Droit civil des personnes et de la famille
- Fabien Marchadier
Professeur de Droit privé et sciences criminelles
Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers (Institut Jean Carbonnier)
Peu de décisions significatives intéressant les rapports juridiques entre l’homme et l’animal ont été rendues durant le semestre. Le fait le plus marquant est sans doute l’insistance de certaines cours d’appel à refuser à l’article 515-14 du Code civil toute réelle portée. En dépit de toutes modifications du livre 2 du Code civil qui ont accompagné son adoption, elles ancrent fermement l’animal dans la catégorie des biens. Cette jurisprudence conservatrice rend de moins en moins probable une évolution du statut juridique de l’animal, qui ne relève pas d’une catégorie sui generis et encore moins de la catégorie des personnes.
I/ La relation homme/animal
(…)
II/ L’animal dans la famille
1/ Le sort de l’animal après la séparation des concubins (Cour d'appel, Bordeaux, 2e chambre civile, 17 Octobre 2024 – n° 21/05495 ; Cour d'appel, Riom, 2e chambre, 2 Juillet 2024 – n° 23/01204)
Mots-clés : Concubinage. – séparation. – indivision. – partage. – propriété. – preuve
Les deux affaires jugées l’une par la Cour d’appel de Bordeaux, l’autre par la Cour d’appel de Riom, se rapportent à une même difficulté. Quel sera le sort de l’animal après la séparation des concubins ? Les décisions alimentent une vague conservatrice qui maintient fermement l’animal dans le monde des choses juridiques, sans égards ou presque à sa nature d’être vivant et sensible (du moins sur le plan de la qualification juridique. – déjà en ce sens, v. Cour d’appel de Bordeaux, 1ère Ch. civ., 2 mars 2023, n° 20/02157, RSDA 2023/1 p. 27 obs. F.M. ; Cour d'appel de Colmar, 3ème ch. civ., sect. A, 19 septembre 2022, n° 21/01304, RSDA 2022/2 p. 30 obs. F. M. ; Colmar, 3ème ch. civ., sect. A, 28 Juin 2021, n° 20/03627 ; Aix-en-Provence, Ch. 1-1, 18 Mai 2021, n° 18/16648, RSDA p. 31 obs. F. M. ; Cour d'appel, Nîmes, 1re chambre civile, 4 Février 2021 – n° 19/01368, RSDA 2021/1. 33 obs. F. M.).
Sur fond de dispute de la propriété d’une jument et de ses poulains entre deux concubins à la suite de leur séparation, la Cour d’appel de Bordeaux confirme donc la tendance des juges du fond à minorer, voire ignorer, la portée de l’article 515-14 du Code civil. De son point de vue, « un cheval est un bien meuble par nature en application de l’article 528 du Code civil ». C’est pourquoi elle entend trancher le conflit relatif à la propriété de la jument en application de l’emblématique article 2279 (sic ! lire 2276), selon lequel en fait de meuble, possession vaut titre, et celui relatif à la propriété de son poulain en application de l’article 547. Les magistrats ne contestent pas ouvertement les caractéristiques que la loi attribue à l’animal, bien que ses qualités d’être vivant doué de sensibilité ne soient nullement mentionnées. Pas davantage ils excluent la possibilité d’appliquer aux animaux les lois qui les protègent. Certaines décisions antérieures ont en effet considéré que, dans le cas général tout au moins (v. le rôle de l’article 99-1 du Code de procédure pénale pour établir la propriété des animaux susceptibles de faire l’objet d’un placement. – Cour d'appel de Nancy, Première Présidence, 6 octobre 2022, n° 22/01656, RSDA 2022/2 p. 30 obs. F. M.), il n’existe aucune règle particulière régissant l’établissement et la preuve de la propriété des animaux. Dès lors, l’article 2276 s’applique, car à défaut de règles protectrices, les animaux sont soumis au régime des biens (v. par exemple, Cour d'appel de Caen, 3ème ch. civ., 13 avril 2023, n° 22/00819, RSDA 2023/1 p. 31 obs. F.M.). Quant à l’article 547 du Code civil, son application s’impose puisqu’il règle spécifiquement la propriété du croît des animaux, peu importe qu’il ne soit pas spécialement protecteur. Ce n’est donc pas la solution retenue en l’espèce qui intrigue ou déçoit, mais la façon dont les magistrats analysent l’article 515-14 du Code civil et sa portée. Ils ont retenu une qualification mobilière qui était inutile puisqu’une autre justification à l’application de l’article 2276 du Code civil était disponible. La Cour a fait le choix de la continuité, comme si l’article 515-14 et toutes les modifications qui l’ont accompagné étaient dépourvues de signification (sur la même période, comp. Tribunal judiciaire, Le Mans, 1re chambre, 26 Septembre 2024 – n° 23/01592, considérant que « le régime d’indemnisation des préjudices relatifs à un chien relève de celui des biens dans le cadre de la loi du 5 juillet 1985 », après avoir rappelé l’article 515-14 et la sensibilité de l’animal sans éprouver la nécessité de le réduire à une chose juridique. – déjà en ce sens, Cour d'appel de Bourges, 1re Chambre, 7 juillet 2022, n° 21/00895, RSDA 2022/1 p. 30 obs. F. M.).
Sur le fond, la Cour d’appel de Bordeaux fait une application orthodoxe de l’article 2276 du Code civil. La possession établit la propriété des meubles. Les documents liés à l’identification de l’animal (immatriculation de la jument dans l’affaire bordelaise – sur ce point, la Cour de cassation a néanmoins rappelé, sur le fondement de l’article 212-9 du Code rural et de la pêche maritime que les mentions relatives au nom des propriétaires inscrites dans le système d’information relatif aux équidé tenu par l’institut français du cheval et de l’équitation, présument la propriété de l’équidé, si bien que c’est à celui qui combat cette présomption de rapporter la preuve que la personne inscrite n’est pas propriétaire ou ne l’est pas à hauteur du pourcentage mentionné et non l’inverse. – v. Cass., civ. 1re, 14 nov. 2024, n° 23-16.221), certificat d’identification – certes non signé – dans l’affaire portée devant la Cour d’appel de Riom) ou encore son livret de santé n’altèrent pas l’utilité de cette possession, car, souligne la Cour d’appel de Bordeaux, comme la Cour d’appel de Riom, de nature déclaratoire, ils manquent de fiabilité. Le certificat de vente n’est pas davantage déterminant en l’espèce. Seul un contrat de mise à disposition temporaire de l’animal serait de nature à combattre la présomption instituée par l’article 2276. Or, en l’espèce, le concubin échoue à rapporter la preuve de l’existence d’un tel contrat.
Quant la Cour d’appel de Riom, les circonstances particulières de l’espèce ont facilité la décision relative au partage de l’indivision. Chacun des concubins revendiquaient la propriété des deux bouledogues, Rose et Roméo. Cependant, l’un était en la possession de l’ex-concubine, l’autre en la possession de l’ex-concubin. C’est assez naturellement que le juge a ordonné, sauf meilleur accord (assez improbable au demeurant compte tenu du caractère conflictuel de la séparation, en particulier en ce qui concerne la propriété des animaux), que chacun d’eux conserverait l’animal dont il s’était attaché la compagnie (pour d’autres solutions, notamment qui s’inspirent plus ou moins explicitement de l’intérêt de l’animal, v. Cour d'appel de Caen, 3ème ch. civ., 13 avril 2023, n° 22/00819, RSDA 2023/1 p. 31 obs. F.M. ; égal. Aix-en-Provence, ch. 11 A, 13 janvier 2012, n° 2012/31, époux Claudot c/ Josiane Le Gales, RSDA 2012/1 p. 55 obs. F.M.). Les concubins n’avaient pas envisagé qu’ils pussent être copropriétaires indivis des chiens Rose et Roméo, dans la mesure où ils n’avaient pas supposés être copropriétaires indivis de la chienne Nina qui leur a donné naissance. C’est ce qui explique que la possession de cette dernière n’était pas dans le débat. La situation aurait pu donc être autrement complexe. Le résultat auquel aboutit la Cour n’en reste pas moins curieux. Alors qu’elle reconnait que les concubins sont copropriétaires indivis à égalité des trois animaux, la concubine en conservera deux, le concubin un seul. Son jugement de Salomon n’est acceptable que dans la seule mesure où il réduit à deux le problème à trois corps. Loin de pacifier la situation, cette décision est de nature à l’envenimer.