Chronique législative
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Le décret n° 2024-505 du 3 juin 2024 portant autorisation environnementale relative à la réalisation de travaux préparatoires nécessaires à l'implantation d'une paire d'unités de production nucléaire de type EPR2, sur le site de Penly et la commune de Petit-Caux (JORF n°0129 du 5 juin 2024, texte n° 18)
Ce décret donne l’autorisation à EDF de débuter des travaux préparatoires sur le site de Penly pour l’installation de futures d’unités de production nucléaire de type EPR2. En ce qui concerne la protection animale, il prévoit notamment que les travaux préparatoires à l’implantation des EPR2 bénéficieront d’une dérogation aux interdictions édictées pour la conservation d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats en application du 4° du I de l'article L. 411-2 du Code de l'environnement. Concrètement, cela signifie que le décret permettra que des animaux d’espèces protégées puissent, malgré les protections dont ils bénéficient, être perturbés, détruits ou déplacés au cours des travaux.
Afin d’appréhender tous les enjeux de ce texte, il conviendra de remettre cette autorisation dans son contexte (1°) puis d’en analyser le contenu de manière plus détaillée (2°) avant d’en étudier les enjeux (3°).
1 Le contexte.
L’autorisation donnée par le décret n° 2024-505 du 3 juin 2024 concerne la centrale nucléaire de Penly, qui est située en Normandie dans la commune de Petit-Caux. Le site de la centrale occupe une superficie de 230 hectares dont 70 hectares gagnés sur la mer, au bord de la Manche, où la centrale puise l'eau pour son refroidissement. EDF y exploite deux réacteurs à eau pressurisée de modèle P'4, en service depuis 1990 et 1992. En 2008, un projet de construction d’un troisième réacteur de type EPR a été envisagé. Il s’est cependant heurté à l’opposition de nombreux militants d’associations anti-nucléaire puis a été abandonné en 2012, en raison du contexte social et politique peu propice après l'accident de la centrale de Fukushima au Japon. Pendant la campagne présidentielle de 2012, la question du nucléaire est revenue au cœur du débat, et François Hollande se prononçait alors contre la construction d’EPR au cours du mandat 2012-2017. En 2015, une loi du 17 août relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoyait de réduire à 50% la part du nucléaire dans la production électrique française d’ici à 20251.
L’élection du Président Macron en 2017 et son positionnement ambigu sur le nucléaire2 a cependant permis d’envisager de relancer de nouveaux projets dans ce domaine. En 2019, EDF cherche ainsi des sites pour la construction de réacteurs de type EPR2, qui sont une version optimisée de l'EPR, principalement afin d'en améliorer la constructibilité. Le site de Penly est alors retenu pour ce projet. La construction de deux réacteurs EPR2 est prévue sur le site pour une mise en service estimée à 2035-2036. Un projet d’une telle envergure passe par différentes phases dont une phase de pré-travaux, qui vient d’être autorisée par le décret n° 2024-505 du 3 juin 2024.
2 Le contenu du décret n° 2024-505 du 3 juin 2024
Le décret n° 2024-505 du 3 juin 2024 autorise EDF à débuter les travaux préparatoires sur le site de Penly. Ces travaux doivent durer trois ans et demi et consistent à aménager le site en réalisant notamment des opérations de débroussaillage, déboisement, relocalisation de la faune et de la flore à protéger, création des installations de chantier, terrassement, reprofilage de la falaise, amélioration des accès au site, création d'un parking, etc. Il s’agit de travaux de grande envergure, puisque le programme des travaux inclut notamment le déroctage de la falaise (5 millions de mètres cubes), la création d’une emprise de 20 hectares sur le fond marin, des excavations, le terrassement et la construction des premiers ouvrages souterrains ou la création d’un système de traitement des eaux usées.
Les travaux prévus impacteront donc nécessairement certaines espèces protégées présentent sur le site. Or, la destruction ou la perturbation des espèces animales protégées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont, en principe, interdites par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement. Cet article prévoit cependant la possibilité de déroger à cette interdiction pour des raisons impératives d’intérêt public majeur. Le décret du 3 juin 2024, en se fondant sur cette possibilité, a ainsi permis une dérogation à la protection des espèces animales.
Son article 2 prévoit que les pré-travaux peuvent être exécutés à compter de la date de délivrance de l'autorisation environnementale et qu’une dérogation pour perturbation intentionnelle, destruction ou enlèvement des œufs et des nids, destruction, mutilation, capture ou enlèvement de spécimens d'espèces animales protégées, et pour destruction, altération ou dégradation de leurs aires de repos ou de leurs sites de reproduction est accordée pour dix-huit espèces animales visées par le texte, dont une espèce de reptiles (un lézard), trois espèces d’amphibiens, une espèce d’insectes et treize espèces d’oiseaux. Pour chaque espèce, trois types d’atteintes peuvent être autorisées : « perturbation intentionnelle », « destruction d’individus » et « altération d’aire de repos, perte d’habitat ». Sans entrer dans le détail, il est à noter que la destruction d’individus ne peut concerner que les espèces de reptiles, d’amphibiens et d’insectes mais aucune espèce d’oiseaux.
Le texte prévoit en outre que, dans le cas où d'autres espèces devaient être significativement impactées par les travaux, une modification de l'autorisation doive être sollicitée et octroyée avant la réalisation de l'impact pressenti. Il prévoit enfin que « sauf urgence avérée, toute action entraînant un impact significatif porté à une espèce protégée non listée est suspendue jusqu'à obtention de la dérogation ».
De nombreuses mesures compensatoires à la perturbation des animaux et à la destruction de leurs habitats sont également envisagées. Ainsi l’article 26 du décret prévoit que la dérogation « autorise la capture avec relâcher sur place des espèces protégées listées à l'article 3.3 :
- pour la récupération des animaux dans l'emprise des travaux et leur relâcher hors de l'emprise, dans les espaces dédiés, en particulier pour la mise en œuvre des mesures MR4 et MS4 ;
- pour les inventaires de suivis nécessaires à l'actualisation des connaissances (mesures MS1 et MS2) et pour l'évaluation des quinze mesures compensatoires (mesure MS5). Les captures avec relâchers sur place ne sont autorisées ni pour les oiseaux, ni pour les chauves-souris. En cas de nécessité de baguage, le bénéficiaire fait appel au réseau de bagueurs du Centre de recherches sur la biologie des populations d'oiseaux (CRBPO) ».
La dérogation « autorise le transport des animaux blessés par les travaux vers un centre de sauvegarde de la faune sauvage » et prévoit que « l'animal est transféré, dans la journée, vers le centre de sauvegarde, en prenant toutes les précautions de sécurité pour l'animal et les convoyeurs ». Une indemnisation forfaitaire de 50 euros, versée par spécimen, par le maître d’œuvre des travaux, pour couvrir les frais de prise en charge de l'animal blessé par le centre de sauvegarde est également insérée.
Enfin, le texte prévoit que la dérogation autorise la détention de spécimens récupérés morts sur le site des travaux entre leur récupération et leur transport vers un centre d'équarrissage. Si le transfert n'est pas fait dans la journée, les spécimens sont conservés dans un congélateur dédié. Il organise également un système de suivi des animaux morts en disposant que « les spécimens ainsi conservés sont identifiés par une étiquette portant la date de la récupération et l'identification de l'espèce. Le bénéficiaire tient un registre horodaté de traçabilité des spécimens trouvés blessés ou morts en y indiquant, l'espèce, la date de récupération, les causes probables de blessures ou de mortalité et leur devenir. Dans les deux mois suivant la fin de chaque année civile, le bénéficiaire transmet, aux services en charge du contrôle, un extrait ou une synthèse du registre précité ».
On constate donc que la dérogation accordée est assortie d’un certain nombre de garde-fous destinés à ménager les besoins de protection des espèces menacées. Pour autant, l’ensemble des enjeux ne semble pas avoir été nécessairement pris en compte, ce qui a conduit à l’indignation des opposants au projet.
3 Les enjeux du décret n° 2024-505 du 3 juin 2024
L’autorisation des pré-travaux accordée par le décret du 3 juin 2024 a été vivement critiquée par les associations anti-nucléaires, notamment du fait que les pré-travaux soient autorisés avant même que le projet de création des deux nouveaux EPR ne soit adopté. En effet, la loi du 22 juin 2023 3 portant accélération des procédures administratives pour la construction de nouveaux réacteurs sur des sites nucléaires déjà existants a permis une accélération des procédures en amont du chantier. Cette dernière permet l'engagement des travaux préparatoires sur le site avant l'obtention du « décret d'autorisation de création » ou DAC, mais après l'obtention d'un avis favorable de l'Autorité environnementale. Or, en novembre 2023, l'Autorité environnementale a appelé EDF à revoir l'étude d'impact environnemental du projet. En outre, le processus d'instruction du projet devrait durer plus de trois ans, pour aboutir fin 2026 à la délivrance du DAC. Dès lors, tant que l’instruction n’est pas finalisée, la faisabilité technique et financière du projet n’est pas assurée.
Par conséquent, l’autorisation issue du décret du 3 juin 2024 permet des perturbations et même des destructions d’animaux d’espèces protégées et de leurs habitats, sans même que l’on sache si le projet va aboutir par la suite ou non. Si le projet n’aboutit pas, ces destructions auront été causer inutilement. Bien évidemment, aucun plan de remise en état des lieux n’est prévu dans ce cas. Or, le Code de l’environnement ne prévoit la possibilité de déroger aux interdictions édictées à l’article L. 411-2 que si un projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) qui doit être justifiée.
Si le projet final peut bien être considéré comme une RIIPM, on peut cependant douter que les travaux préparatoires au projet, qui par lui-même n’a pas encore été adopté, le soient. Pourtant la loi du 22 juin 2023 précitée a introduit une présomption permettant pour les projets de construction de nouveaux réacteurs de répondre automatiquement au qualificatif de RIIPM, sans avoir à être motivés. Le décret du 3 juin 2024 considère que cette présomption concerne également les travaux préparatoires puisque l’autorisation environnementale délivrée tient lieu de dérogation aux interdictions édictées par l’article L411-2 c. env. C’est pourquoi trois organisations, Greenpeace France, le Réseau sortir du nucléaire et Stop EPR ni à Penly ni Ailleurs, ont saisi le Conseil d’État le 7 octobre 2024 pour contester ce décret, considérant que les travaux préparatoires liés à la réalisation d’une paire d’unités EPR2 sur le site de Penly ne répondent pas, en tant que tels, à une RIIPM, dès lors qu’ils pourraient être réalisés en pure perte, la construction des réacteurs n’étant pas à ce jour autorisée.
Au-delà du débat sur l’opportunité de poursuivre ou non dans la voie du nucléaire, en ce qui concerne la question animale plus particulièrement, nous noterons tout de même que la valeur des animaux présents sur le site est relativement peu prise en compte. Certes, seuls les animaux d’espèces protégées bénéficient de la protection du Code de l’environnement à laquelle il est nécessaire de déroger pour la mise en œuvre des travaux. Mais qu’en est-il des animaux d’autres espèces n’étant pas protégées ? La reconnaissance de la valeur intrinsèque de l’animal en tant qu’être vivant et sensible semblant s’être limitée aux seuls animaux captifs, il n’y aurait pas lieu de tenir compte des conséquences des travaux pour les animaux de manière générale mais uniquement des conséquences des travaux sur la protection des espèces. Cela montre à nouveau les limites de l’absence de reconnaissance de la nature d’être vivant et sensible des animaux dans le Code de l’environnement. Pour autant, peut-être aurait-il été judicieux, au-delà même des contraintes législatives et règlementaires, de prévoir des mesures de préservation et de compensation des atteintes à la protection des animaux de l’ensemble des espèces présentes sur le site et non uniquement des espèces relevant d’un régime de protection. En effet, si l’autorisation accordée ne peut déroger aux contraintes du Code de l’environnement qu’en respectant certains critères, rien n’empêche le législateur d’en imposer davantage. Pour cela il faudrait cependant que la considération à l’égard de l’animal devienne une préoccupation majeure...
L. B.-S.
L’arrêté du 28 juin 2024 fixant les caractéristiques générales et les règles de fonctionnement des établissements autorisés à héberger des spécimens vivants de cétacés (JORF n° 0161 du 8 juillet 2024, texte n° 18)
Le remake 2024 d’Il faut sauver Willy sera-t-il Bientôt Willy en sushi ?
1 Présentation du texte
La loi du 30 novembre 20214, adoptée sous l’impulsion énergique de Loïc Dombreval, a inséré un article L. 413-12 nouveau dans le Code de l’environnement, article qui prohibe désormais les spectacles de cétacés. Il s’agissait de l’une des mesures phares de la loi 5, avec l’interdiction des animaux sauvages dans les zoos, bien que le nombre de cétacés (une grosse vingtaine) et les conditions de leur détention (de qualité en France) pouvaient sembler anecdotiques. Un délai de cinq ans était adopté afin de trouver une solution pour replacer les animaux concernés, les SPA pour orques n’étant pas légions en France. L’alinéa 3 de l’article L. 413-12 prévoyait de ce fait qu’un « arrêté du ministre chargé de la protection de la nature détermine les caractéristiques générales, les modalités de présentation du contenu des programmes scientifiques et les règles de fonctionnement des établissements autorisés à détenir des spécimens vivants de cétacés mentionnés au II. » Dont acte trois ans plus tard.
Le nouvel arrêté du 28 juin 2024 fixant les caractéristiques générales et les règles de fonctionnement des établissements autorisés à héberger des spécimens vivants de cétacés remplace l’arrêté du 24 août 1981 relatif aux règles de fonctionnement, au contrôle et aux caractéristiques auxquels doivent satisfaire les installations abritant des cétacés vivants 6, qui était le texte de référence en la matière et qui avait été adopté à la suite de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature. Il comporte vingt-trois articles et a pour objectif de renforcer les conditions d'hébergement, d'entretien et de présentation des orques et dauphins détenus en captivité, afin d'améliorer le bien-être de ces animaux.
On pourrait en premier lieu s’étonner du temps qu’il a fallu pour adopter cet arrêté dont les objectifs sont simples en apparence. La lecture du visa nous en donne l’explication : différents avis ont été recueillis (ceux de la Commission nationale consultative pour la faune sauvage captive en date du 21 novembre 2023, du Conseil national de la protection de la nature en date du 20 décembre 2023 et du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques en date du 6 février 2024) et une consultation publique a été organisée du 27 mai au 18 juin 2024 7. Si ceci ne constitue pas une nouveauté, un certain laps de temps est nécessaire.
L’article premier de l’arrêté entend définir de manière claire -ce qu’il ne fait pas vraiment- les différents types d’établissement pouvant détenir des cétacés en prenant un angle d’attaque original : l’origine des animaux. Le résultat est un article assez confus. Il faut semble-t-il comprendre que l’origine des cétacés peut être de trois sortes : ou il s’agit des dauphins et des orques détenus dans les anciens parcs aquatiques types Marineland, ou il s’agit des cétacés qui ont été recueillis à la suite d’opération de sauvetage, ou alors des cétacés détenus dans le cadre de programmes scientifiques.
La possibilité de sanctuaires pour animaux sauvages (dans le cas, il est vrai assez rare pour ne pas dire incongru, qu’une personne puisse être propriétaire de manière privée d’un dauphin ou d’un orque 8 en France et souhaiterait l’abandonner), bien que prévu par la lettre de de l’article 47 de la loi de 2021 9, n’est pas reprise. Faut-il y voir un abandon de cette voie ?
Ces nouveaux établissements pour cétacés ne sont pas des espaces interdits au public, bien au contraire (article 2-I de l’arrêté) : il faut bien trouver des moyens de subsides. Il faut cependant combiner présentation au public des cétacés et interdiction des spectacles dont la définition est affinée par l’arrêté : cela comprend l’interdiction du contact direct entre les animaux et le public, qui n’est plus possible 10, et l’interdiction de « la mise en scène à des fins de divertissement » au moyen « d'exercices réalisés sous la contrainte par des cétacés, ainsi que ceux ne correspondant ni à des comportements propres de l'espèce, ni à des intérêts pédagogiques, ni à des entraînements médicaux » (article 2-II). Les animaux doivent donc évoluer de manière libre dans des bassins. La prise en compte des « comportements propres de l’espèce », formulation qui varie sémantiquement des formulations plus classiques de « besoins propres »11 et de « caractéristiques propres »12 (cette nouvelle expression légistique traduit-elle une évolution juridique ? seul l’avenir nous le dira), évite l’installation de parcours type labyrinthes qui permettraient de contourner l’interdiction d’exercices réalisés sous la contrainte.
De manière classique et prévisible, l’arrêté impose la détention d’une autorisation de détention de cétacés délivrée par le ministère ad hoc pour tout responsable d’hébergement de cétacés.
2 Le bien-être animal, clef de voûte du texte
Tout est pensé dans l’arrêté du 28 juin 2024 pour le bien-être des animaux : présence d’un vétérinaire spécialisé en faune sauvage et d’un responsable scientifique, ainsi que d’une équipe spécifique de soigneurs par espèce accueillie (article 4), formation pour toute personne en contact direct avec les cétacés (même article), plan de formation continue (article 5), traçabilité des animaux (article 6). Un examen quotidien est prévu (article 10) afin de détecter toute signe d’ennui, de stress ou de frustration. Des jeux, des stimuli, des activés et des exercices doivent être organisés en ce sens (article 11). L’apprentissage (on n’ose plus parler de dressage) reste possible, mais uniquement si celui-ci concourt au bien-être de l’animal et s’il en a les aptitudes physiques, psychologique et l’envie (article 12). La sécurité des personnels et du public est prise en compte, mais vient en dernier (article 12-IV).
Une attention toute particulière (article 7) est portée aux conditions d’hébergement : il doit s’agir d’installations « permettant aux animaux d'exprimer leurs besoins physiologiques et comportementaux ainsi que leurs attentes, de recevoir le cas échéant les soins vétérinaires, de se soustraire à la proximité des visiteurs et de leurs congénères » tout en rendant possible la pratique de l'entraînement médical et le suivi vétérinaire. Il est même précisé que les animaux doivent pouvoir : « s'ébattre et sauter sans risque de toucher le fond du bassin ; s'isoler du public ou de leurs congénères ; être isolés en cas de besoin (animaux malades, quarantaine…) […] ; se soustraire au rayonnement lumineux en cas de fort ensoleillement ». Il est donc demandé à ce qu’un « enrichissement des bassins [existants] [soit] mis en œuvre, avec notamment la mise en place de courants d'eau, de vagues, de cascades ou tout autre procédé physique ou hydraulique ». Les travaux de rénovation demandés ne sont pas minces : ce n’est plus un bassin qu’il faut, c’est une mer fermée ! L’ambition est belle et élevée, mais évidemment impossible et confine au pis-aller ou au vœu pieu : aucun bassin n’offrira jamais les conditions de l’océan, océan qui représente toutefois un piège mortel pour des spécimens qui ne l’ont jamais connu. C’est la quadrature du cercle.
Enfin, un comité scientifique et technique est installé dans chaque établissement afin de garantir le bien être des cétacés (article 15). L’acquisition de nouvelles connaissances fait aussi partie de sa mission, mais uniquement si celles-ci portent « sur le bien-être animal » (même article). Fait notoire : pour la première fois, un éthologue et un scientifique spécialiste de l'étude du bien-être animal intègrent officiellement un tel comité. Le ton est donné.
3 Analyse critique de l’arrêté
La lecture de cet arrêté nous laisse perplexe : d’un côté, jamais le bien-être animal n’a été abordé de manière aussi claire, aussi vive, aussi prégnante. Cela peut même dérouter le juriste lambda, peu habitué à tant de prise en compte du ressenti animal. C’est un progrès notable et on sent des influences extérieures (notamment des défenseurs des animaux) dans la rédaction du texte. De l’autre côté, la rédaction confine presque au « bisounoursisme », tant les rédacteurs du texte ne semblent pas se soucier de la transposition pratique d’un tel texte. Quel établissement peut réussir à faire construire de tels bassins ? Comment les financer, lorsque l’on sait les difficultés financières de certains zoos ? Est-il par exemple bien raisonnable d’imposer (article 18) la conservation de chaque cadavre de cétacés quant on connaît le poids et la place que cela prend ? Ça ne rentre pas dans un congélateur standard… Le délai de mise en conformité des établissements actuellement agréés est ridiculement court : six mois à compter de la publication de l’arrêté (article 21), soit le 8 janvier 2025. C’est impossible en pratique.
En définitive, ce texte est l’exemple type d’une belle volonté de papier. La volonté de défendre et de promouvoir le bien-être animal, trop excessive ici, a abouti à un texte impossible et inapplicable. C’est à se demander si cela n’a pas été fait exprès.
Les défenseurs des animaux se sont félicités début décembre 2024 à l’annonce de la fermeture du Marineland d’Antibes pour le 5 janvier 2025 13, pile trois jours avant la date butoir de mise en conformité des bassins. Mais que vont devenir les animaux, propriété privée du Marineland ? La réalité risque d’être bien moins belle que le rêve d’une « super retraite » vendu par l’arrêté du 28 juin 2024 : ce sera très probablement un départ pour un établissement étranger, espagnol au mieux, japonais sans aucun doute, pour lequel cet arrêté sera inapplicable. Cette solution est pudiquement envisagée à l’article 8 de l’arrêté qui traite du transport de ces animaux notamment vers des « pays autres que la France ». Autant dire un aveu d’impuissance à garder ces cétacés dans le territoire national.
M. M.
En bref ...
L'arrêté du 13 juin 2024 relatif à la prévention du risque animalier sur les aérodromes (JORF n°0139 du 15 juin 2024, texte n° 30)
Ce texte précise les normes techniques et les conditions d'application de la section 3 du chapitre II du titre III du livre III de la sixième partie du Code des transports. Il décrit les actions de prévention et de gestion du risque animalier qu'un exploitant d'aérodrome réalise ainsi que les actions de formation de son personnel de prévention du risque animalier. Cet ensemble de textes découle des obligations réglementaires européennes imposées par le règlement (UE) 2018/1139 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2018 concernant des règles communes dans le domaine de l'aviation civile et instituant une Agence de l'Union européenne pour la sécurité aérienne.
Il est intéressant de noter que cet arrêté a remplacé les termes « prévention du péril animalier » de son prédécesseur (l’arrêté du 10 avril 2007) par ceux de « prévention du risque animalier ».
L’arrêté comprend vingt-huit articles et deux annexes.
Il prévoit pour l’essentiel que chaque exploitant d'aérodrome doit élaborer, mettre en œuvre et tenir à jour un programme de prévention du risque animalier. Afin de mettre en place ce programme, l’exploitant doit à la fois évaluer le risque animalier et mettre en place des mesures de prévention. Lorsque la prévention doit être effectuée de manière permanente, un agent doit être spécifiquement engagé à cette fin. Cet agent doit avoir reçu une formation spéciale décrite en annexe de l’arrêté.
La plupart des mesures prévues par l’arrêté sont des mesures de prévention, visant tant à prévenir physiquement l’entrée d’animaux dans l’aérodrome (installation de grillages par exemple) qu’à éviter que les animaux ne soient attirés par l’aérodrome (suppression des végétaux attractifs pour les animaux sur les bandes d’accotement). L’arrêté prévoit également, en cas d’entrée des animaux sur la zone de l’aérodrome, la mise en place de mesures d’effarouchement, afin de faire fuir les animaux. Ces mesures doivent être mise en place par l’agent spécifiquement engagé pour la prévention du risque animalier.
De manière plus critiquable, l’arrêté prévoit dans son article 11, lorsque les mesures d'effarouchement prises pour faire fuir les animaux n’ont pas été efficaces, la possibilité pour l’agent de « prélever » (comprendre : tuer) les animaux créant un risque. Il est permis d’utiliser des armes à feu à cette fin. Toutefois, si de telles mesures sont mises en places, elles doivent être consignées méticuleusement dans un registre.
Les agents de prévention du risque animalier doivent subir une formation initiale préalablement à leur embauche. L’annexe II de l’arrêté précise le contenu de cette formation, qui inclue des considérations relatives à la connaissance des espèces migratoires ainsi que des espèces protégées.
S. D.-L.
L'enquête publique de la Commission européenne sur le transport des animaux (Interinstitutional File 2023/0448(COD) 14 )
Du 8 décembre 2023 au 8 avril 2024, la Commission européenne a mené une enquête publique sur la proposition de Règlement du Parlement et du Conseil concernant le transport des animaux. En tout, plus de 5 000 contributions provenant de citoyens de toute l’Union européenne ont été reçues. Dans un document interinstitutionnel daté du 8 juillet 2024, la directrice de la Direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire (SANTE)., Sandra GALLINA, résume ces retours.
La majorité des participants à l’enquête était basée en Espagne, puis en Allemagne et en France. Les réponses font part de deux groupes divergents, s’entendant toutefois sur le fait que la proposition de règlement est insuffisante pour atteindre ses objectifs. Une première partie considère que les mesures risquent d’affecter économiquement et lourdement le secteur de l’élevage, surtout dans le sud de l’Europe, et que les mesures relatives au temps de transport et aux températures maximales sont trop strictes. Une seconde partie considère, au contraire, que les mesures ne sont pas assez strictes pour protéger le bien-être animal.
De nombreux contributeurs à l’enquête ont appelé à une interdiction pure et simple des transports longue durée d’animaux vivants ainsi qu’à la réduction des temps de transports maximaux. Certains contributeurs, en particulier les représentants des éleveurs, ont soulevé que la proposition de règlement ne prenait pas en compte les différences géographiques au sein des États membres de l’UE et les nécessités pour certains agriculteurs de transporter leurs animaux d’une exploitation à une autre, dépassant la limite des 50 km prévue à cet effet.
Concernant les temps maximaux de transports, deux groupes s’affrontent à nouveau : certains demandent de réduire ces durées quand d’autres demandent à les augmenter.
La question du contrôle des températures au sein des véhicules servant au transport des animaux a également soulevé des inquiétudes quant à leur faisabilité technique et le coût supplémentaire impliqué. Il en est de même pour le processus de digitalisation des carnets de suivi de transports.
Enfin, l’inadaptation des règles de transport au transport des poissons d’ornement a également soulevé quelques inquiétudes parmi les citoyens européens.
Ces dernières années, la protection des animaux en cours de transport est un sujet récurrent au sein des institutions européennes. Alors que l’Union européenne dispose des règles les plus strictes au monde en la matière, plusieurs enquêtes ont montré des défaillances graves dans leur application engendrant de la souffrance animale. Cette nouvelle enquête vient démontrer que la proposition de réforme ne convient pas tant aux professionnels de l’élevage et du transport qu’aux organisations de défense de la cause animale.
S. D.-L.
- 1 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, JORF n°0189 du 18 août 2015, article 1.
- 2 Le 27 novembre 2018 à l’Élysée, lors de la présentation de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), Emmanuel Macron assure qu’il n’a "pas été élu sur un programme de sortie du nucléaire, mais sur une réduction à 50% de la part du nucléaire dans notre mix électrique”.
- 3 Loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, JORF n°0144 du 23 juin 2023, texte n° 1
- 4 Loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, JORF 1er déc. 2021, texte n° 1.
- 5 Cf. M. MARTIN, « "Animal joli, joli, joli, tu plais à mon père, tu plais à ma mère…", éléments de réflexion à propos de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 », RSDA 2/2021, p. 247-256.
- 6 JORF 20 oct. 1981, numéro complémentaire.
- 7 Conformément à l’art. L. 123-19-1 C. envir.
- 8 Voir définition du refuge ou sanctuaire pour animaux sauvage à l’art. L. 413-1-1 C. envir.
- 9 Art. L. 413-1-1 C. envir.
- 10 Cf. art. L. 413-12 C. envir.
- 11 Cf. par exemple art. L. 211-10-1 CRPM.
- 12 Cf. par exemple art. L. 413-9 C. envir.
- 13 Voir : https://www.europe1.fr/Environnement/vers-une-fermeture-definitive-du-marineland-dantibes-que-vont-devenir-les-orques-du-parc-4283508 (consulté le 10 décembre 2024).
- 14 Consultable [en ligne] en anglais sur https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-12653-2024-INIT/en/pdf?_jtsuid=91380173090728864591752