Droit de l'environnement
I/ Actualité de certains accords environnementaux multilatéraux
1- « Où qu’elle survienne, l’injustice est une menace pour la justice en tous lieux. Nous sommes pris dans un inéluctable filet de coresponsabilité, enfermés dans l’enveloppe d’une même destinée. Tout ce qui affecte directement l’un, affecte indirectement tous les autres. » 1. Ce qu’il nous a semblé tout d’abord important de mettre en lumière dans la présente chronique dédiée au droit international de l’environnement, c’est toute une série de petits pas, voire de régressions de la protection internationale des espèces animales sauvages, identifiées à travers différentes conférences des parties (COP) qui se sont déroulées au cours de l’année 2024 au sein d’accords multilatéraux environnementaux (AME). Il est toujours permis de se demander si, après une période de particulière frénésie normative, le droit international de l’environnement n’est pas arrivé à un point de basculement qui lui imposerait de se renouveler en profondeur (A). Il faut aussi et surtout mettre en lumière la très grande injustice ayant conduit à la détention, même si celle-ci n’était que temporaire, de Paul Watson, emblématique fondateur de l’ONG Sea Sheperd, arrêté le 21 juillet 2024 par la police danoise sur ses terres groenlandaises, avant d’être finalement relâché le 17 décembre 2024. Cela questionne sur le triste sort réservé aux défenseurs des animaux sauvages, y compris sur un continent européen que l’on aurait pu croire relativement épargné, et sur la nécessité pour l’avenir de renforcer singulièrement la protection internationale des personnes qui, par leur action sur le terrain, œuvrent sans relâche pour le respect des AME (B).
A/ La méthode des petits pas toujours au cœur des COP environnementales
2- Présenté lors d’une précédente chronique 2, le nouveau Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal (ci-après GBF), adopté le 19 décembre 2022 lors de la 15e COP de la Convention sur la diversité biologique (CBD), devait conduire à l’émergence de nouveaux engagements plus ambitieux en faveur de nouveaux objectifs fixés à horizon 2030 et 2050. On rappellera utilement que ce cadre mondial post-2020, succédant aux objectifs d’Aïchi, se compose d’une part, de quatre grands objectifs pour 2050 axés sur la santé des écosystèmes et des espèces (notamment pour mettre fin à l’extinction d’origine anthropique d’espèces), l’utilisation durable de la biodiversité, le partage équitable d’avantages, ainsi que la mise en œuvre et le financement des actions en ce domaine, mais aussi de 23 cibles établies à l’horizon 2030 3. Ainsi, ce cadre prévoit plus particulièrement la conservation de 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines ; la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés ; la réduction de moitié de l’introduction d’espèces envahissantes ; et la réduction des subventions préjudiciables à hauteur de 500 milliards de dollars par an. Pour l’heure, les engagements pris lors de la COP 15 restent encore largement à concrétiser, et devront nécessairement conduire à des évolutions au sein de l’ensemble des accords environnementaux multilatéraux (AME) spécifiquement dédiés à la protection des espèces animales sauvages. Que peut-on observer à ce sujet au sein des différentes COP intervenues au cours de l’année 2024 ?
a/ L’échec cuisant de la 16e COP de la CBD : une absence de décisions sur les financements et sur le suivi des engagements des Etats pris lors de la précédente COP
3- Au cours de l’année 2024, trois COP importantes se sont déroulées à quelques semaines d’intervalle : la 16e session de la COP Biodiversité du 16 au 21 octobre 2024 (à Cali, en Colombie), la 29e session de la COP Climat du 11 au 22 novembre 2024 (à Bakou, en Azerbaïdjan) et la 16e session de la COP Désertification du 2 au 13 décembre 2024 (à Riyad, en Arabie Saoudite). S’il est important de détailler l’actualité de la 1ère, il ne faut pas occulter celle des deux autres, ces 3 conventions étant plus particulièrement interconnectées et au service de la protection des animaux sauvages bien que les conventions Climat et Désertification soient plus transversales.
4- L’occasion manquée de faire progresser la lutte contre l’effondrement de la biodiversité. La COP 16 de la CBD était particulièrement attendue pour concrétiser le nouveau cadre mondial biodiversité adopté lors de la précédente COP. Les Etats parties devaient à cette occasion soumettre leurs Stratégies et Plans d’Action Nationaux pour la Biodiversité (SPANB) révisés et mis à jour, tel qu’exigé par le GBF. Si 44 d’entre eux ont bien tenus leur engagement, beaucoup ne l’ont rempli que très partiellement (119 Etats) ou n’ont même rien présenté du tout (33 Etats). Il est à noter que l’ONG WWF a ainsi mis au point un précieux outil de suivi des SPANB qui se propose d’évaluer les documents nationaux à l’aune de plus de 60 critères et à l'aide d’une liste de contrôle des stratégies et objectifs nationaux du WWF. L’ONG entend ainsi inciter les pays à prendre des mesures plus ambitieuses en leur indiquant la voie à suivre 4, les Etats parties devant de toute manière mettre en œuvre leurs SPANB conformément à l’article 20 de la CBD. Cet outil donne une vision très fine du cadre juridique de chaque Etat en ce domaine, facilitant l’accès à d’utiles informations pour tous les citoyens soucieux de connaitre pour chaque Etat la mise en œuvre de ses engagements.
5- La création d’un fonds de financement spécial dédié exclusivement à la biodiversité dans une totale impasse. Si des accords ont pu être trouvés sur le partage des bénéfices découlant des ressources génétiques de la nature 5 ou encore le rôle des peuples autochtones, cette COP devait avant tout et surtout faire en sorte que les Etats tombent d’accord sur deux points cruciaux, à savoir le suivi des engagements d’une part et les financements d’autre part. Cela ne sera toutefois pas le cas, ces deux questions ayant été reportées à la prochaine COP faute de quorum nécessaire pour poursuivre les débats, mettant fin prématurément aux discussions engagées. Pourtant, pour réaliser pleinement les ambitions du GBF, la mise à disposition de moyens de mise en œuvre adéquats, suffisants, prévisibles et accessibles, notamment en matière de ressources financières, de renforcement des capacités et de développement des capacités, de coopération technique et scientifique ainsi que de transfert de technologie, plus particulièrement pour les pays en développement, reste un point névralgique. Certains pays en voie de développement (dont l’Afrique du Sud, le Brésil ou le Zimbabwe) avaient réclamé la création d’un nouveau fonds, exclusivement dédié à la biodiversité. En effet, l’enveloppe budgétaire allouée à la protection de la biodiversité fait pour l’heure partie du Fonds mondial pour l’Environnement (FEM), ce qui n’est pas sans poser problème car les pays en ayant le plus besoin ont peu de ressources pour le solliciter. L’Union européenne, ainsi que certains pays tels que le Canada, la Suisse, le Japon et la Norvège, se sont montrés particulièrement hostiles à une telle demande, au motif que la multiplication des fonds ne résoudrait en rien le problème. Pour contrebalancer leur position, ils se sont ainsi engagés à contribuer collectivement au FEM, à hauteur de 160 millions de dollars (qui pourront être portés jusqu’à 400 millions). On ne peut que déplorer qu’une telle opposition entre Etats du Sud et du Nord ait conduit à une situation de statu quo sur ce point.
6- La question des financements au cœur des préoccupations des COP Climat et Désertification. Sans une lutte efficace contre les changements climatiques ou contre la désertification à l’échelle globale, tous les efforts entrepris pour protéger les espèces animales sauvages pourraient ne pas servir à grand-chose. Les moyens financiers faisant également cruellement défaut, les finances étaient là aussi au cœur des négociations. Là où la COP Climat devait chercher à convaincre les pays les plus développés d’accroitre les financements à destination des pays les moins développés pour renforcer leurs efforts d’atténuation et d’adaptation au climat, la COP Désertification devait pour sa part se préoccuper de débloquer les financements publics et privés pour la restauration des terres et la résilience face à la sécheresse. Les résultats obtenus n’ont pas été à la hauteur des espérances, ce qui ne présage donc rien de bon pour la protection internationale de la faune sauvage.
b/ Actualité en demi-teinte des autres AME spécifiquement dédiés à la protection des espèces animales sauvages
7- Pour ce qui concerne les autres AME relatifs à la protection des espèces animales sauvages, on s’arrêtera ici de façon non exhaustive sur la Convention de Bonn sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (CMS), le récent accord mondial portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine hors juridictions nationales (BBNJ) ou encore sur la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe (Convention de Berne).
8- Adoption du nouveau plan d’action stratégique pour la protection des espèces migratrices. Si la prochaine COP CITES n’aura lieu qu’en 2025 et permettra de célébrer le 50e anniversaire de cette convention, pour l’heure c’est du côté de la 14e COP de la CMS 6 que s’observent l’importance et l’urgence d’une concrétisation du GBF. A cette occasion, a été dévoilé le tout premier rapport sur l’état des espèces migratrices dans le monde 7, issu d’une collaboration fructueuse entre le Centre mondial de surveillance continue de la conservation du Programme des Nations unies pour l’environnement et le secrétariat de la Convention de Bonn. Ce rapport constitue une étape importante dans les efforts de synthèse et de communication des connaissances nécessaires pour faire avancer l’action sur la scène internationale puisqu’il indique que les niveaux de risque d’extinction augmentent pour l’ensemble des espèces inscrites à la CMS 8. En effet, 51% des zones clés pour la biodiversité, identifiées comme importantes pour la conservation des espèces migratrices ciblées par la CMS, n’ont pas donné lieu aux mesures étatiques protectrices escomptées. En outre, le rapport recense 399 espèces migratrices mondialement menacées ou quasi menacées, non encore inscrites à la CMS et ne bénéficiant actuellement d’aucune protection internationale. Pour tenter d’inverser ces tendances, les Etats signataires de la Convention de Bonn ont adopté par consensus les 14 propositions d’amendement aux annexes CMS permettant désormais aux animaux migrateurs tels que le requin-taureau, le grand dauphin de Lahille, le pélican thage ou encore la raie-aigle vachette de figurer aux annexes I et II. Mais c’est surtout pour pallier le manque de progrès mis en lumière lors du bilan du Plan d’action stratégique pour la protection des espèces migratrices 2015-2023, qu’un nouveau plan d’action stratégique a été adopté à l’issue de cette COP. Ce plan, destiné à faire progresser la mise en œuvre de nombreuses cibles du GBF, liste les actions à mener en vue d’améliorer la conservation de ces espèces, autour des six grands objectifs suivants : l’amélioration de l’état de conservation des espèces migratrices ; le maintien et la restauration des habitats et aires de répartition des espèces migratrices pour favoriser leur connectivité ; l’élimination ou la réduction significative des menaces pesant sur les espèces migratrices ; la mise en œuvre de la CMS en s’appuyant sur des connaissances, des capacités et des ressources adéquates ; le soutien à la mise en œuvre de la CMS par une gouvernance efficace, y compris l’utilisation des meilleures données scientifiques et informations disponibles et le travail en collaboration ; le renforcement du profil de la CMS et les synergies avec d’autres cadres internationaux pertinents. Si un tel plan est ambitieux et pourrait significativement améliorer à terme le sort des animaux migrateurs, les chances de mise en œuvre d’ici 2032 par des Etats peu proactifs en ce domaine restent toutefois bien minces…
9- Adoption d’un nouvel accord pour protéger la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales. L’accord BBNJ 9, qui est venu compléter la « constitution des océans » 10, a été adopté le 19 juin 2023 par 105 Etats et l’Union européenne mais son entrée en vigueur est suspendue pour le moment à un nombre de ratifications suffisantes. Destiné à assurer une protection de la diversité biologique marine en haute mer, soit en dehors des zones économiques exclusives (ZEE) et du plateau continental des États côtiers (ce qui représente 60% des océans), ce traité doit notamment conduire les parties contractantes à créer des outils de gestion par zones, à l’instar des aires marines existant dans les eaux territoriales afin d’y préserver, restaurer et maintenir la biodiversité, mais aussi à internationaliser les décisions sur les études d'impact environnemental qui doivent identifier et prévenir les atteintes générées par les activités engagées dans cette zone jusqu’ici non réglementée. Cet accord additionnel, qui procède ainsi à une approche beaucoup plus environnementale que celle prévalant dans la convention-cadre de Montego Bay, sera sans nul doute l'un des outils privilégiés pour atteindre l'objectif du GBF visant à protéger au moins 30% des océans de la planète d'ici à 2030. Mais encore faut-il qu’il puisse obtenir les 60 ratifications nécessaires.
10- Triste nouvelle pour la protection stricte de lupus canus sur le continent européen. A noter enfin, à l’échelle du Conseil de l’Europe, que la dernière réunion du Comité permanent de la Convention de Berne, relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, qui s’est tenue du 2 au 6 décembre 2024, a été source d’une immense déception. A ainsi été entérinée la proposition de l’Union européenne visant à modifier les Annexes II et III de la Convention en ce qui concerne le loup en vue d’assouplir la protection stricte qui lui était jusqu’ici accordée 11. En effet, la protection stricte conduisait à ce que les loups ne soient ni tués, capturés, détenus ou dérangés de façon intentionnelle, en particulier pendant la période de reproduction et de dépendance, leurs sites de reproduction ne devant pas être endommagés ou détruits (Article 6 de la Convention de Berne). Toutefois des exceptions pouvaient être accordées dans des circonstances dûment justifiées, telles que la prévention de dommages importants ou dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d’autres intérêts publics prioritaires, s’il n’existait pas d’autre solution satisfaisante et que la survie de la population concernée n’était pas en danger (Article 9 de la Convention de Berne). La Directive Habitats, qui prévoit pour l’heure une protection idoine, pourrait dans les prochains mois subir un même sort régressif, même s’il faut d’emblée préciser qu’une telle révision exigerait en principe d’obtenir un vote à l’unanimité au Conseil. « De nombreux experts ont pourtant rappelé que la proposition de déclassement ne reposait sur aucune base scientifique. Le groupe de spécialistes de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a notamment publié un communiqué particulièrement critique, dans lequel il rappelait "le principe important" selon lequel les décisions en matière de protection de l’environnement devaient "être basées sur la science et pas (seulement) sur des raisons politiques" » 12. Il est évident qu’une telle décision pourrait avoir à l’avenir des répercussions importantes sur d’autres espèces animales sauvages telles que l’ours ou le lynx, elles aussi vilipendées par certains Etats qui en demandent d’ores et déjà le déclassement.
11- Quelles nouvelles dynamiques pour le droit international de l’environnement à l’avenir ? Le multilatéralisme nous montre ici clairement ses limites, lenteur voire blocage parfois des processus multilatéraux, ce qui n’est d’ailleurs pas propre à la coopération internationale en matière d’environnement. Pour autant, le multilatéralisme reste l’instrument privilégié pour faire face à des problématiques environnementales avant tout globales et transnationales. Que faire par conséquent pour améliorer ces processus et faire en sorte que des mesures concrètes et effectives soient mises en place pour faire progresser la protection des animaux sauvages à l’échelle internationale ? Il faut certes continuer prioritairement de parfaire les cadres multilatéraux existants et faire en sorte qu’ils soient bien mis en œuvre, mais il faut surtout proposer d’en rénover opportunément la gouvernance, en revoyant notamment le fonctionnement des COP, soit en les regroupant par grandes thématiques pour éviter qu’elles ne continuent à fonctionner en silos, soit en les espaçant davantage (tous les 3 ans par exemple) pour donner la possibilité d’organiser annuellement des COP régionales de proximité, plus en phase avec les réalités concrètes locales. Il est aussi permis d’envisager de rendre les traités relatifs à la protection des animaux sauvages plus interdépendants en créant des outils communs ou mutualisés permettant de remplir les obligations découlant de plusieurs textes, de façon plus synergique. Il est enfin possible d’envisager de faire du droit international de l’environnement un laboratoire où pourrait s’expérimenter sur le terrain conceptuel de nouvelles approches juridiques plus écocentrées et plus éthiques 13, complétant les approches anthropocentrées et techniques, voire anéthiques qui prévalent actuellement dans la grande majorité des AME relatifs à la protection du vivant animal, encore trop gouvernés par une logique de marchandisation. C’est ici un vaste domaine restant pour le moment trop peu exploré à l’échelle internationale.
B/ Arrestation et détention de Paul Watson : la nécessité de renforcer significativement la protection internationale des défenseurs des animaux
12- A l’été 2024, l’un des plus grands défenseurs des baleines, le capitaine Paul Watson, a été arrêté à Nuuk au Groenland alors qu’il venait d’accoster avec son équipage pour ravitailler son navire en carburant. Co-fondateur de Greenpeace puis fondateur de l’ONG Sea Sheperd, il a ainsi été détenu pendant 149 jours avant d’être libéré. Cet évènement est d’abord révélateur des fortes pressions diplomatiques subies par un pays européen et orchestrées par le plus grand fossoyeur de baleines au monde. C’est aussi une occasion de réfléchir à l’opportunité de renforcer le statut international si l’on veut mieux protéger ceux qui œuvrent pour nous alerter du non-respect des AME par certains Etats.
13- Ces pays qui font fi du droit international protecteur des cétacés. Faut-il rappeler que le Japon fait partie des trois pays avec l’Islande 14 et la Norvège qui ne respectent pas le moratoire adopté par la Commission baleinière internationale (CBI). A ce sujet, le Japon a fait l’objet d’une condamnation sans équivoque par la Cour Internationale de Justice en 2014. Saisie par l’Australie 15, la CIJ a conclu que les baleines mises à mort, capturées et traitées au titre de permis spéciaux par le Japon en Antarctique ne l’étaient pas à des fins de recherche scientifique et que cet Etat avait donc agi en violation du droit international 16. Cette condamnation l’avait ainsi conduit à sortir de la CBI en 2018, le Japon s’appuyant inlassablement sur la défense d’une culture alimentaire traditionnelle pour perpétuer égoïstement une chasse commerciale, sans tenir compte ni de la nécessité de préserver ces cétacés, ni de la cruauté de pareille activité. Un nouveau navire baleinier a même été inauguré en mai 2024, démontrant que le Japon ne compte pas relâcher son activité dans ses eaux territoriales, bien au contraire, et ce même si la consommation de la viande de baleine continue de chuter. Le Japon en a même profité pour annoncer qu’il allait de nouveau chasser, outre le rorqual tropical et le rorqual boréal, le rorqual commun alors que les baleiniers japonais n'en ont plus tué depuis 2011. Comme l’a souligné l’ONG IFAW, « cette décision sape les efforts mondiaux de conservation des baleines dans un contexte où ces cétacés sont déjà confrontés à de grandes menaces, telles que le changement climatique » 17. Paul Watson était d’ailleurs de ceux qui avaient vivement réagi à cette annonce, mettant en lumière le caractère illégal de la chasse commerciale visant le rorqual commun, et s’engageant à bloquer physiquement toute opération en dehors de la ZEE du Japon. On comprend dès lors que le Japon n’avait que pour unique projet de contrer l’activiste, allant jusqu’à faire pression politiquement sur le gouvernement danois pour procéder à son arrestation et réclamer son extradition.
14- Une arrestation, une détention et une demande d’extradition destinées à bâillonner l’emblématique défenseur des baleines. Connu pour ses interventions musclées à l’encontre des baleiniers, nombreuses sont les voix qui se sont élevées à travers le monde pour demander la libération du plus fervent défenseur des océans et de sa biodiversité marine. Car cette arrestation semblait avant tout politique même si elle s’appuyait sur un semblant de fondement juridique, soit une notice rouge d’Interpol émise en 2012 pour des faits d’agression à la bombe puante commis en 2010 à bord d’un navire immatriculé au Japon, faits « mineurs » pour lesquels Paul Watson encourrait jusqu’à 15 ans de prison. Pourtant, comme le souligne à juste titre Corinne Pelluchon, « le militant qui a sauvé 5 000 cétacés était prêt, encore une fois, à risquer sa vie pour une baleine, mais sans blesser quiconque. Car jamais ses actions n’ont causé de blessures à un être humain ni entraîné de dommages significatifs sur le matériel d’autrui. Il a cependant porté un préjudice moral non pas au Japon, mais à celles et ceux qui veulent développer un commerce profitant à une poignée de nantis » 18. De telles manœuvres s’apparentent à celles des procédures baillons, qui consistent le plus souvent en des actions en justice visant à neutraliser, censurer et réprimer des personnes ou des groupes ayant pris part au débat public sur certains sujets donnant lieu à controverse. Elles sont aujourd’hui fréquemment utilisées contre ceux que le PNUE appelle les défenseurs environnementaux 19. Sur tous les continents, ces personnes sont ainsi confrontées à des mesures d’intimidation, de représailles et à des violences morales ou physiques qui peuvent parfois aller jusqu’au meurtre 20. Mais on a du mal à croire que sur le continent européen de tels comportements puissent se produire, alors que, comme en dispose le § 8 de l’article 3 de la Convention d’Aarhus 21, « chaque Partie veille à ce que les personnes qui exercent leurs droits conformément aux dispositions de la présente Convention ne soient en aucune façon pénalisées, persécutées ou soumises à des mesures vexatoires en raison de leur action ». En octobre 2021, alarmée par la grave situation à laquelle étaient confrontés certaines personnes, la Réunion des Parties à la Convention d'Aarhus avait adopté, par consensus, la Décision VII/9 établissant un mécanisme de réaction rapide sous la forme d'un Rapporteur Spécial sur les Défenseurs de l'Environnement, dont le rôle est de prendre des mesures pour protéger les défenseurs de l'environnement qui subissent, ou qui risquent de subir, des persécutions, des sanctions ou des harcèlements 22.
15- L’important travail réalisé par Michel Forst, premier rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l'environnement au titre de la Convention d'Aarhus. Il faut en effet saluer la note de positionnement de celui qui a été désigné en juin 2022 à cet important poste. Elle permet d’alerter sur ces formes de manifestation, parfois qualifiées de « désobéissance civile », considérées pour certains comme étant antidémocratiques et violentes. Paul Watson a d’ailleurs été régulièrement qualifié d’éco-pirate, voire d’écoterroriste, terme pourtant totalement inapproprié 24 et ayant pour seul dessein de discréditer la radicalité des méthodes employées par certains militants. Michel Forst relève que, de façon alarmante, partout en Europe on assiste à une montée en puissance de la volonté étatique de criminaliser de tels comportements. Or, « la répression que subissent actuellement en Europe les militants environnementaux qui ont recours à des actions pacifiques de désobéissance civile constitue une menace majeure pour la démocratie et les droits humains. L’urgence environnementale à laquelle nous devons collectivement faire face et que les scientifiques documentent depuis des décennies, ne pourra pas être réglée si ceux qui tirent la sonnette d’alarme et exigent des mesures sont criminalisés pour cette raison. La seule réponse légitime au militantisme environnemental et à la désobéissance civile pacifique, c’est que les autorités, les médias et le public réalisent à quel point il est essentiel pour nous tous d’écouter ce que les défenseurs de l’environnement ont à dire » 25. Michel Forst a ainsi adressé les 5 messages clés suivants à l’attention des Etats qui doivent selon lui - s'attaquer aux causes profondes des mobilisations environnementales, - prendre des mesures immédiates pour contrer les récits qui présentent les défenseurs de l'environnement et leurs mouvements comme des criminels, - ne pas utiliser l'augmentation du recours à la désobéissance civile environnementale comme prétexte pour restreindre l'espace civique et l'exercice des libertés fondamentales, - respecter leurs obligations internationales en matière de liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association dans leur gestion des manifestations et de la désobéissance civile environnementales, et cesser immédiatement d'utiliser des mesures conçues pour lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée à l'encontre des défenseurs de l'environnement, et enfin - veiller à ce que l'approche des tribunaux à l'égard des manifestations perturbatrices, y compris les peines imposées, ne contribue pas à restreindre l'espace civique. En attendant que ces messages soient entendus, les Etats seraient bien inspirés de continuer à collaborer, notamment au sein de conventions telle que la CITES pour réaffirmer l’importance des inscriptions à l’Annexe I pour les grandes baleines et assurer une application rigoureuse de l’interdiction internationale du commerce des produits baleiniers !
S.N.
II/ L’Organisation Mondiale de la Santé Animale a 100 ans
16- La 91e session générale de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), tenue à Paris du 26 au 30 mai 2024, coïncidait avec son centenaire, une étape significative pour une organisation fondée en 1924 sous le nom de l’Office International des Épizooties (OIE). Créée en réponse à l’épidémie de peste bovine, l’OIE traduisait une volonté internationale d’unifier les efforts contre les maladies animales transfrontalières. L’éradication de la peste bovine en 2011, première maladie animale à disparaître grâce à une action concertée, reste une illustration de cette coordination. Avec 182 États membres aujourd’hui, contre 28 à l’origine, l’OMSA est l’une des organisations internationales les plus largement représentées, son champ d’action s’étendant bien au-delà de la régulation technique en matière de santé animale. L’organisation intervient désormais à l’intersection de la santé publique, du commerce international et de la gouvernance environnementale.
17- La position unique de l’OMSA dans l’ordre juridique international tient à sa double caractéristique : une spécialisation technique étroite, mais une pertinence normative étendue. Contrairement à des organisations comme les Nations Unies ou l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui traitent des priorités générales et universelles telles que la paix, la sécurité ou la santé publique, l’OMSA se concentre sur un domaine hautement spécialisé. Pourtant, avec un nombre d’États membres supérieur à celui de l’Organisation mondiale du commerce (OMC, 164 membres), l’OMSA témoigne de l’importance transversale des questions qu’elle traite. L’organisation partage ainsi une proximité normative avec des entités comme l’Organisation internationale du travail (OIT) ou l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), démontrant que l’autorité technique peut générer une adhésion quasi-universelle lorsqu’elle croise des intérêts stratégiques comme le commerce, la santé ou la durabilité.
18- L’articulation entre expertise technique et gouvernance universelle constitue un point nodal dans l’analyse de l’autorité normative de l’OMSA. Tandis que des organisations universelles comme l’OMS tirent leur légitimité de leur inclusivité, les entités spécialisées comme l’OMSA fondent leur autorité sur leur compétence technique. Cette complémentarité se manifeste notamment dans l’approche « Une seule santé », qui associe l’OMSA, l’OMS et la FAO dans le traitement de problématiques interdépendantes telles que les zoonoses, les impacts climatiques sur la santé ou la résistance antimicrobienne. Cette approche illustre comment des standards techniques spécialisés enrichissent les cadres juridiques globaux, en comblant les lacunes des accords universels par une précision normative.
19- Cette dimension est accentuée par l’influence juridique des normes de l’OMSA, qui, bien que non contraignantes en elles-mêmes, acquièrent une valeur normative au travers de leur intégration dans l’Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) de l’OMC. Ce mécanisme renforce leur rôle comme référence dans l’évaluation de la légalité des mesures sanitaires liées au commerce. Ainsi, l’adhésion à l’OMSA dépasse la simple collaboration technique : elle implique un alignement avec des standards globaux qui peuvent contraindre la souveraineté des États. Les normes édictées dans les Codes sanitaires pour les animaux terrestres et aquatiques de l’OMSA visent à harmoniser les réglementations nationales. Validées scientifiquement, elles servent à limiter les risques posés par les maladies transfrontalières, la résistance aux antimicrobiens et les zoonoses. Ces normes, bien qu’à première vue techniques, participent à la structuration des systèmes juridiques nationaux et internationaux en encadrant les mesures sanitaires dans les échanges commerciaux ou en influençant la régulation environnementale.
20- L’évolution de l’OMSA au cours du siècle dernier illustre comment une organisation internationale spécialisée peut transformer les dynamiques structurelles du droit international en harmonisant les cadres juridiques nationaux et internationaux à travers une combinaison unique de précision technique, d’innovation normative et d’adaptabilité institutionnelle. À l’aube de son deuxième siècle, l’OMSA se distingue par sa capacité à intégrer expertise technique et autorité normative, contribuant à l’harmonisation des cadres juridiques nationaux et internationaux.
A/ La construction de la gouvernance vétérinaire internationale par l’autorité normative hybride de l’OMSA
21- La création de l’OMSA en 1924 marque l’institutionnalisation de la santé vétérinaire comme domaine en tant que tel du droit international. Son émergence, dans le contexte de l’après Première Guerre mondiale, répondait aux risques croissants liés aux mouvements transfrontaliers du bétail facilitant la propagation des maladies animales. La fondation de l’organisation traduisait une reconnaissance collective : ces défis nécessitaient une réponse internationale, technique et permanente ancrée dans la coopération. Dès ses origines, le mandat de l’OMSA s’est défini par une priorité accordée à la rigueur scientifique et à l’expertise technique. Les statuts fondateurs de l’organisation identifiaient trois objectifs centraux : promouvoir la coopération internationale en matière de recherche vétérinaire et de contrôle des maladies, centraliser et diffuser l’information sur les épidémies animales et élaborer des accords internationaux pour réguler les mouvements des animaux et des produits d’origine animale. Ces priorités traduisaient une mission technique, éloignée des négociations diplomatiques classiques des institutions multilatérales. Les conférences ayant précédé la création de l’organisation avaient souligné l’importance de l’expertise scientifique sur les considérations politiques, un principe qui continue de guider son action.
22- L’OMSA a progressivement élargi son mandat tout en préservant son focus initial sur la santé animale. L’intégration de la question du bien-être animal comme priorité au début des années 2000, en dépit de l’absence de reconnaissance explicite de cet enjeu dans des cadres tels que les accords de l’OMC, illustre cette capacité à adapter son agenda aux préoccupations émergentes. L’évolution de son principal instrument normatif, le Code zoo-sanitaire international de 1971, en Code sanitaire pour les animaux terrestres, constitue un exemple clé de cette adaptabilité structurelle. Initialement conçu pour protéger les cheptels nationaux et faciliter les échanges commerciaux, le Code de 1971 reflétait un objectif unidimensionnel centré sur la gestion des risques économiques liés aux épidémies animales. Ses mesures prescriptives, telles que la mise en quarantaine obligatoire et les abattages systématiques, incarnaient un modèle de gouvernance rigide et centré sur l’État.
23- À l’inverse, le Code sanitaire pour les animaux terrestres actuel incarne une approche multidimensionnelle de gouvernance mondiale. Les objectifs de santé se sont élargis pour inclure des enjeux de santé publique comme les zoonoses et la résistance antimicrobienne, tandis que des considérations relatives au bien-être animal et à la durabilité environnementale ont introduit des dimensions éthiques et écologiques aux standards de l’OMSA. Cette réorientation s’accompagne d’une transformation des mécanismes juridiques du Code. Là où les normes prescriptives dominaient, l’approche actuelle privilégie des outils flexibles tels que l’analyse des risques, le zonage ou la compartimentation. Ces mécanismes permettent des réponses adaptées aux conditions locales tout en maintenant une cohérence avec les standards internationaux. L’intégration des technologies numériques pour la traçabilité des maladies et le partage des données renforce cette flexibilité, démontrant l’aptitude de l’OMSA à innover au sein de ses structures normatives. Ces transformations traduisent une évolution vers une gouvernance négociée, où les États doivent concilier leurs obligations internationales avec leurs priorités nationales, tout en s’engageant dans une surveillance mutuelle.
24- Le cadre normatif hybride qui caractérise aujourd’hui la gouvernance de l’OMSA illustre une interaction entre droit dur et droit souple. Certaines dispositions, notamment celles concernant les maladies zoonotiques ou la sécurité des mesures sanitaires liées au commerce, conservent un caractère impératif, reflétant l’urgence de gérer les risques globaux pour la santé. En parallèle, l’organisation recourt à des outils flexibles tels que des lignes directrices et des pratiques exemplaires, comme en témoignent ses standards de bien-être animal, qui reposent sur l’adhésion volontaire et la construction d’un consensus. Ce modèle hybride permet à l’OMSA de maintenir une participation large tout en s’assurant que ses normes restent opérationnelles et pertinentes.
25- La structure de gouvernance de l’OMSA reflète également son approche innovante en matière de décentralisation et d’inclusivité. L’Assemblée mondiale des délégués, réunissant des représentants de chaque État membre, constitue son organe décisionnel suprême. Ses travaux s’appuient sur des commissions régionales, qui abordent les défis spécifiques à certaines zones géographiques, et des commissions spécialisées, fournissant une expertise technique sur des problématiques complexes telles que le contrôle des maladies et la biosécurité. Cette architecture permet à l’organisation d’interagir de manière significative avec des préoccupations globales et locales, en créant des voies multiples pour la mise en conformité et la mise en œuvre. Contrairement aux organisations universelles comme les Nations Unies, qui reposent sur des mécanismes centralisés d’exécution, le modèle décentralisé de l’OMSA lui permet d’intégrer ses standards dans divers cadres institutionnels. Cette approche renforce l’influence de l’organisation en insérant ses normes dans les systèmes de gouvernance commerciale, sanitaire et environnementale. Par exemple, les standards de l’OMSA servent de points de référence dans les cadres réglementaires de l’OMC (accords SPS et OTC), garantissant leur diffusion dans les systèmes juridiques en l’absence de mécanismes d’exécution formels. Ce modèle décentralisé démontre comment une organisation spécialisée peut harmoniser les cadres juridiques nationaux et internationaux sans imposer de hiérarchies rigides. En particulier, bien que non contraignantes dans la structure de gouvernance interne de l’OMSA, ces normes acquièrent un statut exécutoire dans le contexte du commerce international, où elles servent de référence pour évaluer la légalité des mesures sanitaires nationales. Cette interaction entre normes techniques et cadres juridiques garantit que les États soient tenus responsables de la mise en œuvre de mesures de contrôle des maladies fondées sur des données scientifiques.
B/ Le rôle fonctionnel de l’OMSA dans l’harmonisation scientifique du droit mondial de la santé
26- Au cœur de la contribution fonctionnelle de l’OMSA se trouve son rôle central dans le cadre « Une seule santé », une initiative interdisciplinaire réunissant les domaines de la santé animale, humaine et environnementale. Cette approche repose sur le constat que l’interconnexion de ces secteurs exige des structures de gouvernance intégrées, capables de gérer les risques transfrontaliers. Les cadres normatifs de l’OMSA, fondés sur une validation scientifique rigoureuse, servent de base à l’harmonisation des efforts nationaux et internationaux pour atténuer les risques globaux pour la santé. En transcendant les cloisonnements propres à la gouvernance vétérinaire, l’OMSA a redéfini son mandat fonctionnel, fournissant un modèle global pour relever des défis allant des maladies zoonotiques aux impacts sanitaires induits par le changement climatique. Le cadre « Une seule santé » constitue ainsi non seulement un exemple de coopération interdisciplinaire, mais également une illustration de l’adaptabilité de l’OMSA à répondre aux complexités émergentes de la gouvernance mondiale.
27- Les efforts de l’OMSA dans la gestion des maladies zoonotiques illustrent concrètement son impact fonctionnel. Les standards élaborés par l’OMSA fournissent une base juridique pour des réponses coordonnées, incluant la surveillance, le signalement et les mesures de confinement. La transition du Code de 1971 au Code sanitaire pour les animaux terrestres actuel illustre la capacité de l’OMSA à adapter ses normes aux risques globaux émergents. Contrairement à des systèmes fondés sur des traités figés, les standards de l’organisation sont continuellement mis à jour pour refléter les avancées de la science vétérinaire et répondre à des défis émergents tels que les zoonoses, la résistance antimicrobienne et le changement climatique. Cette approche dynamique assure la pertinence des normes de l’OMSA dans un monde interconnecté et positionne l’organisation comme un acteur majeur dans le développement du droit international scientifique. Ces standards s’appuient sur des systèmes sophistiqués de suivi épidémiologique développés par l’organisation, centralisant et diffusant des données permettant des interventions rapides et concertées (WAHIS). De même, le rôle de l’OMSA dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens met en évidence son adaptabilité fonctionnelle face à l’un des défis de santé mondiale les plus pressants du XXIe siècle. L’usage abusif et excessif des antimicrobiens en médecine vétérinaire constitue un risque majeur pour la santé animale et humaine, en facilitant la transmission interespèces de pathogènes résistants. L’OMSA a pris une position de leader en élaborant des standards mondiaux pour l’usage raisonné des antimicrobiens et en promouvant des alternatives telles que la vaccination et l’amélioration des pratiques d’élevage. Ces initiatives reflètent la capacité de l’OMSA à concilier les priorités de santé publique avec les considérations économiques, en veillant à ce que les mesures réglementaires soient scientifiquement justifiées et harmonisées à l’échelle mondiale.
28- Les initiatives de l’OMSA en matière de risques climatiques démontrent également sa pertinence fonctionnelle dans la gestion des défis globaux interdépendants. Le changement climatique a des impacts significatifs sur la santé animale, modifiant les schémas épidémiologiques et exacerbant les vulnérabilités des écosystèmes fragiles. Consciente de ces risques, l’OMSA a intégré les considérations climatiques dans ses standards, s’assurant que ses normes restent adaptées à une ère de volatilité environnementale accrue. En alignant ses contributions fonctionnelles sur les objectifs mondiaux de durabilité, l’OMSA ne se limite pas à traiter les risques sanitaires immédiats mais se positionne également comme un acteur anticipant les défis trans-sectoriels complexes.
29- La légitimité scientifique constitue un pilier central du succès fonctionnel de l’OMSA, fondant son autorité normative. Contrairement aux mécanismes traditionnels d’exécution basés sur la coercition ou le consentement des États, l’OMSA favorise la conformité à travers la crédibilité de ses standards, ancrés dans des preuves empiriques et élaborés via des processus inclusifs et consensuels. Cette approche reflète une évolution fondamentale du droit international, où l’expertise technique et la validation scientifique sont de plus en plus reconnues comme des sources essentielles d’autorité juridique. En comblant le fossé entre science et droit, l’OMSA propose un modèle pragmatique pour aborder des défis globaux trop complexes pour des systèmes rigides fondés sur des traités.
Conclusion
30- Les contributions fonctionnelles de l’OMSA sont indissociables de ses innovations structurelles. Le cadre normatif hybride et le modèle de gouvernance décentralisé qui caractérisent l’organisation fournissent les bases de son efficacité fonctionnelle, lui permettant d’harmoniser les systèmes juridiques nationaux et internationaux tout en maintenant une précision technique. Ensemble, ces éléments démontrent comment l’OMSA équilibre spécialisation et universalité, garantissant que ses normes soient à la fois globalement pertinentes et adaptables à des contextes variés.
31- À l’occasion de son centenaire, les réalisations fonctionnelles de l’OMSA mettent en lumière le potentiel des organisations spécialisées à orienter l’évolution du droit international. En intégrant l’expertise technique dans les systèmes de gouvernance mondiale, l’OMSA illustre comment le droit international scientifique peut fournir des solutions pragmatiques aux défis complexes du XXIe siècle. Ses travaux offrent un modèle pour d’autres organisations spécialisées, soulignant le rôle crucial de la légitimité scientifique dans la structuration des cadres juridiques internationaux à venir.
32- À travers son cadre normatif hybride, sa gouvernance décentralisée et son adaptabilité scientifique, l’OMSA a remodelé les dynamiques structurelles du droit international. Sa capacité à concilier coopération volontaire et normes exécutoires, tout en intégrant ses standards dans divers systèmes de gouvernance, met en lumière sa contribution unique à l’harmonisation des cadres juridiques nationaux et internationaux. Alors que l’OMSA entre dans son second siècle, ses innovations structurelles offrent une base solide pour relever les défis juridiques et normatifs liés à la mondialisation. En montrant comment l’expertise technique peut favoriser la conformité et la cohérence en gouvernance internationale, l’OMSA propose une voie pour l’évolution continue du droit international dans un monde de plus en plus interconnecté.
J. R.
- 1 Martin Luther King Jr., Lettre depuis la prison de Birmingham, 16 avril 1963.
- 2 S. Nadaud, Chronique Droit international de l’environnement, RSDA 2022/2, pp.110-112.
- 3 Pour une présentation plus détaillée des cibles : https://www.cbd.int/article/cop15-cbd-press-release-final-19dec2022
- 4 V. l’outil mis au point et mis en ligne par l’ONG WWF : https://wwf.panda.org/act/nbsap_tracker_check_your_countrys_nature_progress/
- 5 Il s’agit de la mise en place d'un mécanisme multilatéral de partage des bénéfices découlant des ressources génétiques numérisées pour pallier le vide du Protocole de Nagoya en ce domaine. « Le nouveau dispositif devra inciter les grandes entreprises pharmaceutiques ou cosmétiques à payer pour leur utilisation du matériel génétique archivé dans des bases de données numériques. Les chercheurs et instituts de recherche en seront exemptés » : F. Gouty, « COP 16 Biodiversité : des décisions qui évitent les sujets qui fâchent », Actu Environnement, 5 novembre 2024, https://www.actu-environnement.com/ae/news/cop-16-biodiversite-decisions-finance-dsi-45006.php4
- 6 La COP 14 de la CMS s’est déroulée du 12 au 17 février 2024 à Sarmakand, en Ouzbékistan.
- 7 PNUE-WCMC, 2024. État des espèces migratrices dans le monde. PNUE-WCMC, Cambridge, Royaume-Uni.
- 8 Les deux plus grandes menaces pesant sur la faune sauvage migratrice sont selon le rapport précité la surexploitation et la perte d’habitats due à l’activité humaine.
- 9 L’Accord dit BBNJ (pour Biodiversity Beyond National Jurisdiction), conclu le 19 juin 2023, n’entrera en vigueur qu’à compter de la 60e ratifications. Pour la France, v. la Loi du 13 novembre 2024 autorisant la ratification de l’accord se rapportant à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale. Voir https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXI-10&chapter=21&clang=_fr
- 10 Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite Convention de Montego Bay, du 10 décembre 1982.
- 11 Ce déclassement de lupus canus dans la « faune sauvage protégée » et non plus dans la « faune sauvage strictement protégée » fait écho à la résolution du Parlement européen : Résolution du Parlement européen du 24 novembre 2022 sur la protection des élevages de bétail et des grands carnivores en Europe, JO UE 2023, C 167, page 77 et s. Il est également à noter que 12 pays européens avaient émis des réserves à la Convention de Berne, refusant de considérer le loup comme une espèce strictement protégée.
- 12 P. Mouterde, « Le loup perd son statut d’espèce « strictement protégée » au sein de la convention de Berne », Le Monde, article du 3 décembre 2024.
- 13 Par exemple pour attribuer des droits spécifiques à certaines espèces ou à certains animaux sauvages les plus menacés, pour réprimer la criminalité environnementale à hauteur d’autres crimes internationaux.
- 14 « L’Islande autorise la chasse à la baleine jusqu’en 2029 », Le Monde-AFP, dépêche du 5 décembre 2024.
- 15 L’Australie reprochait au Japon de ne pas avoir observé le moratoire fixant à zéro le nombre de baleines pouvant être mises à mort, toutes espèces confondues, à des fins commerciales, d’avoir chassé le rorqual commun à des fins commerciales dans le sanctuaire de l’océan Austral et de ne pas avoir respecté le moratoire interdisant aux usines flottantes ou aux navires baleiniers rattachés à des usines flottantes de capturer, tuer ou traiter des baleines, à l’exception des petits rorquals.
- 16 CIJ, arrêt du 31 mars 2014, Chasse à la baleine dans l'Antarctique (Australie c. Japon) : v. notre commentaire, RSDA 2014/1, p. 83 et s.
- 17 Voir https://www.ifaw.org/fr/communique-de-presse/declaration-chasse-rorqual-commun-japon
- 18 C. Pelluchon, « Un océan sans baleines, c’est le naufrage de l’humanité », Tribune Le Monde, 23 septembre 2024.
- 19 Il s’agit de « toute personne qui défend les droits environnementaux, notamment les droits constitutionnels à un environnement propre et sain, lorsque leur exercice est menacé » : Politique du PNUE, « Agir en faveur d’une meilleure protection des défenseurs de l’environnement », 2018 : https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/22769/Environmental_Defenders_Policy_2018_FR.pdf?sequence=4&isAllowed=y
- 20 Voir le rapport de l’ONG Global Witness, « Plus de 2 100 défenseurs des droits fonciers et environnementaux tués à travers le monde entre 2012 et 2023 », septembre 2024 : https://www.globalwitness.org/fr/press-releases-fr/more-2100-land-and-environmental-defenders-killed-globally-between-2012-and-2023-fr/
- 21 La Convention de la CEE/NU de 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (Convention d’Aarhus) dans ses articles 4 à 9 inclut des exigences particulièrement détaillées pour les droits procéduraux en matière d’environnement.
- 22 V. Décision VII/9 sur un mécanisme de réaction rapide chargé de traiter les cas relevant de l’article 3 (par. 8) de la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, adoptée par la Réunion des Parties à la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement à sa 7e session, Genève, 18-20 octobre 2021.
- 24 23=M. Forst, Répression par l’État des manifestations et de la désobéissance civile environnementales : une menace majeure pour les droits humains et la démocratie, Février 2024, 25 pages, https://unece.org/sites/default/files/2024-02/UNSR_EnvDefenders_Aarhus_Position_Paper_Civil_Disobedience_FR_1.pdf Le terme d’écoterrorisme n’a en effet aucune existence ni consistance juridique. En France, seul est incriminé le « terrorisme écologique ». L’article 421-2 du Code pénal prévoit en effet que « Constitue également un acte de terrorisme, lorsqu'il est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, le fait d'introduire dans l'atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu naturel ».
- 25 M. Forst, précité, p.2.