Dossier thématique : Points de vue croisés

L’animal voyageur : une espèce en voie de disparition

  • Jean-Jacques Gouguet
    Professeur émérite
    Université de Limoges
    OMIJ
    CDES

Introduction

1. Des milliards d’animaux voyagent tous les ans sur la planète en empruntant des voies aériennes, terrestres ou aquatiques. Ils parcourent parfois des milliers de kilomètres pour accomplir leur cycle complet de migration. C’est le cas par exemple du saumon atlantique1 qui va naître sur une frayère en tête de bassin. L’alevin, au bout d’un an devient tacon qui restera environ un à trois ans dans son milieu naturel pour atteindre une taille de 14 à18 centimètres lui autorisant de se métamorphoser en smolt qui va dévaler vers l’océan. Une transformation interne va lui permettre de passer de l’eau douce à l’eau de mer. Les saumoneaux y grossiront de deux à quatre ans dans des zones riches en petits poissons pélagiques et en crevettes. Devenu adulte, le poisson remontera vers sa rivière natale pour s’y reproduire.

2. Ce voyage aller-retour pouvant totaliser 6000 kilomètres est un véritable exploit quand il aboutit, tant les dangers et les obstacles que le saumon doit affronter sont nombreux et mortels : prédateurs, filets de pêche, parasites, virus, dégradation généralisée de la qualité des eaux (douces et salées), atteintes à la continuité écologique des cours d’eau (barrages). Le saumon est représentatif de toutes les difficultés que rencontrent les espèces migratrices, ce qui donne un éclairage très instructif de l’état réel de notre planète.

3. En résumé, le dernier rapport de l’ONU2 révèle une menace grandissante pour la survie des espèces migratrices qui sont confrontées à la surexploitation, à la perte d’habitat, à la chasse, à la pêche, à la pollution, au changement climatique, aux obstacles physiques à la migration. Cela permet de comprendre que 20% des espèces inscrites à la CMS3 sont menacées d’extinction et 44% subissent un déclin de population. Au-delà de cette moyenne, certaines espèces sont dans une situation quasi désespérée : 82% des espèces inscrites à l’Annexe I de la convention sont menacées d’extinction ainsi que 97% des poissons inscrits à la CMS.

4. L’animal voyageur est en grand danger du fait des pressions anthropiques qu’il subit mais surtout à cause de la difficulté de mettre en place une action internationale coordonnée. Trois points sont à examiner : quel état des lieux peut-on effectuer des facteurs menaçant la survie de l’animal voyageur ? une analyse coûts/bénéfices de la disparition de l’animal voyageur est-elle envisageable ? les recommandations faites pour une action internationale sont-elles crédibles ?

I. Facteurs menaçant la survie de l’animal voyageur

5. Selon le PNUE4, il existerait onze causes majeures à l’origine de la disparition des espèces migratrices classées ici par ordre décroissant : la surexploitation ; le changement climatique et les phénomènes météorologiques extrêmes ; l’agriculture et l’aquaculture industrielles ; la pollution ; les espèces invasives, gènes et maladies ; les modifications du système naturel ; l’intrusion humaine ; le développement commercial et résidentiel ; la production d’énergie et les mines ; les infrastructures de transport ; la déforestation. On est donc face à un enchevêtrement complexe de facteurs menaçant la survie des espèces migratrices. Pour essayer de réduire une telle complexité, le PNUE propose de retenir les quatre facteurs dominants : la surexploitation ; la perte, dégradation et fragmentation de l’habitat ; le changement climatique ; la pollution.

A. Surexploitation

6. Les espèces migratrices sont capturées ou tuées à des fins de commercialisation. Il en résulte un risque de surexploitation dépendant de la valeur marchande de l’utilisation recherchée des caractéristiques de l’animal : la consommation de viande sauvage ; la transformation artisanale (peau, dents, plumes…) ; la domestication comme animal de compagnie ; la croyance en des vertus spéciales de certains organes de l’animal (aile de requin) ; la chasse et la pêche sportives.

7. Cette surexploitation touche plus particulièrement les mammifères aquatiques, les oiseaux, les poissons et les reptiles. Il faut souligner à cet égard qu’une telle surexploitation est considérablement sous-estimée du fait des lacunes dans l’information en cas de trafics d’espèces ou de braconnage5. Les prises illégales d’espèces migratrices sont particulièrement meurtrières dans le cas des oiseaux. Faute de données, on ne sait donc pas si on dépasse ou non le taux de renouvellement des espèces et à quelle ampleur. Or il et certain que si le taux de cueillette dépasse le taux de renouvellement, le stock diminue irrémédiablement, ce qui est le cas à l’heure actuelle.

B. Perte, dégradation et fragmentation de l’habitat

8. Derrière cette appellation, le PNUE regroupe les facteurs suivants : l’agriculture et l’aquaculture ; le développement commercial et résidentiel ; les transports ; l’intrusion humaine ; les modifications du système naturel. Ces activités économiques sont à l’origine de nombreuses destructions d’habitats indispensables à la migration. Les espèces migratrices doivent pouvoir en effet circuler sans entraves pour accéder aux aires d’alimentation ou de reproduction. Du fait des activités humaines, ces mouvements sont parfois rendus impossibles en milieu terrestre (clôtures, routes, voies ferrées, pipelines, urbanisation), aquatique (barrages) ou marin (transport maritime). L’expansion de l’agriculture est un autre facteur majeur de perturbation des migrations de certaines espèces comme les insectes, ce qui se répercute sur la survie des oiseaux, chauve-souris et poissons qui s’en nourrissent. L’agriculture est également responsable de nombreuses zones humides dont certaines étaient vitales comme étapes dans la migration d’oiseaux d’eau. On se rend compte ici que cette déstructuration des habitats naturels sera très difficile à combattre. Il faudrait en effet pour cela changer les modèles d’agriculture, de transport, de tourisme, d’urbanisation…C’est la raison pour laquelle, au-delà des réalités sectorielles, il va falloir envisager une réforme globale de nos modes de production et de consommation.

C. Changement climatique

9. Le réchauffement climatique va peser de plus en plus sur les cycles de migration par des effets cumulés sur la dégradation des conditions d’habitabilité des milieux. Au-delà de l’augmentation des températures, il y aura les événements météorologiques extrêmes, l’augmentation du niveau de la mer, l’acidification des océans, qui vont bouleverser les aires de répartition des espèces. Certaines d’entre elles pourront s’adapter mais d’autres seront condamnées à disparaître. Le changement climatique peut également générer un décalage entre l’arrivée de l’espèce sur son lieu de reproduction et la disponibilité des ressources, notamment l’eau et la nourriture. Les juvéniles pourront alors en pâtir. De la même façon, le changement climatique peut entraîner des modifications dans le comportement sexuel d’où des difficultés de reproduction.

D. Pollution

10. Les effets de la pollution se font sentir par une augmentation de la mortalité directe de certaines espèces, par une réduction de la quantité de nourriture disponible, par une dégradation de la qualité de l’habitat. Certains types de pollution sont particulièrement perturbants comme la pollution lumineuse (pour les oiseaux) ou la pollution sonore (pour les mammifères aquatiques). La pollution plastique touche maintenant tous les milieux et impacte les espèces migratrices de diverses façons (ingestion, entraves…). La pollution chimique (insecticides, pesticides, hydrocarbures) et les métaux lourds comme le plomb ou le mercure font de nombreuses victimes, tant directes (oiseaux empoisonnés) qu’indirectes (pénurie alimentaire pour les oiseaux migrateurs insectivores du fait de la disparition des insectes).

11. En conclusion, au-delà de la dimension sectorielle par type de menace ou par type d’espèces menacées, la dimension territoriale est fondamentale dans la destinée de l’animal voyageur. Il existe ainsi des zones clés pour la biodiversité qui concentrent des espèces inscrites à la CMS. Ce sont des sites de reproduction, d’alimentation ou d’escale qui conditionnent le succès de la migration. Il est donc important d’évaluer les dangers qui pèsent sur ces zones vitales et de les protéger.

II. Analyse coûts/bénéfices

A. Typologies

a) Principaux coûts

12. Les espèces sauvages sont toujours accusées des pires maux à partir du moment où elles portent atteinte à des intérêts économiques6. Les espèces migratrices n’y ont pas échappé avec des dégâts occasionnés lors de la migration (atteintes aux récoltes, aux bâtiments, dissémination de plantes invasives) ou des risques divers comme des collisions avec des avions. Ces nuisances peuvent représenter un coût considérable pour les secteurs concernés.

13. L’autre accusation à l’encontre des espèces migratrices concerne les risques de pandémies dont elles pourraient être à l’origine. Les principaux réservoirs de virus sont des mammifères comme les chauves-souris ou des oiseaux comme les canards, les oies ou les cygnes. De là à dire que l’animal voyageur serait responsable des pandémies comme la grippe aviaire est certainement abusif. Il est en effet plus facile d’accuser des oies sauvages que de reconnaître les dysfonctionnements d’élevages industriels dont la trop forte concentration d’animaux et le mode d’organisation de la filière provoquent des épidémies.

14. Il n’en demeure pas moins que le coût de ces épidémies est très élevé tant du point de vue des pertes humaines que des dégâts occasionnés à l’économie7. Une solution existe par la mise en place de mesures de prévention plutôt que de se contenter de politiques de réparation plus coûteuses et moins efficaces. Le coût d’une telle politique de prévention inclut le contrôle du commerce d’animaux, la lutte contre la déforestation, la détection des virus, la réduction de leur propagation. Ce coût est dérisoire face aux pertes de PIB mondial et au montant de la perte en vies humaines occasionnées par la zoonose. Par ailleurs, ce coût de la prévention est à mettre en balance avec les bénéfices apportés par les espèces migratrices.

b) Principaux bénéfices

15. L’ensemble des services rendus par les espèces migratrices peut se répartir en trois ensembles8 : les services de régulation et de maintenance des écosystèmes (stockage de carbone, pollinisation, dispersion de graines, lutte contre les ravageurs, maintien de la fertilité des sols, lutte contre l’érosion) ; les services d’approvisionnement des populations (nourriture) ; les services culturels (valeur récréative, valeur symbolique). De nombreuses illustrations selon les espèces migratrices pourraient en être données, par exemple : les caribous, bisons, éléphants, yacks… stockent du carbone dans le sol avec leurs excréments ; les baleines contribuent à la séquestration de carbone au fond des océans avec leurs fèces et leurs carcasses ; tous les animaux brouteurs font diminuer le risque d’incendie ; les oiseaux, insectes et chauve-souris pollinisent les plantes, dispersent les graines et éliminent des parasites.

16. En résumé, toutes ces espèces facilitent le transfert de ressources et d’énergie entre écosystèmes tout au long de leur voyage. Elles participent à leur façon à la lutte contre le réchauffement climatique et au maintien de la biodiversité. En théorie économique, tout service rendu mérite rémunération. Le problème est de savoir sur quelles bases on peut effectuer une telle évaluation et la comparer aux coûts éventuellement provoqués par la migration.

B. Quelle évaluation ?

a) Les difficultés d’une évaluation monétaire

17. C’est essentiellement l’évaluation des bénéfices qui est concernée ici. Il est en effet relativement facile d’évaluer les coûts comme ceux d’une pandémie ou d’une destruction de récoltes. En revanche, les services rendus par les espèces migratrices en matière de régulation des écosystèmes ou de valeur symbolique sont beaucoup plus difficiles à appréhender. Nous avons déjà rapporté sur cette difficulté dans la RSDA(9). Face à de telles externalités, la question est toujours de savoir si l’évaluation monétaire a un sens. Nous avons déjà suggéré qu’il y a des dimensions de la vie sociale qui ne sont pas réductibles à un montant d’argent. La valeur des espèces migratrices ne peut pas être réduite à la valeur des services rendus à l’économie. Leur valeur intrinsèque est beaucoup plus élevée voire infinie puisqu’elles ne sont pas reproductibles. Une espèce disparue est éteinte à tout jamais sans substitution possible. De façon générale, l’évaluation monétaire est liée à une représentation anthropocentrée de la nature qui exclut de fait la valeur intrinsèque de cette dernière. Ne compte que la valeur marchande des services rendus au bénéfice des humains. Voilà pourquoi une évaluation non monétaire est souhaitable, et ce d’autant plus qu’elle permet de mobiliser des instruments participatifs de prise de décision comme la conférence de citoyens. Plutôt que des décisions à dire d’experts d’analyse coûts/bénéfices, il est préférable de rechercher un compromis entre toutes les parties prenantes concernées pour penser une alternative au marché et à sa seule logique du profit.

b) Quelle alternative ?

18. Il nous apparaît que l’on a besoin de nouveaux instruments d’évaluation pour arrêter la destruction de l’environnement. C’est une véritable comptabilité écologique qu’il s’agit d’élaborer. Aujourd’hui, il faut respecter les conditions de soutenabilité telles que définies en théorie économique à partir des deux lois de la thermodynamique, ce qui signifie planifier la diminution de l’impact des activités humaines, compte tenu de la limitation des ressources naturelles disponibles. Cela implique une reconsidération de nos rapports avec l’environnement pour préserver l’habitabilité de la planète pour les humains. Pour ce faire, on a besoin de nouveaux instruments statistiques et comptables.

19. Si on prend l’exemple des espèces migratrices, trois étapes sont nécessaires : établir un état des lieux des espèces à protéger ; estimer l’ampleur des pressions exercées par les activités humaines sur ces espèces ; évaluer les coûts et bénéfices de la préservation de ces espèces. Nous avons présenté les difficultés inhérentes à l’élaboration d’une telle comptabilité autour de ces trois étapes. Les économistes ont choisi la voie de l’évaluation monétaire dont nous avons dénoncé toutes les insuffisances. Il s’agit maintenant de construire de nouveaux indicateurs pour aider à la décision. On a besoin de flexibilité dans l’identification et la valorisation des coûts et bénéfices liés aux stratégies de protection des espèces migratrices. On pourrait imaginer un tableau de bord flexible avec trois types d’indicateurs : des indicateurs monétaires quand cela est possible et pertinent ; des indicateurs non monétaires qui permettent d’avoir une évaluation quantitative des services rendus ; des indicateurs qualitatifs à partir d’entretiens et d’interviews afin de mieux appréhender l’épaisseur du réel. Il nous semble qu’à partir de là, il devrait être possible de faire la preuve que les bénéfices liés aux espèces migratrices l’emportent très largement sur les coûts, ne serait-ce que par la prise en compte de leur valeur intrinsèque évaluée à partir d’indicateurs qualitatifs et non plus monétaires. Une telle comptabilité écologique devrait permettre d’éviter des préconisations trop optimistes telles que celles présentées par le PNUED.

III. Préconisations

A. L’utopie des propositions du PNUE

a) Principales recommandations

20. Le PNUE recommande de s’attaquer aux principales causes d’extinction des espèces migratrices de la façon suivante : mettre en œuvre des obligations juridiques pour la protection des espèces inscrites dans la CMS (par exemple interdire la capture d’espèces appartenant à l’Annexe I) ; réduire la surexploitation (par exemple renforcer et élargir les efforts internationaux de collaboration pour lutter contre les prises illégales et non durables) ; protéger et conserver les habitats clés des espèces migratrices (par exemple renforcer les zones protégées transfrontières) ; supprimer les obstacles à la migration ; restaurer les écosystèmes ; atténuer la pollution lumineuse. On ne peut bien sûr que souscrire à de telles mesures au niveau de leur principe. Il s’agit pourtant de savoir si cela est bien réaliste !

b) L’irréalisme des recommandations

21. A aucun moment il n’est indiqué les conditions de mise en œuvre de ces préconisations : quels moyens disponibles ? quels objectifs et quels horizons de réalisation ? quelle coordination internationale ? Cette dernière condition est particulièrement importante dans le cas des espèces migratrices qui traversent des frontières nationales et sont donc soumises à des cultures juridiques et administratives différentes. Par ailleurs, une telle coordination serait absolument indispensable dans le cas des trafics illégaux d’espèces et de braconnage. Il y a également les positions de communautés locales qui ne sont pas nécessairement convergentes le long d’un même couloir de migration en fonction de leurs intérêts respectifs. Tout cela signifie que les instruments traditionnels utilisés à l’échelle locale ou nationale auront énormément de difficultés à se mettre en place à une échelle internationale. Des instruments économiques comme des taxes ou des permis échangeables manqueront d’une autorité centrale pour en assurer le fonctionnement. Des instruments réglementaires contraignants là encore sont difficilement envisageables à un niveau international. Au final, c’est un autre regard sur les espèces migratrices qu’il faudrait porter, ce qui signifierait un changement de paradigme économique.

B. Le réalisme de la décroissance

a) Une décroissance inéluctable

22. Des pénuries vont inévitablement survenir dans un avenir plus ou moins lointain (énergie, métaux, matières, sols, eau…), ce qui impliquera une baisse de la consommation et de la production. Ces pénuries peuvent ainsi offrir une opportunité pour vivre autrement et respecter la capacité de charge des écosystèmes. Dans le même sens, il sera possible de réorienter la production vers l’utilité sociale des produits et non plus la maximation du taux de profit. Néanmoins, il restera l’obstacle d’aménager au mieux le rationnement des ressources pour respecter certaines conceptions de la justice sociale. Tous les secteurs de l’économie seront concernés avec notamment le transport, l’énergie, l’eau, le numérique, l’agro-alimentaire.

23. Le capitalisme détruit la planète et menace son habitabilité pour l’espèce humaine qui risque ainsi la disparition. Il faudrait donc sortir du capitalisme et de sa logique de profit, ce que revendique le courant de la décroissance. Revendiquer la décroissance signifie ainsi reconnaître que l’on ne pourra pas satisfaire des besoins en expansion du fait de la croissance démographique, avec des ressources de plus en plus rares (eau, sols, métaux…). Plutôt que parier sur des innovations techniques plus ou moins illusoires pour essayer d’augmenter l’offre, il vaudrait mieux jouer sur la décroissance de la demande. Tous les secteurs de l’économie sont concernés (énergie, transport, agro-alimentaire, BTP, biens de consommation…). Les solutions existent pour consommer moins, produire moins mais mieux et pour créer des millions d’emplois (agriculture, réparation, remise en état, recyclage, services à la personne…). La solution n’est pas tant à rechercher dans la high-tech que dans les low-tech. Il est bien évident qu’un tel projet n’est pas réalisable dans le cadre d’un système capitaliste. Trois révisions radicales sont demandées : dans le régime de propriété, notamment pour une gestion collective des biens communs ; dans la répartition de l’énergie pour assurer la justice sociale ; dans l’élaboration d’une science sociale qui bannisse une bonne fois pour toutes l’illusion d’un découplage entre croissance économique et ressources et qui permette de prendre en considération la contrainte de seuils d’irréversibilité. Le capitalisme n’en est pas capable, un changement de système est nécessaire et le sort de l’animal voyageur en serait complètement bouleversé.

b) La réhabilitation de l’animal voyageur

24. On a vu que l’animal voyageur pouvait jouer un rôle positif dans la crise écologique actuelle. Les espèces migratrices ont le pouvoir d’améliorer la résilience des écosystèmes, d’aider à lutter contre le réchauffement climatique, d’améliorer l’adaptation aux aléas climatiques. Ces espèces ne doivent donc pas être vues comme des victimes du réchauffement climatique mais également comme faisant partie de la solution pour s’adapter à ses conséquences. Dans un monde de décroissance, les espèces migratrices retrouveraient toute leur légitimité. La plupart des pressions en provenance des activités humaines ayant diminué ou disparu, la migration pourra retrouver son cours normal.

Conclusion

25. Les espèces migratrices fournissent des services écosystémiques vitaux qui permettent notamment d’atténuer les effets du changement climatique. Mais ces espèces sont gravement menacées d’extinction par les conséquences de ce dérèglement provoquées pour l’essentiel par les activités humaines. Il serait urgent d’agir pour permettre aux espèces migratrices vulnérables de s’adapter. Il apparaît ainsi qu’une action mondiale coordonnée serait nécessaire mais qu’elle est très peu probable compte tenu de la guerre économique que se mènent l’ensemble des nations. La solution ne peut alors venir que d’un changement de modèle économique qui permette de réduire les pressions sur l’environnement. Le système capitaliste n’est pas capable, par essence, d’atteindre un tel objectif. Il faudra à terme se résoudre à admettre que la décroissance est inévitable pour la survie de l’humanité. Il ne s’agit plus de proposer des remèdes qui s’apparentent à du greenwashing, mais de mettre en place un modèle de sobriété qui soit soutenable à long terme. Dans un tel monde, l’animal voyageur retrouverait toute sa beauté à nous fournir des services écosystémiques vitaux. L’utopie n’est pas dans la décroissance qui est notre condition de survie mais dans la croissance économique sans limites qui n’est pas physiquement possible et qui nous conduit irrémédiablement vers l’abîme.

Mots clés : espèces migratoires ; services écosystémiques ; analyse coûts/bénéfices ; valeur économique ; externalités ; évaluation monétaire.

 

 

 

  • 1 J.J. Gouguet, La disparition du saumon atlantique. De l’épopée du poisson sauvage à l’aquaculture industrielle, RSDA 2017/1.
  • 2 PNUE : Etat des espèces migratrices dans le monde. PNUE-WCMC 2024 : www.unep-wcmc.org
  • 3 PNUE (2024) op.cit.
  • 4 J.J. Gouguet, « Le braconnage des animaux sauvages en Afrique. Quelle régulation du marché ? » RSDA 2017/2.
  • 5 J.J.Gouguet , « l’animal nuisible utile : les leçons d’un paradoxe ». RSDA 2012/1
  • 6 J.J.Gouguet, « Zoonoses : l’impératif économique d’une politique de prévention ». RSDA 2021/1
  • 7 Pour une présentation approfondie, voir : Climate change and migratory species : a review of impacts, conservation actions, indicators and ecosystem services.
  • 8 Part 1 : impacts of climate change on migratory species Part 2 : conserving migratory species in the face of climate change Part 3 : migratory species and their role in ecosystems. Joint Nature Conservation Committee (JNCC) https://hub.jncc.gov.uk. Voir J.J.Gouguet, « la valeur, l’abeille et le système », RSDA 2011/2 ; « L’animal nuisible utile, les leçons d’un paradoxe », op.cit. ; « Zoonoses : l’impératif économique d’une politique de prévention », op.cit. ; « De l’évaluation des services écosystémiques rendus par les oiseaux », RSDA 2020/2.
 

RSDA 2-2024

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