Actualité juridique : Bibliographie

Se fonder sur la sensibilité pour renouveler la considération des relations animaux-humains par les normes

Doussan Isabelle, Droit et animal – Pour un droit des relations avec les humains, Editions Quae, Versailles, 2024, 87p, 16 euros.

 

 Si la notion de sensibilité parait occuper aujourd’hui une place centrale au sein du droit français relatif à l’animal1, l’autrice propose dans son ouvrage de repenser la façon de la concevoir.

Elle suggère ainsi d’appréhender la caractéristique d’être sensible de l’animal non plus seulement comme la raison pour laquelle ce dernier doit être considéré mais essentiellement comme ce qui permet l’encadrement des pouvoirs humains sur les animaux et la recherche d’équilibre dans la relation qui vient unir ces deux entités2.

Au sein de son ouvrage, construit en deux parties, la chercheuse va à la fois exposer les particularités présentes au sein du droit positif français – partie 1 de l’ouvrage3 - et s’atteler à proposer une modification de ce droit afin d’améliorer la protection de l’animal – partie 2 de l’ouvrage4 - sans néanmoins qu’il ne soit intégré à la catégorie des sujets. Cette réflexion reposera sur la notion de sensibilité animale mais aussi, et peut-être surtout, sur les spécificités des relations animaux – êtres humains.

L’autrice nous livre ici un ouvrage relativement court – 80 pages – contrairement à nombre de recherches proposées par des juristes5 et autres chercheurs dans cette discipline6. Toutefois, cette brève démonstration ainsi que sa clarté ont justement le mérite de rendre l’ouvrage et le texte accessibles à tous, y compris donc aux non-juristes qui pourraient être intéressés par ces problématiques ou bien être tentés d’enrichir davantage leurs connaissances déjà acquises sur le sujet en appréhendant nouvellement les questions qu’il soulève.

L’éventail des relations complexes animaux – humains retranscrit au sein des normes

Cette première partie est ainsi consacrée à la « diversité juridique » ; celle des rapports animaux - humains encadrés par le droit. L’autrice a choisi d’y aborder quatre types de relations ayant des conséquences différentes pour les entités concernées : les rapports d’utilisation, de protection, d’attachement, mais aussi « conflictuels » en se focalisant sur les cas particuliers de risques zoosanitaires et de dégâts provoqués par les animaux.

S’agissant des rapports d’utilité7, mettant en exergue la consécration juridique des relations de dominations humains – animaux, la chercheuse distingue de façon bienvenue la relation unissant la personne à l’animal « détenu » de celle l’unissant à l’animal en liberté. Elle souligne alors qu’en fonction de la situation de l’animal le rôle du droit va différer.

Dans la première hypothèse, son rôle sera finalement d’encadrer le pouvoir que la personne peut exercer sur l’animal tandis que dans le cadre de la seconde son rôle est davantage tourné vers la régulation dans un dessein de préservation des entités naturelles pour l’avenir.

Elle note d’ailleurs, à juste titre, que les normes, en qualifiant régulièrement les animaux sauvages et libres de « ressources », mettent en évidence l’appréhension de ces derniers en tant que « tout » et non, à la différence des êtres placés sous l’emprise directe des personnes, en tant qu’êtres individualisés identifiés8 dans leur relation à l’humain.

Enfin, le recours par l’autrice à plusieurs reprises au terme « pouvoir » doit être souligné car il permet d’exposer la relation déséquilibrée et utilitariste consacrée par le droit qui unit l’animal « détenu » à la personne.

Au cours de sa réflexion portant sur l’animal appréhendé en tant que source potentielle de dangers9, Madame Doussan évoque alors la consécration de la protection contre les animaux, souvent moins mise en avant que celle en faveur de ces derniers. En se concentrant sur les risques zoosanitaires et de dégâts occasionnés par l’animal, elle souligne de manière très juste que se sont essentiellement des intérêts économiques humains que le droit vise à préserver par le biais de normes à destination du contrôle des maladies10 – cela pouvant d’ailleurs également se constater à la lecture de celles relatives aux dégâts précités11.

Cette préservation des intérêts humains, expresse ou suggérée, lorsqu’il s’agit de se pencher notamment sur la santé animale vient en outre rappeler une fois encore le caractère anthropocentrique du droit de l’animal.

En matière de protection de celui-ci12, deux principaux points doivent être notés. Tout d’abord le fait que la chercheuse distingue la protection de l’être et de l’espèce – ce qui renvoie à deux pans distincts du droit, ensuite, que la protection instaurée n’est que relative13 et qu’alors peut être déduite une primauté des intérêts humains.

Pour terminer la démonstration opérée au sein de cette première partie, l’autrice consacre un développement au lien d’attachement pouvant unir animal et humain14. Elle y met en exergue un point particulièrement intéressant : l’importance du rôle du juge dans la reconnaissance de ce lien palliant les lacunes des textes en la matière. A travers divers exemples, notamment le célèbre arrêt « Lunus »15, elle met néanmoins en avant le fait que cette reconnaissance s’effectue essentiellement lorsque l’animal est un compagnon de vie et suggère que celle-ci s’étende alors à la relation animal d’élevage – humain16. Madame Doussan s’attèle enfin à soulever un élément notable s’agissant du pouvoir du juge quand il s’agit de s’intéresser à la considération du lien d’attachement : s’il faut souligner son importance lorsque la preuve du droit de propriété ne peut être apportée (exemple de la séparation d’un couple avec un chien ou un chat)17, celle-ci s’effrite dès lors que le juge se trouve dans la situation inverse. Dans ce cas, son appréciation du « lien de fait » s’efface devant la reconnaissance du « lien de droit » qui va s’imposer à lui – même si, tel que le note très justement la chercheuse, les juges ont parfois considéré ce lien dans le cadre du droit des contrats18.

Si cette première partie est intéressante dans sa façon d’appréhender le droit relatif à l’animal, en considérant en premier lieu les relations l’unissant à l’humain, elle ne permettra pas aux initiés de parfaire leurs connaissances mais pourra être particulièrement appréciée néanmoins par les profanes.

La sensibilité, source limitative du pouvoir de la personne sur l’animal réifié

L’approche de l’autrice au sein de cette seconde partie est intéressante en cela qu’elle s’oppose à la déréification juridique de l’animal par le biais de sa subjectivisation19 tout en pensant sa sensibilité comme devant rester le socle du droit ayant trait à celui-ci et permettre la construction d’une condition, si ce n’est « déréificatrice », au moins plus protectrice de l’être.

Tel qu’indiqué ci-dessus, l’autrice s’oppose ainsi à la « personnification » de l’animal considérant les propositions faites en ce sens comme insatisfaisantes.

Parmi ses arguments, elle souligne qu’elles n’octroient majoritairement pas de « droit à la vie » à l’animal. Toutefois, s’il est vrai qu’idéalement un tel droit devrait être consacré en cas de subjectivisation, il ne faut pas nier qu’un temps d’adaptation de la société peut être nécessaire et qu’une construction de condition juridique optimale sur un temps long est envisageable20.

Outre cette problématique, elle évoque également la quasi-obligation de recourir à une catégorisation des êtres et espèces en cas de déréification fondée sur la sensibilité, nuisant ainsi selon elle à l’élaboration d’une nouvelle condition juridique pour tous21.

La fin de l’ouvrage est quant à elle consacrée à une proposition de modification du droit relatif à la « production animale » devant être entendue comme les activités « consistant à faire naitre et tuer des animaux, et à faire commerce des produits qui en sont issus »22. La notion de sensibilité est ici au cœur de la réflexion de l’autrice considérant qu’elle permettrait de repenser le droit relatif aux activités précitées par le biais de la remise en question de la relation de domination animal-humain existante dans ces domaines.

Afin de construire un nouveau droit l’autrice va mobiliser deux notions que sont la vulnérabilité23 de l’être et la nécessité des atteintes et activités « de production »24.

A notre sens, mobiliser davantage la notion de vulnérabilité au sein des textes relatifs à ce type d’utilisation de l’animal, tel que le propose Madame Doussan, parait judicieux. Cela permet en effet à la fois de rendre compte de la relation déséquilibrée et de domination unissant l’animal « de production » à la personne, et de la fragilité de cet être qui devrait alors faire l’objet d’une meilleure considération et protection – tel que le souligne d’ailleurs l’autrice. Sur le plan pratique, cette dernière explique notamment que la prise en compte de cette vulnérabilité pourrait permettre l’instauration d’un classement des activités selon le risque d’atteinte encourue par l’animal. De cela découlerait alors un régime juridique adapté en fonction des dites activités. Néanmoins, nous regrettons que ce point ne soit pas davantage développé.

S’agissant de la « nécessité », notion déjà très présente dans nos normes, la chercheuse souligne un point essentiel : le recours à cette notion dans le cadre du droit relatif à l’animal renvoie à « la recherche d’un compromis entre des intérêts contradictoires »25. Elle opère également un parallèle intéressant entre cette notion et celle des « meilleurs techniques disponibles »26 déjà consacrée notamment en droit de l’environnement et qui, selon elle, devrait être davantage mobilisée car permettant in fine de réduire les atteintes et d’éviter celles « non nécessaires ».

Conclusion

Illustrant son propos avec divers exemples, mobilisant différentes notions tout en expliquant a minima ce qu’elles recouvrent, employant un vocabulaire clair et usant d’un style permettant aux non-juristes d’appréhender la matière – du moins ce qui est en l’espèce abordé, Madame Doussan livre un ouvrage, si ce n’est complet, du moins plutôt efficace s’agissant des points abordés.

  • 1 Voir en ce sens par exemple : Code rural et de la pêche maritime, article L214-1 : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ».
  • 2 Voir en ce sens, pour une explication succincte de l’objet de l’ouvrage : p.5-6. Par la suite, chaque note de bas de page renvoyant à une ou plusieurs pages sans autres précisions signifiera qu’il s’agit de page(s) de l’ouvrage de Madame Isabelle Doussan faisant ici l’objet d’une chronique.
  • 3 P.7-46.
  • 4 P.47-78.
  • 5 Voir par exemple : Brels S., Le droit du bien-être animal dans le monde – Évolution et universalisation, Éditions L’Harmattan, mars 2017. Dardenne E., Introduction aux études animales, Éditions PUF, Paris, 2020. Marguenaud J.-P., Burgat F., Leroy J., Le droit animalier, Éditions PUF, Paris, 2016.
  • 6 Voir par exemple : Gibert M., Voir son steak comme un animal mort, Lux Éditeur, Canada, 2015. Giroux V., Contre l’exploitation animale – un argument pour les droits fondamentaux de tous les êtres sensibles, Éditions L’Âge d’Homme, Lausanne, 2017. Kymlicka W., Donaldson S., Zoopolis – Une théorie politique des droits des animaux, Alma éditeur, Paris, coll. « Essai-Sociétés », 2016.
  • 7 P.7-11.
  • 8 P.9.
  • 9 P.12-18.
  • 10 P.15.
  • 11 Voir en ce sens les dispositions relatives à la « destruction des animaux susceptibles d’occasionner des dégâts » au sein du Code de l’environnement. Code de l’environnement, article R427-6.
  • 12 P.18-26.
  • 13 P.22-23.
  • 14 P.26-46.
  • 15 P27-28. Arrêt dit « Lunus », Cass. civ. 16 janv. 1962.
  • 16 P.33-36.
  • 17 P.37-39.
  • 18 P.39-43. Voir notamment en ce sens l’arrêt dit « Delgado ». Arrêt dit « Delgado », Civ. 1re, 9 décembre 2015, n° 14-25.910.
  • 19 Il doit néanmoins être souligné le fait que Madame Doussan évoque en amont la reconnaissance par le législateur d’un « intérêt juridiquement protégé » (p.21) détenu par l’animal lorsque fut consacrée sa sensibilité. Or, la reconnaissance d’un tel intérêt peut renvoyer à la subjectivisation de l’entité dès lors que l’on se réfère à certaines théories juridiques. Voir en ce sens, par exemple : P. Gerard, F. Ost et M. Van De Kerchove (dir.), Droit et intérêt, vol. 2 : Entre droit et non-droit : l’intérêt, Éditions Presses de l’Université Saint Louis, Bruxelles, 1990, p. 23 et s., citant R. Von Ihering (selon lui, les droits subjectifs sont des « intérêts juridiquement protégés »).
  • 20 Cela peut notamment être observé dans le cadre de construction de la condition juridique de la femme au sein de l’Etat français.
  • 21 P.55-56.
  • 22 P.61.
  • 23 P.63-68.
  • 24 P.68-78.
  • 25 P.69.
  • 26 P.73-76.
 

RSDA 2-2024

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