Actualité juridique : Bibliographie

Penser un droit international fondé sur le vivant pour lutter contre la crise écologique

Tourme Jouannet Emmanuelle, Un nouveau droit international écologique – Habiter autrement la Terre, Editions Bruylant, Bruxelles, 2024, 341p, 45 euros.

 

Malgré les annonces, rapports, conférences, catastrophes naturelles multiples nous avertissant de la crise écologique mondiale affectant la Terre, le droit international – échelle la plus appropriée pour résoudre une perturbation planétaire – ne fait l’objet d’aucune modification d’ampleur majeure pour y remédier.

Dans son ouvrage, l’autrice parviens à expliquer les raisons pour lesquelles existe un tel immobilisme ou quasi-immobilisme juridique engendrant in fine une inefficacité du droit international actuel – notamment de l’environnement1 – pour résoudre cette crise. En effet, si des tentatives d’adaptations et des recherches de transitions par le biais des textes de droit sont pensées au fil du temps2, la crise écologique ni ne s’efface ni ne diminue.

Au sein de son écrit, l’autrice retrace alors l’histoire de la pensée ayant conduit à la vision anthropocentrique caractérisant le droit international et affectant tant les entités naturelles non humaines que certains peuples humains3, met en exergue les concepts, les travaux de penseurs ayant œuvré pour tenter de modifier la perception des Autres4, et expose régulièrement ce qui nuit à la considération de l’ensemble du vivant par ce droit international.

Surtout, la Professeure Emmanuelle Tourme Jouannet va proposer une modification importante du droit international afin que survivent et cohabitent les espèces dans des conditions adaptées. Elle présente une possibilité de déconstruction de la vision anthropocentrique de ce droit, une rupture avec le « Grand partage »5 ainsi qu’une nouvelle perception du vivant sur le plan juridique mais aussi en termes d’appréhension personnelle de l’Autre vivant.

Les grandes qualités de cet ouvrage reposent sur sa clarté évidente mais encore sur l’appréhension interdisciplinaire du sujet6 qui ne s’observe encore que trop peu souvent au sein des travaux juridiques – et qui s’évère pourtant régulièrement nécessaire. Outre cela, le fait que l’autrice propose un droit prospectif construit de telle sorte que toute entité vivante soit considérée enrichit encore davantage son écrit.

L’anthropocentrisme à l’origine de la négation du vivant non humain

Les trois premiers chapitres de l’ouvrage sont essentiellement consacrés à la mise en évidence du fondement même de la négation plus ou moins relative du vivant non humain au sein du droit international : la pensée anthropocentrique.

Néanmoins, et comme le souligne la Professeure, le droit international ne se caractérise pas uniquement par un actuel anthropocentrisme affectant la considération des Autres vivants. Elle note en effet l’existence d’une vision réductrice qu’ont eu les droits européen et américain à l’égard des autres cultures avant que ne soit forgé, dans sa forme première, le « droit international ». Il serait ainsi possible d’évoquer ici un « anthropocentrisme régional » ayant affecté ce nouveau droit, ce droit international qui pourtant avait vocation à considérer toutes et tous.

De cette pensée résultèrent alors des textes profitant davantage à certains, caractérisés par un esprit de « domination » de la nature mais aussi de certains êtres humains tel que souligné en l’espèce7.

Ces spécificités réduisent alors drastiquement les possibilités de « gestion » raisonnable et réellement commune de la maison de tous les vivants, la Terre8.

Si le droit international est finalement parvenu à instaurer un « égalitarisme juridique formel »9 à compter de la moitié du XXème siècle, il n’en reste pas moins, tel que soulevé dans le chapitre trois, un droit caractérisé par un anthropocentrisme explicite ou suggéré accompagné d’une appréhension de l’Autre en tant qu’alieni iuris10, entité soumise à la puissance de l’humain.

Au sein de ce droit international, c’est le droit relatif à l’environnement qui va en l’espèce davantage intéresser l’autrice et le lecteur étant donné le rôle majeur qu’il tient dans la gestion de la crise écologique. Madame la Professeure Emmanuelle Tourme Jouannet lui consacre notamment la dernière partie de son troisième chapitre en y mettant en exergue les lacunes qu’il présente aujourd’hui et qui nuisent à son efficacité11.

Elle explique entre autres choses que les discussions étant d’autant plus complexes à une telle échelle, et les enjeux économiques si forts et privilégies12, que la recherche d’équilibre, de justice sociale entre Etats, constitue ainsi l’une des causes de manque d’effectivité de ce droit international de l’environnement. La compatibilité des normes et objectifs à atteindre constituant une autre problématique nuisant à cette effectivité13.

Si ce droit international de l’environnement aurait donc vocation en principe à résoudre la crise écologique touchant actuellement la Terre, il s’avère finalement peu ou non efficace14.

La déconstruction de l’anthropocentrisme juridique pour permettre la survie du vivant : l’instauration d’un droit international écologique

 L’objet du chapitre 4 de l’ouvrage est d’expliquer comment il est possible de passer d’une vision anthropocentrique à biocentrique du droit international dans le cadre duquel l’entité vivant, et non seulement l’entité humaine, occuperait alors une place centrale.

L’autrice s’attèle ici à démontrer notamment que les normes internationales sont aujourd’hui caractérisées par un immobilisme juridique en termes de considération et protection du vivant15 malgré les multiples données scientifiques ayant permis de démontrer que ce qui était jusqu’alors pensé comme étant le propre de « l’homme » se trouvait en réalité bien souvent constituer des caractéristiques « en partage ». Tel que l’indique alors si bien l’autrice, cela justifie que soit reconnue « une valeur unique et singulière » à chaque être et que le droit international s’oriente vers une appréhension de tous en tant que centre de la norme16.

Emmanuelle Tourme Jouannet n’oublie néanmoins aucunement de mettre en exergue le fait que le droit international se préoccupe de l’animal et lui consacre des dispositions spécifiques destinées entre autres à le protéger dans diverses circonstances de sa vie. Toutefois, elle note aussi très justement que ces normes lui octroient une protection relative, essentiellement dans un contexte d’utilisation de l’être17.

À la suite de ces observations, Madame la Professeure consacre une partie de son développement à une présentation de solutions juridiques – au nombre de trois - permettant l’instauration d’un droit international écologique biocentrique18 parmi lesquelles celle qui sera au cœur de la réflexion à suivre : l’octroi de droits à la nature ou à des entités vivantes déterminées pour elles-mêmes. Cette troisième solution semble en effet particulièrement adaptée au changement de paradigme juridique : elle permet une véritable nouvelle appréhension du vivant non humain considéré pour lui-même et subjectivisé dans son intérêt19.

Comme l’explique particulièrement bien l’autrice, et de façon très claire – qualité de l’ouvrage à noter une nouvelle fois car permettant une lecture agréable également par les profanes, l’appréhension repensée du vivant non humain passera par la reconnaissance juridique de sa valeur intrinsèque et de ses intérêts permettant de lui octroyer in fine une personnalité juridique et de l’intégrer – en tout ou partie ; seulement quelques entités par exemple - aux sujets de droits20.

Illustrant son propos par le biais de divers exemples21 – point positif s’il en est, l’autrice démontre que ces déréification et subjectivisation sont possibles sur le plan juridique. Que se sont elles qui permettraient l’instauration d’une vision biocentrique du droit à l’échelle internationale car l’entité vivante, qu’importe sa nature humaine ou non, serait considérée pour elle-même, indépendamment de ce qu’elle peut apporter à autrui – essentiellement à l’être humain.

Qualifiant d’« espèce parente » l’Autre vivant22, l’autrice va plus loin dans son explication du biocentrisme juridique en s’attelant à démontrer qu’il n’existe pas d’obstacle empêchant l’octroi de la personnalité juridique au non humain23 ; la personne morale témoignant de cela – la Professeure tenant néanmoins et à juste titre à souligner que cette « fiction » se conçoit toutefois eu égard l’objet actuel du droit : il est pensé par et pour l’humain. Elle note d’ailleurs que cela fut envisagé par divers auteurs, notamment Christopher Stone, auteur du très célèbre « Les arbres devraient-ils pouvoir plaider ? ».

Les droits24 qui seraient attribués à l’« Autre » vivant consisteraient en des droits subjectifs dissociables des obligations – ce qui se conçoit tout à fait dès lors qu’une nouvelle condition juridique est envisagée et que sont prises en compte certaines exceptions déjà existantes tel le cas particulier de la condition du nourrisson. Il ne s’agirait en outre aucunement d’une transposition des droits détenus par les êtres humains mais de droits adaptés aux besoins des autres vivants grâce à l’identification préalable de leurs intérêts propres.

Conclusion

Proposant d’agir concrètement pour lutter contre la crise écologique du moment25 par le biais d’une proposition de changement de paradigme juridique en termes d’appréhension du vivant non humain, Madame Emmanuelle Tourme Jouannet démontre, en recourant à la technique juridique, que la modification du système n’est en aucun cas « insurmontable »26. Elle livre un ouvrage clair, passionnant et porteur d’un message encourageant pour l’avenir.

 

  • 1 Voir en ce sens, p.18-19 de l’ouvrage. Par la suite, chaque note de bas de page renvoyant à une ou plusieurs pages sans autres précisions signifiera qu’il s’agit de page(s) de l’ouvrage de Madame Emmanuelle Tourme Jouannet faisant ici l’objet d’une chronique.
  • 2 Voir en ce sens, p.317-318.
  • 3 Voir le chapitre 1 essentiellement. Voir également le chapitre 2 en ce qui concerne l’aspect dominateur de quelques droits – américain, européen - ayant affecté des peuples.
  • 4 Voir le chapitre 1 essentiellement.
  • 5 Ce terme renvoie à la séparation opérée dans la pensée, les textes de droit et autres travaux entre l’humain d’un coté et la nature de l’autre. Voir pour exemple p.32.
  • 6 Voir en ce sens, notamment : p.44-45, 68-69, 155, 167.
  • 7 Voir en ce sens essentiellement le chapitre 2.
  • 8 P.80 et s.
  • 9 P.88.
  • 10 Voir pour une explication de cette notion, notamment : M. Villey, Le droit et les droits de l’homme, PUF, Paris, 2009, p. 101.
  • 11 P.110 et s.
  • 12 P.138-139.
  • 13 Voir par exemple : p.123 et s.
  • 14 P.143.
  • 15 P.152 et s.
  • 16 P.163 et s.
  • 17 P.191-192. Notons cependant que si l’autrice évoque quelques exceptions à cette protection relative au profit de certaines espèces protégées, il importe de souligner que même dans ce cadre des exceptions ont été instaurées afin qu’une utilisation de l’animal appartenant à une espèce dite protégée puisse finalement être mise en œuvre (exemple des normes de la CITES – voir le texte de la Convention, article 2).
  • 18 P.198-222.
  • 19 Voir plus particulièrement p.208-210.
  • 20 P.210.
  • 21 P.210 et s.
  • 22 Cela permet notamment de rompre avec la vision utilitariste de ces Autres. Voir en ce sens, p.217 et s.
  • 23 P.222-233. Pour justifier l’intégration du non humain à la catégorie des sujets, l’autrice met également en exergue l’évolution par le biais de l’élargissement, au cours des siècles passés, de la sphère des sujets de droits. 
  • 24 Voir le §5 de l’ouvrage, p.234 et s.
  • 25 P.317-318.
  • 26 P.260.
 

RSDA 2-2024

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