Politique pénale doit rimer avec maltraitance animale
- Franck Rastoul
Procureur général près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Précédemment procureur général près la Cour d’appel de Toulouse
La place de la lutte contre la maltraitance animale dans la politique pénale et l’action des parquets sont croissantes. Il reste à donner à cette politique pénale une pleine stabilité et un point d’équilibre partagé et unifié. De la sphère associative et administrative, la maltraitance animale se déplace progressivement dans le champ judiciaire. Nombre de parquets diversifient et musclent leur action en répression d’actes de cruauté et de maltraitance envers les animaux. Le ministère public est le reflet de l’évolution des mentalités et des attentes de la société. L’indifférence à la souffrance animale recule en écho avec la prise de conscience de la nécessité de respecter ce l’on appelle le « vivant » qui n’est, ni plus ni moins, que la vie. Le traitement de la maltraitance animale ne peut plus être un contentieux de seconde zone, voire marginal, comme cela a pu être le cas dans le passé, dilué dans un bloc règlementaire au sein des parquets mêlant urbanisme, environnement, chasse et pêche ainsi que d’autres contentieux dits techniques. Le temps n’est plus où le traitement judiciaire de la maltraitance animale se faisait à bas bruit de crainte d’un regard critique porté sur le traitement d’une question considérée de peu d’importance par rapport à d’autres sujets judiciaires. L’autorité judiciaire, les parquets, doivent apporter à la maltraitance animale la réponse pénale qu’elle appelle, à l’instar de celle due à d’autres pans de la délinquance. La maltraitance animale est un volet de la délinquance parmi d’autres. Son traitement ne se fait pas au détriment d’autres contentieux. Les affaires de maltraitance animale ont désormais l’oreille des médias et connaissent un écho significatif. Il faut s’en féliciter même si beaucoup reste à faire dans les esprits et dans les faits. La priorisation des réponses pénales imposée par la masse des flux pesant sur les parquets et sur les juridictions doit être effectuée au cas par cas en fonction de l’urgence et de la gravité des faits et non pas selon une distinction en amont fondée sur la nature des contentieux.
Le cloisonnement des contentieux occulte, en outre, la racine souvent unique des comportements à l’origine de la commission d’infractions diverses. La violence à l’égard des animaux doit être reconnue comme le signe d’une seule violence, inacceptable quelles que soient les victimes, souvent des êtres sans défense (enfants, personnes fragiles, animaux…). Un enfant en bas âge ne se présente pas au commissariat pour déposer plainte contre ses parents, pas plus que ne le fait à l’encontre de son propriétaire un chien battu ou un cheval abandonné dans un pré. Outre l’application de la loi pénale qui fonde l’intervention de la justice, la vulnérabilité de la victime, quelle qu’elle soit, et son incapacité à solliciter de l’aide sont un impérieux motif d’action. Le colloque organisé à Paris le 17 mars 2023 à l’initiative du sénateur du Val d’Oise Arnaud BAZIN a mis en lumière une violence unique ne variant que dans la multiplicité de ses expressions et de ses victimes. L’association contre la maltraitance animale et humaine (AMAH) développe ce même constat. Il ne peut y avoir deux poids deux mesures dans la répression des violences extrêmes, des actes de barbarie. La situation d’un animal torturé, mis dans le tambour d’une machine à laver en action, pour prendre un exemple parmi bien d’autres, filmé jusqu’à l’agonie aux fins de diffusion sur les réseaux sociaux, appelle une réponse judiciaire exemplaire dans le temps et sur le fond. Cette réponse incombe aux parquets au stade de la poursuite et aux juridictions de premier degré et d’appel au stade de la condamnation. Du chemin a été parcouru. Du chemin reste à faire.
La lutte contre la maltraitance animale ne doit pas être limitée, en outre, à la répression exemplaire des actes de barbarie à l’encontre des animaux. Son champ est bien plus large : abandon, défaut de nourriture, conditions de vie adaptées, destruction, trafics, détention d’espèces protégées avec les « nouveaux animaux de compagnie » (NAC), conditions de vie, d’élevage, de transport et d’abattage des animaux de rente, fonctionnement des abattoirs, situation des animaux en captivité (zoo, delphinariums), organisation de combats illicites d’animaux, exploitation et destruction de la faune sauvage, dopage dans le milieu équestre… Cette liste, non exhaustive, illustre la multiplicité des sujets et des enjeux de la lutte contre la maltraitance animale dont certains, de dimension internationale, relèvent de la criminalité organisée. Le trafic des espèces protégés arrive en tête des trafics les plus lucratifs aux côtés des trafics de stupéfiants, d’armes et d’êtres humains générant des profits annuels de l’ordre de plusieurs milliards d’euros. La réponse judiciaire passe par la mobilisation au plan international, national et interrégional des services spécialisés de la police, de la gendarmerie et de la justice (notamment offices et services centraux, juridictions à compétence nationale et interrégionale). Au plan local, les parquets doivent s’attaquer aux derniers maillons de cette chaîne que sont les acquéreurs des animaux ou des produits dérivés prohibés (crânes et mains de primates, viande de brousse…). La remise fin septembre 2023 par les douanes au muséum d’histoire naturelle d’Aix-en-Provence de 392 crânes de divers singes saisis en à peine sept mois reflète l’importance de ces trafics ainsi que leur effet dévastateur sur la faune. Tout est dit par Sabrina Krief, spécialiste des grands singes, dénonçant « l’hécatombe de primates dans ces forêts pillées pour satisfaire des collectionneurs alors que ces primates sont menacés d’extinction ». Ici comme ailleurs, la réponse ne peut être exclusivement judiciaire et doit venir en complément d’autres mobilisations (coopération internationale, règlementations nationale et internationale, allocation de moyens suffisants aux services spécialisés, information du public…). La justice a, pour sa part, l’obligation de prendre toute la mesure d’un phénomène générant des profits considérables destructeur de la diversité de la vie à l’échelle planétaire. Cette obligation passe par le prononcé de peines exemplaires à l’égard de tous ses responsables, du trafiquant au passeur jusqu’à l’acheteur. La marchandisation de la faune sauvage, moins brutale en apparence, est aussi source de perturbation et de destruction. Cette marchandisation est mise en lumière par Fabienne Delfour, chercheuse spécialiste des mammifères marins, dans son livre « Dans la peau d’un dauphin ». A bord des bateaux faisant des navettes incessantes, combien de touristes ont-ils conscience qu’ils perturbent les dauphins qu’ils contemplent les pensant en pleine action alors qu’ils dorment en nageant ? La maltraitance animale est aussi le fruit de l’exploitation à des fins mercantiles de l’ignorance. A la différence des dauphins au repos, les parquets doivent ouvrir les deux yeux afin de préserver la richesse de nos côtes en métropole et en outre-mer. La maltraitance animale prospère sur différents terreaux : violence et sadisme parfois en lien avec des troubles psychologiques ou psychiatriques, effet amplificateur des réseaux sociaux miroir de toutes les dérives, entre narcissisme et voyeurisme, misère économique frappant les particuliers, les agriculteurs, les éleveurs, ignorance, appât du gain…
Face à tous ces comportements, le parquet dispose en réponse d’un panel d’une centaine de qualifications pénales, l’inflation normative frappant y compris le domaine de la maltraitance animale. Ces infractions recoupent de multiples situations : sévices graves et actes de cruauté impliquant de rapporter la preuve de la souffrance ou de la mort (à l’exception des corridas et combats de coqs fondés sur une tradition locale ininterrompue) ; mauvais traitements ; abandon d’un animal domestique, apprivoisé ou captif ; détention d’animaux dans un habitat inadapté ; utilisation d’attaches ou de clôtures inadaptés ; atteintes sexuelles sur un animal (l’incrimination spécifique de ces faits depuis 2021 venant révéler un phénomène loin d’être anecdotique) ; diffusion de l’enregistrement d’images relatives à des actes de cruauté, des sévices graves ou des atteintes sexuelles sur les animaux ; détention, dressage et vente d’animaux de compagnie sans disposer d’installations conformes ; abattage d’un animal en dehors d’un établissement agréé ; transport d’animaux effectué sans autorisation ; expériences ou recherches illicites sur des animaux… Ces nombreuses infractions, délictuelles ou contraventionnelles, sont sanctionnées par des peines pouvant être substantielles (trois ans d’emprisonnement, 45 000 euros d’amende), la question de leur application étant un autre sujet. Elles constituent un kaléidoscope pénal éclaté dans différents codes. Le Code pénal traite des animaux domestiques, apprivoisés et captifs. Le Code de l’environnement traite des espèces protégées. Le Code rural et de la pêche maritime traite des animaux de rente. Le Code général des collectivités territoriales traite des animaux errants ou en divagation. Le Code du sport traite du dopage animal, équin et canin. Le Code civil traite de l’animal, être vivant doué de sensibilité, sous l’angle patrimonial. Le Code de la santé publique traite des espèces nuisibles pour la santé humaine. Ce corpus juridique résulte de touches législatives successives constituant un clavier à la tonalité évolutive au fil des siècles.
En France, la protection de l’animal prend forme et force de loi en 1791 avec un texte qualifiant de crime « l’empoisonnement par malice ou vengeance, ou dessein de nuire, de certains animaux appartenant à autrui ». L’animal est protégé en tant que bien d’autrui et non comme être vivant. Une peine de prison d’un mois à un an est également encourue par toute personne convaincue d’avoir « de dessein prémédité blessé des bestiaux ou chiens de garde ». Par ailleurs, la loi Grammont du 2 juillet 1850 vient réprimer « ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques ». Il s’agit plus de protéger la sensibilité humaine que l’intégrité de l’animal. Le 7 septembre 1959, un décret supprime la condition de publicité et réprime les mauvais traitements infligés à des animaux apprivoisés ou tenus en captivité. Ces faits, constitutifs d’une contravention de quatrième classe, permettent au tribunal de prononcer la remise de l’animal à une œuvre de protection animale. La loi du 19 novembre 1963 crée le délit d’actes de cruauté envers les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité. Pour la première fois, elle permet aux associations de protection animale reconnues d’utilité publique « d’exercer les droits reconnus à la partie civile ». La loi du 10 juillet 1976, en son article 9 devenu l’article L. 214-1 du Code rural, marque un tournant symbolique. Elle reconnait en l’animal « un être sensible qui doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». Cette loi, qui confère à l’animal le statut d’être doué de sensibilité, crée l’incrimination d’abandon volontaire. Jusqu’au Code pénal de 1994, les atteintes contre les animaux figuraient parmi les infractions contre les biens. Elles intègrent désormais le livre V du Code pénal consacré aux « autres crimes et délits ». La loi du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants règlemente la détention et le commerce des animaux de compagnie (activités de fourrière, de refuge, d’élevage, de vente, de pension, d’éducation et de dressage). Elle interdit la vente des chiots et chatons de moins de huit semaines. Les peines encourues par les auteurs de sévices ou actes de cruauté sont aggravées et portées à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende. Sur le plan civil, la loi du 16 février 2015 institue l’article 515-14 du Code civil qui affirme que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». La portée de ces dispositions est discutée, notamment sur le point de savoir si elles concernent seulement les animaux domestiques ou également la faune sauvage. La loi du 30 novembre 2021 « visant à lutter contre la maltraitance animale et à conforter le lien entre les animaux et les hommes » renforce les sanctions encourues pour les principales infractions réprimant la maltraitance animale. Elle améliore les conditions de détention des animaux de compagnie et des équidés et met un terme à l’exploitation des animaux sauvages tenus en captivité. Elle porte les peines prévues pour les sévices et actes de cruauté de deux à trois ans d’emprisonnement et de 30 000 à 45 000 euros d’amende. Les infractions de nature sexuelle sont incriminées spécifiquement et non plus au titre des sévices. Le fait de donner volontairement la mort à un animal domestique ne constitue plus une contravention mais un délit puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.
Le droit pénal opère une distinction entre les animaux domestiques et les animaux sauvages qui ne bénéficient pas de la même protection juridique. Depuis les ordonnances des 15 juin et 18 septembre 2000, les dispositions concernant les animaux domestiques figurent dans le Code pénal ainsi que dans le Code rural et de la pêche maritime tandis que la protection des animaux sauvages est organisée par le Code de l’environnement. La réglementation la plus protectrice concerne les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité. Il s’agit de protéger l’animal mais également son propriétaire en l’indemnisant de la perte de ce dernier. L’animal domestique appartient à « des populations animales sélectionnées ou dont les deux parents appartiennent à des populations animales sélectionnées ». L’appartenance de l’animal à une espèce non domestique n’exclut pas l’application des textes du Code pénal dès lors qu’il se trouve approprié, apprivoisé ou captif. L’animal apprivoisé est « celui qui ayant perdu ses réflexes de fuite à l’égard de l’homme vit en sa compagnie sans y être contraint ». L’animal captif est retenu par la force dans l’entourage de l’homme et englobe tous les animaux sauvages privés de liberté. La jurisprudence varie selon les situations. Détenir des renards à des fins d’entraînement de chiens est constitutif de sévices graves ou actes de cruauté envers un animal captif. En revanche, des faisans élevés en enclos avant d’être relâchés pour être chassés ne relèvent pas de l’article 521-1 du Code pénal. La même analyse est faite pour le cerf qui n’est pas considéré comme tenu en captivité à l’instant où il est cerné par des chiens lors d’une chasse à courre sans possibilité de s’échapper. A la différence de l’animal domestique ou captif, l’animal sauvage ne bénéficie d’aucune protection individuelle. Le droit de l’environnement ne le protège que dans l’hypothèse où il fait partie d’une espèce protégée considérée comme un élément du patrimoine naturel. Sont considérées comme des espèces animales non domestiques et sauvages celles qui n’ont pas subi de modification du fait de la sélection de l’homme qu’elles soient nées dans le milieu naturel ou issues de l’élevage. Dès lors qu’il n’est ni apprivoisé, ni captif et ne fait pas partie d’une espèce protégée, l’animal sauvage ne fait l’objet d’aucune protection particulière. Res nullius, sans maître appropriable, il s’agit d’un angle mort de la protection animale unanimement dénoncé par les associations de protection animale. Le droit de l’environnement n’intègre pas la notion de souffrance et de protection individuelle de l’animal. La protection des espèces protégées porte sur l’espèce elle-même et non sur le spécimen de cette espèce. La magistrate Suzanne Antoine dans son rapport consacré en 2005 au statut juridique de l’animal pointe cette « incohérence consistant à ne pas reconnaître à l’animal sauvage vivant à l’état de liberté sa nature d’être sensible, ségrégation scientifiquement injustifiable et éthiquement choquante ». Le député Roland Povinelli, dans une proposition de loi de 2001, souhaite mettre fin à la soumission des animaux sauvages au régime des res nullius du Code civil et affirmer leur nature sensible. Il souligne que « leur protection est mise à mal et qu’ils peuvent être blessés, capturés, maltraités ou mis à mort en toute impunité ». Une proposition de loi du 29 avril 2014, non adoptée, propose la modification de l’article 521-1 du Code pénal afin d’y intégrer les animaux sauvages. La question de la protection de l’animal sauvage se pose depuis plusieurs décennies en écho avec le cadre juridique régissant la chasse. Les catégories juridiques d’espèces protégées et de gibier ne sont pas exclusives. Le gibier désigne les animaux sans maître vivant à l’état sauvage, y compris appartenant à une espèce protégée, faisant l’objet d’un acte de chasse. Le gibier est traité par la réglementation de la chasse qui fixe la liste des espèces chassables (de l’ordre d’une centaine), les périodes et modalités de chasse. Chasser une espèce de gibier dont la chasse n’est pas autorisée est punie par le Code de l’environnement par une contravention de 5ème classe. Un régime spécifique est prévu pour les espèces nuisibles qualifiées d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD) par la loi Biodiversité de 2016. Différentes listes définissent les ESOD qui ne peuvent concerner les espèces protégées. Le piégeage est autorisé sous certaines conditions. L’utilisation de substances toxiques est, en revanche, interdite.
La situation des animaux de rente ou élevés à des fins expérimentales ou scientifiques est également régie par un régime spécifique. Le Code rural et de la pêche maritime interdit les mauvais traitements envers les animaux domestiques, apprivoisés ou captifs. Il définit leurs conditions de détention, d’élevage et d’abattage. Ici également, le réveil des consciences s’opère. Les procédures judiciaires se multiplient. Le sujet demeure massif, plus de trois millions d’animaux d’élevage étant abattus chaque jour en France afin de satisfaire la consommation humaine. Le Code rural et de la pêche maritime régit encore la situation des animaux utilisés à des fins expérimentales qui doivent avoir été élevés à cette fin par des professionnels agréés. Des dérogations existent toutefois.
A la mosaïque des situations de maltraitance animale fait donc écho une mosaïque de textes disséminés dans de nombreux codes fixant une protection fluctuante de l’animal. Les évolutions législatives, en particulier la reconnaissance de l’animal en tant qu’être sensible, reflètent une sensibilité judiciaire accrue face à la souffrance animale en écho avec l’éveil des consciences sur ce point. Il faut poursuivre dans cette voie selon plusieurs axes. Tout d’abord, il faut envisager une meilleure codification des textes impliquant leur centralisation, leur simplification et, si nécessaire, leur évolution. Sur la centaine de qualifications réprimant la maltraitance animale, combien sont réellement utilisées ? Une analyse et un suivi statistique peuvent permettre de répondre à cette interrogation. Cette démarche a été engagée par le parquet général de la cour d’appel de Toulouse. L’éparpillement des textes en différents codes crée un arsenal juridique et répressif complexe, parfois peu opérationnel, à la logique discutable et discutée sur certains points. Pourquoi ne pas envisager un regroupement au travers de la création d’un « code de la protection animale » afin de renforcer la visibilité juridique de la lutte contre la maltraitance animale et de répondre aux besoins des praticiens ?
Au-delà des textes, les pratiques doivent continuer d’évoluer. Outre les peines d’emprisonnement et d’amende, le recours aux peines spécifiques de confiscation de l’animal et d’interdiction de détenir un animal doit s’accroître. Différents textes régissent la matière des saisies et confiscations (article R. 148 et 99-1du Code de procédure pénale, article L. 214-23 du Code rural et de la pêche maritime, article L. 172-12 du Code de l’environnement ainsi que différentes procédures administratives). L’animal saisi peut être confié à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d’utilité publique dans l’attente d’un jugement. L’animal peut également être confié à titre de peine complémentaire à une œuvre de protection animale. La prise en charge effective des frais de garde de l’animal conditionne le développement des saisies qui sont l’antichambre de la confiscation. Mettre les frais de garde à la charge de l’auteur de la maltraitance comme le prévoit l’article 99-1 du Code de procédure pénale est logique et louable mais souvent illusoire dans les faits. Nombre de condamnés ne s’acquittant pas des sommes dues, les associations ayant supporté la charge financière de la garde en sont alors pour leurs frais. Certaines intègrent cet aléa, d’autres s’y refusent, ce qui s’entend d’un point de vue économique. Assurer le paiement de ces sommes au titre des frais de justice en prévoyant une action récursoire de l’Etat contre le condamné serait une solution. Faute d’évolution, la recherche d’associations pour accueillir les animaux saisis demeurera difficile. Des voies de contournement comme l’incitation du propriétaire de l’animal à sa cession volontaire continueront d’être utilisées. Développer les saisies et confiscations en favorisant le recueil des animaux, accroître le prononcé des peines d’interdiction temporaire ou définitive de détenir un animal, développer les réponses pénales pour les faits de moindre gravité au moyen de stages spécifiques mêlant sanction et pédagogie sont autant de leviers judiciaires dans la lutte contre la maltraitance animale.
Sous l’impulsion des parquets, la réponse judiciaire se renforce. Les mesures de garde à vue, de perquisitions, de défèrements deviennent le lot du contentieux de la maltraitance animale à l’instar d’autres contentieux. Le recours aux circuits courts (présentation au parquet avec délivrance d’une convocation par procès-verbal assortie d’un placement sous contrôle judiciaire, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, comparution immédiate pour les cas les plus graves…) donne du sens dans le temps et sur le fond aux suites pénales décidées.
A la mobilisation des parquets doit répondre la mobilisation des services d’enquête. Tel est parfois le cas. Des marges de progression demeurent au plan de la formation et de la spécialisation des enquêteurs. La gendarmerie s’y emploie dans sa logique hiérarchique sur la base de son maillage territorial. L’OCLAESP forme différents personnels qui, à leur tour, en forment d’autres. Pour la police nationale, le constat est plus variable en fonction des initiatives locales. Contentieux spécifique, soulevant des questions techniques et pratiques, la lutte contre la maltraitance animale ne peut demeurer tributaire de volontés variables et d’initiatives individuelles. L’émergence d’unités spécialisées au niveau de la gendarmerie et de la police nationales ainsi que des polices municipales est une nécessité. A défaut, le vide laissé par l’Etat continuera d’être comblé par le secteur associatif, souvent avec un dévouement exemplaire, parfois avec bonheur, parfois maladroitement, parfois avec excès. Les associations, l’autorité administrative (DDPP, OFB notamment), l’autorité judiciaire doivent converger dans la complémentarité et le respect des rôles de chacun.
Au plan judiciaire, une réponse pénale renforcée implique une organisation dédiée à la lutte contre la maltraitance animale reposant sur un minimum de moyens. Cette organisation peut s’adosser utilement à une autre structure en cohérence, même partielle, avec la lutte contre la maltraitance animale. C’est le choix fait au parquet général de Toulouse avec la création d’un « pôle environnement maltraitance animale » (PEMA) associant le procureur général, la cheffe de cabinet et un juriste assistant, ce dernier étant exclusivement affecté au traitement de ces contentieux. En 2024, un juriste assistant spécialisé sera par ailleurs affecté au parquet de Toulouse. Regrouper les violences aux animaux avec les violences aux personnes, violences intra-familiales en particulier, a également du sens. Aucun rattachement (environnement ou violences aux personnes) ne peut être en totale cohérence avec la multiplicité des champs de la lutte contre la maltraitance animale. Le rattachement au secteur de l’environnement permet d’embrasser les problématiques de protection de la faune sauvage et des espèces protégées. Le rattachement au secteur des violences aux personnes permet de traiter l’origine unique de la violence en renforçant la détection de ses victimes potentielles. Ce rattachement n’est toutefois plus en cohérence avec des sujets comme, par exemple, le dopage dans le milieu hippique et des courses ou la destruction d’espèces protégées. En l’état des moyens alloués, l’adossement à une autre structure, quelle qu’elle soit, a le mérite de permettre une mutualisation des moyens et l’affectation spécifique de juristes assistants (demain d’attachés de justice). L’affectation systématique d’un juriste assistant spécialisé dans ces structures (qu’elles luttent contre les atteintes à l’environnement et aux animaux ou contre les atteintes aux personnes et aux animaux) dans chaque parquet général serait une avancée significative au coût relatif (soit moins de quarante postes pour l’ensemble du territoire national outre-mer compris). Les procureurs généraux, chargés de fixer les orientations de politique pénale dans leur ressort, pourraient s’appuyer ainsi sur des juristes assistants mobilisés au soutien des parquets ainsi que pour assurer le suivi et l’expertise des procédures. Ce renfort est indispensable, certains parquets généraux et parquets comptant des effectifs très limités (parfois de l’ordre de trois ou quatre magistrats seulement). En cet état, faute d’un minimum de moyens, la lutte contre la maltraitance animale ne peut que souffrir elle-même d’un mauvais traitement. Il convient de développer encore des liens renforcés, d’une part, entre les magistrats chargés de ce contentieux et, d’autre part, avec les différents services de l’Etat (DDPP, OFB, douanes…) ainsi qu’avec les associations. La création d’une boîte aux lettres électronique dédiée, en place au parquet général de Toulouse (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.), y participe utilement. Une liste de discussion réunissant l’ensemble des membres du pôle environnement maltraitance animale du parquet général et les magistrats des parquets référents, permet par ailleurs de créer une émulation interne (diffusion de la jurisprudence, veille juridique et médiatique, échanges concrets sur les bonnes pratiques, sur les difficultés rencontrées, sur les adresses utiles afin d’assurer le placement des animaux, diffusion de fiches réflexe à destination des services de permanence des parquets…). Le développement des relations avec l’Ordre des vétérinaires et les écoles vétérinaires s’impose aussi. A l’instar de la médecine légale pour les humains, il faut disposer de vétérinaires experts connaissant les attentes et exigences de la justice en termes de constatations et de preuve. Mettre en place des trames répondant à ces exigences, définir un maillage territorial de professionnels capables d’intervenir rapidement à la demande de la justice, expliciter les cadres juridiques (en particulier les règles relatives au secret professionnel opportunément assouplies par la loi du 30 novembre 2021) sont autant d’avancées à réaliser et à systématiser.
La désignation de délégués du procureur spécialisés dans la lutte contre la maltraitance animale est encore un levier d’action précieux pour les parquets. Le recours aux délégués du procureur permet de traiter par des alternatives aux poursuites des procédures de moindre gravité antérieurement cantonnées au seul champ administratif ou classées sans suite. Cette judiciarisation, qui ne débouche pas sur une poursuite et une inscription au casier judiciaire, a néanmoins le mérite de faire entrer dans le radar de la justice les auteurs de maltraitance animale. En cas de réitération des faits, ces derniers, déjà connus par les parquets, seront poursuivis plus fermement. Incarnation du risque pénal, agissant au nom du procureur de la République, les délégués du procureur délient souvent des situations bloquées obtenant régularisation ou cession volontaire des animaux. Ces nouvelles organisations, ces nouvelles pratiques sont en marche. Elles demeurent éclatées, variables, fragiles car tributaires des magistrats qui, au gré de leurs affectations, les portent, les transmettent, les abandonnent, à leurs successeurs.
Un mouvement profond est enclenché. Il doit être prolongé et soutenu par des structures et des pratiques unifiées et pérennes sous la responsabilité des procureurs généraux en charge de la déclinaison de la politique pénale et des procureurs de la République en charge de l’exercice de l’action publique. La lutte contre la maltraitance animale doit trouver toute sa place aux côtés de la lutte contre les autres volets de la délinquance. La légitimité de l’action du ministère public est l’application de la loi pénale et la répression de la délinquance. L’auteur de maltraitance animale est un délinquant. Il convient de le traiter comme tel. La vague de fond qui roule n’a pas encore atteint tous les rivages, nombreux, de la souffrance animale. Pour autant, l’opposition entre humanité et animalité, aux racines historiques, culturelles et religieuses, se fissure de plus en plus. L’homme comprend qu’il doit, qu’il n'a d’autre choix, que de faire cause commune avec l’animal. Louis Schweitzer, président du conseil d’administration de la fondation « droit animal éthique et sciences » déclarait lors d’un colloque en 2022 intitulé « homme et animal : faire cause commune » : « l’histoire est avec nous. La cause des animaux est irrésistible ». Formons le vœu que l’action de la justice en la matière le soit tout autant, permettant de passer du mot de Victor Hugo, pour qui « l’enfer n’existe pas pour les animaux, ils y sont déjà », à celui de Mohandas K. Ghandi, pour qui « la grandeur d’une nation et son progrès moral peuvent être jugés à la manière dont les animaux sont traités ».