétérinaire exerce des missions de santé publique après délivrance d’une habilitation sanitaire. Il engage sa responsabilité dans la certification et est tenu au secret professionnel.
Ce secret a été défini pour la première fois dans la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, par l’article L. 241-5 du Code rural : « [...] le secret professionnel du vétérinaire couvre tout ce qui est venu à la connaissance du vétérinaire dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire ce qui lui a été confié mais également ce qu'il a vu, entendu ou compris ».
La loi du 30 novembre 2021 a également complété les dispositions de l’article 226-14 du Code pénal, permettant maintenant très clairement au vétérinaire de déroger au respect du secret pour porter à la connaissance du procureur de la République des informations sur des sévices graves, des actes de cruauté, atteintes sexuelles ou mauvais traitements infligés à des animaux.
Les missions du vétérinaire sont décrites dans différents textes mais on peut souligner en particulier que ses interventions doivent respecter les animaux, l’environnement et la santé publique (Code de déontologie : articles R. 242-33 Al VII, VIII et IX du Code rural). Il se doit d’avoir une vision globale à la fois de l’état de santé des animaux et de la qualité des conditions de détention, notamment en alimentation et expression des besoins d’espèce. Il constitue ainsi une « courroie de transmission » indispensable entre le terrain et l’administration sur tous les sujets en lien avec les animaux, leur environnement et les questions de santé publique qui en découlent.
Le vétérinaire peut donc être sollicité par les institutions au quotidien.
Les deux principaux moyens utilisés en cas de maltraitance sont le mandatement par le chef de service santé et protection animale de la DDETCSPP requérante (ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire) ou la réquisition par l’intermédiaire de la gendarmerie, de la police, ou du procureur directement (ministère de l’Intérieur ou de la Justice).
Il peut participer à plusieurs types d’interventions : appui de terrain et rédaction de constat complet (état animal et conditions de détention), constat ponctuel en cabinet de l’état de santé et recherche de signes évocateurs de maltraitance, autopsie, diagnose de race...
Le vétérinaire pourra également intervenir dans le cadre d’expertises judiciaires.
II. Acteur de santé publique, les interactions avec l’administration
Le vétérinaire bénéficie aujourd’hui d’un parcours de signalement des maltraitance réglementairement encadré à la hauteur des enjeux transversaux en santé humaine lors du repérage et du signalement. Comme nous l’avons vu précédemment, il est uniquement autorisé à lever le secret professionnel envers la Direction Départementale de Protection des Populations (DDPP), son autorité administrative, et envers le procureur de la république. En pratique, il a l’obligation de signaler à la DDPP et la possibilité de signaler auprès du procureur.
Lors du colloque « Une seule Violence », une présentation à double voix a été effectuée pour détailler le parcours de signalement auprès de la DDPP.
Pourquoi signaler ?
Pour le vétérinaire, cela fait appel à son éthique professionnelle, le vétérinaire « respecte l'animal » mais répond également à une obligation réglementaire.
La DDPP est l’organisme de contrôle compétent. Elle connait l’ensemble des vétérinaires sanitaires de son territoire et les considère comme un maillon sentinelle essentiel. Elle fait également le lien avec les autres services de la préfecture, en particulier lorsqu’il y a une suspicion de violence intra-familiale associée à la maltraitance animale signalée.
Le parcours de signalement met en évidence la nécessaire communication et l’utilité de tous les maillons d’une chaine de dépistage et de lutte contre toutes les formes de violence.
Comment signaler ?
Pour le vétérinaire, la levée du secret professionnel est autorisée par la loi, comme nous l’avons vu précédemment. Il doit donc s’adresser aux autorités compétentes et seulement à ces dernières : DDPP et procureur. Il n’est pas autorisé à signaler des maltraitances constatées au cours de son exercice auprès de la police, la gendarmerie ou une association de protection animale. Il n’est pas non plus autorisé à transmettre des informations à la cellule de recueil des informations préoccupantes du département en charge des enfants en situation de risque. Il peut cependant mentionner lors de son signalement qu’il a connaissance de personnes vulnérables au sein du foyer où l’animal a été maltraité. Des modèles de formulaire existent grâce à l’association AMAH nous en reparlerons ensuite.
Le signalement peut se faire par mail sur l’ adresse institutionnelle de la DDPP, il doit consister en un écrit factuel détaillant les éléments constatés en consultation et éventuellement en rapportant les éléments transmis par le détenteur sous réserve de mentionner spécifiquement que cela correspond à des dires. Le vétérinaire ne peut certifier que ce qu’il a lui-même constaté. Si l’historique du dossier médical contribue à renforcer la suspicion de maltraitance, les éléments peuvent également être transmis.
De son côté la DDPP doit pouvoir s’appuyer sur un écrit circonstancié dans lequel des éléments factuels et étayés apparaissent clairement. Il lui est indispensable que l’examen clinique réalisé par le vétérinaire soit compréhensible par des non-vétérinaires afin d’être explicite pour amorcer une procédure administrative et/ou judiciaire. Les dires du détenteur lui sont également d’un grand intérêt pour avoir une approche la plus complète possible notamment en matière d’environnement social.
Et après ?
Le vétérinaire est le maillon expert dans la caractérisation des maltraitances animales. Il peut être entendu comme témoin sachant si une enquête est diligentée.
Un mandat d'expertise peut lui être délivré en cours d'enquête, mais en tout état de cause il ne sera pas tenu informé des suites données à son signalement. C’est un facteur limitant qui influe considérablement sur la motivation des praticiens, nous en reparlerons.
La DDPP, au vu des éléments, peut procéder à l’ouverture d'une enquête et être amenée à transmettre des informations aux services concernés le cas échéant (services sociaux, forces de l’ordre, fisc...).
La procédure restera confidentielle et les éléments de l’enquête ne sont pas communicables au vétérinaire qui signale.
Les limites du parcours ?
Une étude réalisée auprès des vétérinaires belges dans le cadre d’un master en criminologie révèle que les principaux freins rencontrés sont liés au système de contrôle et à ses organismes (42,6 %), en l’occurrence l’absence de directives formelles et de mandat légitime. La frustration face à l’impunité des personnes maltraitantes et la croyance que le système ne peut assurer la sécurité et le bien-être de l’animal qu’ils souhaitent protéger interviennent également.
La crainte du comportement du propriétaire (24,6 %) est le deuxième frein le plus puissant : crainte des représailles du propriétaire et crainte pour la sécurité et le bien-être futur de l’animal concerné (représailles sur l’animal, absence de soins futurs).
Pour 15 % des obstacles au signalement relevés, l’étude pointe le manque de connaissances en termes de processus de signalement et les insuffisances de définition de la maltraitance1.
Du côté des services de l’état (DDPP), le personnel disponible face au nombre de signalements provenant de toutes origines (particuliers, associations, vétérinaires...) n’est pas suffisant pour répondre à toutes les demandes. Cependant, une attention particulière est apportée aux signalements faits par des vétérinaires qui sont considérés comme sachants.
Par ailleurs, la DDPP effectue de nombreuses autres missions de santé publique et pas uniquement celles concernant la protection animale.
Progressivement, des outils sont mis à disposition des praticiens pour faciliter la démarche de signalement des maltraitances.
L’Ordre met à disposition des vétérinaires la liste des « référents BEA ordinaux » pour pouvoir contacter des élus ordinaux en région, formés et informés pour les accompagner lorsqu’ils sont confrontés à des maltraitances animales ou tout simplement à des questionnements éthiques sur leur exercice.
L’association AMAH partage une carte en ligne avec les coordonnées des procureurs mais également des DDPP.
L’Ordre des vétérinaires a également travaillé à l’élaboration d’une fiche professionnelle avec l’ensemble des référents BEA régionaux. Cette fiche a été relayée et partagée sur les réseaux sociaux et est accessible librement en ligne.
Un guide, « Repérer les signes de maltraitance chez les animaux et les humains », à disposition du public et des vétérinaires, est téléchargeable en ligne. Il est issu de la traduction du guide « The Link » par l’association et apporte de très nombreuses informations aux vétérinaires en particulier sur les méthodes d’évaluation de la maltraitance constatée en consultation et de son impact éventuel sur l’environnement familial de l’animal. L’accent est mis sur le risque de la concomitance de violences intra-familiales et permet de sensibiliser les vétérinaires sur leur légitimité et leur utilité dans la lutte contre la violence en général.
Sur le site d’AMAH, il existe des formulaires de signalement à la DDPP et au procureur, élaborés en partenariat avec l’Ordre des vétérinaires et à disposition des vétérinaires. Ils sont téléchargeables pour faciliter l’accès à ces outils.
Il existe également des modèles de certificats pour attester des signes cliniques de maltraitance à la demande des détenteurs.
Fiche professionnelle « Signaler une maltraitance » en ligne sur veterinaire.fr
Conclusion
Il n’est pas attendu des vétérinaires qu’ils soient des enquêteurs ou des juges lors de suspicions de violences ou maltraitances domestiques. C’est le travail des autorités de contrôle et de la justice d’enquêter, d’établir les faits et de faire condamner les auteurs de maltraitances. Mais les vétérinaires ont la possibilité d’agir en signalant pour permettre à la justice d’intervenir.
L’expertise et la légitimité existent ! Ils sont constitutifs des rôles d’acteurs de santé publique et de sentinelles des maltraitances du vétérinaire.
La sensibilité et la volonté d’agir sont présentes mais les freins sont encore très nombreux, comme en médecine humaine.
Le parcours de signalement conforme à la réglementation est encore mal connu mais des outils existent désormais, sans oublier que la collaboration et le travail en réseau sont les clés de l’efficacité pour lutter contre toutes les violences, animales et humaines.
- 1 ROUFOSSE Wendy « Étude exploratoire sur la maltraitance animale et le signalement chez les vétérinaires belges » Université de Liège 2022 Mémoire de Master en Criminologie.