Histoire des sciences,Histoire moderne et contemporaine
Dossier thématique : Points de vue croisés

Réinterroger les assignations à l’époque contemporaine (XIXe – XXIe siècle) : le castor « voyageur »

  • Rémi Luglia
    Agrégé et docteur en Histoire
    Université de Tours/Université de Caen
    Chercheur associé à CITERES (Cités Territoires Environnement et Sociétés), équipe DATE (Dynamiques et Actions Territoriales et Environnementales) – UMR 7324 et MSH Val de Loire, université de Tours. Membre associé du Pôle rural - MRSH et à HisTeMé (EA 7455), Université de Caen Normandie. Chevalier de l’ordre national du Mérite.

 

1. Quand on évoque la notion de voyage à propos des animaux sauvages, surgit de prime abord la figure des migrateurs. Ce sont des espèces qui accomplissent tout ou partie de leur cycle annuel de vie en se déplaçant, parfois sur des distances considérables, généralement pour fuir le froid et ses contraintes, notamment alimentaires. Mais il existe des exceptions parmi les migrateurs : le manchot empereur (Aptenodytes forsteri) lui, migre à rebours puisqu’il s’installe en plein hiver au cœur du continent antarctique pour pondre et élever ses petits1. Par opposition aux migrateurs, d’autres espèces sont dites sédentaires, c’est-à-dire qu’elles demeurent durant toute leur vie individuelle au même endroit, parfois même en occupant un territoire assez bien délimité. Il en est ainsi du castor d’Europe (Castor fiber), que nous mobiliserons fréquemment comme exemple dans cette contribution, en renvoyant à notre publication de synthèse récente2. Mais est-ce à dire que ces espèces dites sédentaires sont pour autant immobiles, voir fixes ? Nous répondons d’emblée en affirmant la négative et en invitant, en historien, à mobiliser des perspectives temporelles étendues et imbriquées3, sans pour autant aller jusqu’au temps de l’évolution des espèces4, particulièrement signifiant pour mettre en mouvement le vivant mais beaucoup plus long et qui dépasse nos compétences universitaires.

2. Concrètement, cette opposition migrateurs/sédentaires tient pour partie d’un manichéisme souvent cher aux humains, qui apprécient au fil du temps ces binômes simplificateurs voire caricaturaux d’une réalité infiniment diverse et complexe : domestique/sauvage ; prédateur/proie ; carnivore/herbivore ; utile/nuisible ; allochtone/autochtone... Si toutes ces expressions se fondent sur certains constats réels du point de vue des humains, et leur permettent d’appréhender une réalité difficile à saisir, ils sont avant tout des construits sociaux qui catégorisent en le schématisant à outrance le monde vivant et déterminent les comportements humains à son égard. Comme se plaît à le souligner très à propos la juriste Aline Treillard, inspirée par Simone de Beauvoir : « on ne naît pas nuisible, on le devient »5. Ce constat peut être étendu à nombre de qualificatifs plaqués par les humains sur les réalités animales6. André Micoud par exemple raisonne selon le concept de « communauté biotique » au sein de laquelle il inclut les humains et pose le débat7 : comment vivre ensemble ? La façon de désigner les indésirables dans la communauté biologique est un premier enjeu qui emporte surtout une question opérationnelle : comment les contrôler (i.e. les détruire bien souvent) ? Trouver des arrangements implique de tenir compte des interactions permanentes qui se produisent à l’intérieur de la communauté biologique mais aussi par rapport à l’extérieur, et nécessite, pour s’inscrire dans la réalité des anthroposystèmes un dépassement de l’idéologie anthropocentrique, qui postule que l’humain est extérieur à la communauté. Corinne Beck et Élisabeth Rémy, dans un article fondateur8, montrent que les notions d’autochtonie et d’allochtonie sont très instables, et construites à partir d’un fonds idéologique commun et d’une singulière circularité des discours. Une qualification-hiérarchisation des espèces en est produite, où l’affect importe autant sinon plus que la raison scientifique ou l’intérêt des acteurs. Enfin, historiquement, elles signalent le passage progressif d’une logique d’intégration de l’étranger à celle de son exclusion et de sa désignation comme bouc-émissaire. Nous rejoignons cette analyse.

3. Le monde actuel, dont le caractère primordial selon nous est l’effondrement de la biodiversité9, ressort désormais globalement d’un système anthropocénique dans lequel les humains sont le principal facteur de transformation. Dans ce contexte, avec ces dynamiques de longue durée, quelle est la place des autres qu’humains au sein d’anthroposystèmes de moins en moins fonctionnels ? De façon plus prospective, quelle devrait être leur place pour construire un monde écologiquement plus fonctionnel, plus résistant, plus résilient ? Ne devrait-elle pas être plus respectueuse de la spontanéité et des besoins des vivants autres qu’humains, en somme de leur liberté ?

4. Ces réflexions générales nous conduisent à interroger dans la présente contribution les termes de « migrateur », « sédentaire », « voyageur » ou de « frontière », appliqués à la faune sauvage, en nous plaçant à différentes échelles spatiales10 et temporelles, et en mobilisant tout autant les points de vue humains (ici principalement issus des sciences naturalistes, qui sont la source principale de nos travaux de recherche)11 que les points de vue animaux12. Car toute la richesse heuristique du « voyage » ou de la « frontière » est contenue dans l’intrication de ces deux dimensions, dans une approche parfois qualifiée de géohistorique13, qu’il convient de rapporter aussi bien au niveau des individus, des communautés, des populations que des espèces. Ainsi à une échelle temporelle plus petite, celle de l’évolution, les espèces aussi se déplacent et se transforment, composant des communautés perpétuellement changeantes. La fin de la dernière glaciation (Würm, il y a environ 12 000 ans) a généré une formidable progression vers le nord de très nombreuses espèces animales, mais aussi végétales, composant et recomposant des écosystèmes variés. Les changements climatiques actuels provoquent des dynamiques similaires, accélérées : nombreuses sont les espèces dont l’aire de répartition se modifie (talève sultane Porphyrio porphyrio par exemple, qui progresse le long de la côte languedocienne) ou dont le comportement migratoire change (grue cendrée Grus grus qui hiverne désormais en Camargue par exemple). D’autres formes de voyages existent également, comme ceux qui conduisent les jeunes adultes de nombreuses espèces à « partir à l’aventure » pour trouver un lieu où s’établir. Les déplacements des animaux sont par ailleurs nombreux dans leurs déplacements quotidiens, mais ils excèdent le champ de notre réflexion, quoiqu’ils permettent néanmoins d’appréhender la notion de « frontière » et donc de « territoire ». À tous ces égards, les êtres humains n’apparaissent pas différents des autres animaux, et connaissent (ou ont connus) également ces mêmes types de déplacement. Cependant les regards et les agirs humains (nous nous concentrons ici sur les sociétés occidentales supports du naturalisme caractérisé par Philippe Descola)14 conduisent à de très grands bouleversements en modifiant profondément les communautés biologiques (5 pressions décrites par IPBES en 2019)15 et en façonnant les « harmonies terrestres », avec une accélération contemporaine produite par l’intensification agricole, l’industrialisation, l’urbanisation, la colonisation. Ainsi les animaux et leurs déplacements sont désormais fortement contraints par leur (sur)exploitation, les transformations (souvent destructions) de leurs habitats, les pollutions de toute nature (de l’air, de l’eau, des sols, lumineuses, olfactives…), les changements climatiques d’origine anthropique. Dans le cadre de notre réflexion, la question des espèces exotiques envahissantes est spécifique car elle représente un « voyage » d’espèces provoqué par les humains.

I. Des fluctuations humaines de la figure du voyageur chez l’animal sauvage : l’exemple du castor canadien

5. Pour entrer dans le sujet d’une façon très concrète et par une démarche inductive, il paraît assez signifiant de s’intéresser un instant au castor canadien (Castor canadensis) sous la forme de l’étude de 4 cas qui ont en commun un déplacement et une introduction de cette espèce par les humains. En effet, le castor canadien n’est pas présent naturellement en Europe. Pourtant, plusieurs populations existent ou ont existé dans le Nord, l’Ouest ou l’Est de ce continent.

6. Dans les années 1930, la Finlande, qui a vu ses castors disparaître en 1868, décide de réintroduire cette espèce. En 1935, des castors d’Europe sont prélevés en Norvège puis relâchés16. Mais en 1937, ce sont des castors canadiens qui sont introduits17 car à l’époque la différence entre les deux espèces ne paraît pas aussi bien connue que désormais. Les castors canadiens prospèrent rapidement et occupent une portion significative du territoire. La crainte des scientifiques, une fois qu’ils ont reconnus les deux espèces, est de les voir supplanter la population de castors d’Europe. Ils s’en inquiètent et documentent le sujet pendant plus de 50 ans, mais ce risque semble désormais s’estomper car les deux populations paraissent stables dans leurs effectifs et leur répartition en Finlande.

7. En France, dans les années 1970-1980, dans l’Yonne près de Saint-Fargeau, une population de castors canadiens existait dans un parc privé. Certains s’étant échappés en 1977, une petite population férale d'une vingtaine d'individus s’est formée. Or, sous l’influence des inquiétudes finlandaises, les naturalistes français se sont alarmés d’une possible concurrence avec la population de castors d’Europe en cours d’expansion sur la Loire, suite aux réintroductions de 1974-1976 à Blois, en supposant que celle-ci se ferait au détriment des castors européens. Les 24 castors canadiens furent donc capturés puis stérilisés à l’école vétérinaire d’Alfort. Depuis une surveillance étroite des castors en France est conduite par l’État (« Réseau castor » de l’Office français de la biodiversité) afin d’éviter toute arrivée de castors canadiens.

8. D’autres populations de castors canadiens, introduites en Autriche et en Pologne, semblent également éteintes. Mais, actuellement, la présence des castors canadiens est confirmée dans la zone frontalière de trois pays : l’Allemagne (Rhénanie-Palatinat), le Luxembourg et la Belgique. Un effort de prospection cherche à circonscrire la taille de cette population. L’objectif des scientifiques et des autorités semble à terme d’éradiquer cette population. La difficulté semble ici constituée principalement par l’existence de trois frontières humaines car il faut coordonner aussi bien les prospections que les prélèvements, et ajuster les temps politiques et les procédures administratives.

9. Enfin, bien loin de l’Europe, mais aussi de son territoire d’origine, le castor canadien a été introduit dans les années 1940 en Terre de Feu (Argentine et Chili) pour développer une activité économique autour de la fourrure, qui n’a d’ailleurs pas tenu les promesses escomptées. Sans prédateur, les populations de castors se sont considérablement développées dans ce milieu favorable mais produisent un déséquilibre majeur dans l’écosystème forestier dont les essences n’ont pas coévolué avec cette espèce : ainsi la forêt apparaît comme « ravagée » et les castors sont considérés comme espèce exotique envahissante, sans qu’une solution puisse être esquissée18.

10. Dans chacun de ces cas, bien qu’étant une espèce sédentaire, c’est bien la qualité de « voyageur » du castor canadien qui questionne les humains, que ce soit pour le déplacer intentionnellement (introductions), pour constater qu’il s’est affranchi des frontières assignées par les humains (évasion de captivité ; actions au-delà de ce qui était envisagé ou souhaité par les humains) ou pour le « remettre à sa place » (politiques de contrôle ou d’éradication). Sur le temps long, l’image du castor canadien parmi les humains, et la figure de « l’étranger », est passée d’une richesse potentielle (fourrure, à introduire) à un risque majeur (« espèce exotique envahissante », à éradiquer). Une montée en généralité est possible pour identifier, contextualiser et comprendre ces variations.

II. De la considération portée aux migrateurs

11. Les animaux migrateurs, et particulièrement les oiseaux, ont depuis longtemps interrogé les humains : que devenaient-ils pendant la saison froide ? Où se rendaient-ils ? Les grandes découvertes et notamment celle de l’Afrique, puis sa colonisation, ainsi que les sciences naturelles modernes (particulièrement avec Pierre Belon et Buffon ainsi que par la technique du baguage), attestent et précisent les phénomènes migratoires et remettent en cause certaines croyances (métamorphoses, hibernation par exemple des hirondelles), qui connaissent cependant une certaine persistance dans la population.

12. Au-delà de ces considérations d’ordre scientifique, les migrateurs sont d’abord considérés pour leur utilité économique, dans une conception anthropocentrée largement partagée jusqu’à notre époque, qui juge chaque espèce en fonction de son intérêt direct et immédiat perçu par les humains. En l’occurrence, les migrateurs (surtout les oiseaux mais ce sont aussi les poissons) sont considérés comme une manne providentielle, dont il faut absolument capter le maximum pour éviter que ce ne soient les voisins qui en profitent. Cette ressource est de prime abord conçue comme inépuisable. Ici c’est bien une vision humaine territorialisée qui s’applique à des espèces « sans frontières » : ces espèces ne sont pas de « chez nous », elles ne font que passer et leur surexploitation n’est pas pensée comme un appauvrissement de la richesse locale ou nationale.

13. M. de Confevron, naturaliste amateur membre de la Société d’acclimatation, est un bon exemple des opinions qui se définissent et s’expriment à la fin du XIXe siècle au sein des sociétés savantes sur la question des oiseaux migrateurs : « […] à force d’avoir dit qu’on pouvait détruire les oiseaux de passage et d’avoir mis ce précepte en pratique, il n’en existe presque plus ; de sorte qu’ils passent maintenant en bien petit nombre, en attendant qu’ils ne passent plus du tout. […] Tout concourt à la perte de ces pauvres petites bêtes : animaux de proie, qu’on se garde bien de détruire ; pièges de toutes natures […] ; chasses de toutes sortes […]. En face de cette tuerie si malheureuse des oiseaux, aucune protection, aucune répression bien entendue et efficace. Il en sera ainsi tant que la législation sur la chasse et sur la protection des oiseaux ne sera pas absolument modifiée, et ce, non uniquement par des législateurs, mais en tenant compte de l’avis et des vœux des sociétés savantes »19. M. de Confevron dénonce également l’ampleur des massacres réalisés à l’occasion des migrations dans le seul but de commercialiser la masse du gibier abattu. Ainsi en 1878, il demande la prohibition du commerce de la caille (Coturnix coturnix) au printemps à destination de la France ou de l’Angleterre et en provenance du Levant et de l’Afrique20.

14. La destruction des migrateurs ne semble pas connaitre de limites jusqu’à la fin du XIXe siècle, et bien peu ensuite. Les chasses dites « traditionnelles » sont dénoncées par les élites scientifiques et sociales car elles capturent en masse au moyen de filets, de glu, de pièges les petits oiseaux particulièrement dans les pays méditerranéens (rive nord et rive sud) mais aussi dans d’autres régions (Ardennes, Sud-Ouest). La pêche des poissons migrateurs consiste trop souvent à barrer entièrement un cours d’eau ou un bief pour capturer l’essentiel du flux que ce soit lors de la montaison ou lors de la dévalaison d’espèces comme le saumon (Salmo salar), l’anguille (Anguilla anguilla), la grande alose (Alosa alosa).

15. Ces destructions massives, et les constats empiriques puis scientifiques de la raréfaction et même de l’effondrement de ces espèces, ainsi qu’une meilleure connaissance de leur biologie, vont déterminer au cours du XIXe siècle les premières réglementations de protection pour conserver les ressources21. On peut cependant se questionner sur l’effectivité de ces dispositions car on ne constate aucune véritable amélioration de la situation de ces espèces, au contraire. Il faut dire qu’à la surexploitation viennent s’ajouter, et se cumuler, des facteurs autrement plus pernicieux et ravageurs : pollutions en tous genres et notamment des eaux, destruction des habitats, biocides. Tout ces facteurs sont parfaitement identifiés au cœur du XIXe siècle.

16. S’il est difficile de mesurer une réalité différente pour les espèces sédentaires, qui se raréfient tout autant que les migratrices, il est possible néanmoins de constater des représentations et des discours spécifiques de la part des humains, dans le sens d’un souci apparemment plus prononcé de leur devenir : ces espèces sont considérées de « chez nous » et nombreux sont les auteurs qui recommandent d’en prendre soin car elles participent à la richesse nationale. Ces espèces territorialisées semblent entrer plus facilement dans le patrimoine naturel défini au début du XXe siècle sur le modèle du patrimoine historique, culturel ou paysager22.

III. Les humains comme modeleurs des harmonies terrestres

17. Ces regards humains sur le vivant, que nous avons perçu à travers les exemples du castor canadien et la question des migrateurs, expriment en réalité une conception plus globale qui conçoit l’humain (de façon essentialisée) comme le grand ordonnateur du monde, le garant de ce qui est alors fréquemment nommé « les harmonies terrestres ». L’humain se pense alors comme supérieur à tout autre être vivant, et à la nature en général, dont il se distingue. Dans une perspective assez créationniste et finaliste, la plupart des humains considèrent que le monde leur est destiné et qu’ils sont légitimes à le modifier et à l’exploiter selon leurs seuls besoins directs et immédiats, le plus souvent privés. Une des déclinaisons les plus explicites de cette conception anthropocentrée est contenue dans les diverses introductions réalisées par les humains et dans leur avatar le plus abouti : l’acclimatation. Celle-ci consiste à déplacer des espèces animales et végétales d’un bout à l’autre de la planète pour les conduire à vivre sous d’autres climats (d’où le terme « acclimatation »). De tels déplacements ne sont pas nouveaux et au fil des millénaires les introductions d’espèces furent très nombreuses, notamment pour les animaux dits domestiques ou les plantes cultivées mais aussi pour les espèces sauvages23. Cependant la nouveauté du cœur du XIXe siècle est leur structuration et leur institutionnalisation autour de sociétés savantes dites d’acclimatation, dont la première et principale est française24. Le projet du fondateur de la Société d’acclimatation Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire, hérité de son père Étienne Geoffroy-Saint-Hilaire qui invente le mot « acclimatation »25, est de façonner le vivant : « Il ne s’agit de rien moins que de peupler nos champs, nos forêts, nos rivières d’hôtes nouveaux ; d’augmenter le nombre de nos animaux domestiques, cette richesse première du cultivateur ; d’accroître et de varier les ressources alimentaires, si insuffisantes, dont nous disposons aujourd’hui ; de créer d’autres produits économiques ou industriels ; et, par là même, de doter notre agriculture, si longtemps languissante, notre industrie, notre commerce et la société tout entière de biens jusqu’à présent inconnus ou négligés, non moins précieux un jour que ceux dont les générations antérieures nous ont légué le bienfait »26.

18. Le ministère français de l’Agriculture se préoccupe d’acclimatation au moins depuis 183727 mais c’est Isidore Geoffroy Saint-Hilaire qui fédère en 1854 toutes les initiatives françaises derrière un projet à la fois scientifique et utilitaire : il faut connaître les espèces pour espérer les acclimater puis développer l’économie agricole. Les réseaux diplomatiques, commerciaux, scientifiques et coloniaux sont mobilisés. Le Jardin d’acclimatation de Boulogne est créé en 1860. L’acclimatation de nombreuses espèces est tentée : alpaca, chèvre angora, ver à soie, yack, ailante du Japon… L’idée d’acclimatation traduit une conception particulière du monde dans laquelle les humains ont vocation à dominer l’ensemble des espèces pour leur seul profit. Cette vision est parfaitement insérée dans une idéologie du XIXe siècle qu’Éric Baratay définit comme « celle de la révolution industrielle, du progrès, de la conquête du monde et de la colonisation, c’est-à-dire de la grandeur et de la suprématie de l’homme, de son droit à saisir et transformer la nature »28. Dans ce cadre, le rôle des savants est de contribuer à livrer à l’appétit des humains la part la plus conséquente possible des « ressources naturelles ».

19. Cependant, dès la fin du XIXe siècle, plusieurs éléments vont se conjuguer pour favoriser une remise en cause de l’acclimatation et de l’utilitarisme le plus strict. Le premier de ceux-ci est la controverse scientifique autour de l’utilité et de la nuisibilité des espèces, qui remet en cause la notion même de « nuisible »29 et débouche sur le concept d’équilibre naturel, qui s’impose parmi les naturalistes30. Ce concept, pré-écologique, remet en cause l’interventionnisme utilitariste effréné et soutient que, dans l’intérêt de l’agriculture et plus largement des humains, il faut que les espèces se régulent naturellement entre elles. Le doute s’instille sur la capacité des humains à gérer cette nature qu’ils ne comprennent qu’imparfaitement et qu’ils ne croient maîtriser que par la violence de leurs actions destructrices. L’action des humains n’est plus alors considérée comme légitime que lorsqu’elle vient corriger une perturbation anthropique. Par ailleurs la responsabilité des humains dans la destruction de la nature s’affirme et se documente, notamment par les surexploitations d’espèces, la transformation des habitats, les menaces d’extinction.

20. Cet éveil des idées de protection de la nature profite d’une période particulièrement difficile pour la Société d’acclimatation, qui subit à partir des années 1880 une crise multiforme : chute du nombre d’adhérents, déficit des finances, contestation de la direction et de sa gestion défaillante. Simultanément, l’association s’éloigne du MNHN31 et rompt ses relations avec un Jardin d’acclimatation qui a tourné au spectacle et au « zoo humain »32. Isolée, malmenée, avec un projet en panne, l’association est au bord du gouffre et sa dissolution envisagée. L’arrivée d’Edmond Perrier entouré d’une nouvelle équipe va la sauver : elle retrouve sa proximité avec le MNHN33 (Edmond Perrier en est le directeur et l’association y est hébergée), réoriente ses travaux à l’appui de la politique coloniale et dispose à nouveau de la sollicitude d’un pouvoir en quête d’experts des ressources naturelles des nouveaux territoires34. Cette crise porte en elle une remise en cause profonde de l’acclimatation. La réussite scientifique de l’introduction de plusieurs espèces ne suffit pas à masquer l’échec du projet économique et social : l’acclimatation n’a pas véritablement enrichi les ressources agricoles, alimentaires et industrielles françaises. De plus, de nombreux savants contestent la possibilité d’une adaptation physiologique à un nouveau climat que ce soit de l’homme (société d’anthropologie, médecins coloniaux), des animaux ou des plantes35. Ils cantonnent alors l’acclimatation au transfert d’êtres vivants entre des régions de climats similaires. Cette définition minimaliste du projet tend à s’imposer à la fin du XIXe siècle, y compris au sein de la Société d’acclimatation, réduisant singulièrement le profit que l’on peut en attendre.

21. Plus intéressant pour notre propos, la pertinence de l’acclimatation est affaiblie à la même époque par des exemples d’introductions problématiques (cas du lapin en Australie)36 ce qui conduit la Société d’acclimatation à accueillir avec beaucoup de prudence, par exemple, celle du poisson-chat dans les rivières : « Il est prudent d’étudier encore par des élevages en eaux closes les mœurs de l’Ameiurus nebulosus, afin de pouvoir connaître exactement quelle est sa valeur et quels peuvent être ses inconvénients au point de vue de la destruction des autres Poissons, avant de l’introduire dans les eaux libres et publiques, d’où il serait impossible de le chasser plus tard, s’il était ultérieurement démontré que cette espèce présente plus de défauts et d’inconvénients que de qualités »37. Au milieu du XIXe siècle, de telles précautions n’auraient pas été de mise tant l’enrichissement semblait provenir d’une accumulation d’espèces, si possible allochtones. En cinquante ans, la notion d’équilibre a émergé et, en permettant de mieux comprendre les perturbations provoquées dans les écosystèmes par les introductions, a remis en cause l’acclimatation. « L’étranger », « l’exotique », perçu jusqu’alors comme une manne et un enrichissement, est devenu un « problème », un « envahissant ». Dans les décennies qui précèdent et suivent 1900, la figure de « l’étranger » connaît un basculement assez complet. De nombreux travaux scientifiques et des synthèses attestent depuis du rôle majeur que jouent les « espèces exotiques envahissantes » dans l’extinction d’espèces et l’effondrement de la biodiversité38.

22. Pourtant, jusqu’à notre époque et malgré la précocité de ces constats scientifiques, les introductions n’ont cessé, voire augmentent, qu’elles soient volontaires ou accidentelles, à tel point que le sujet des espèces exotiques envahissantes est devenu un enjeu majeur des politiques publiques en matière de biodiversité. Cependant, force est de constater que l’on traite plus, et de façon violente, le symptôme (régulation des populations introduites comme les ragondins (Myocastor coypus)) que les causes (circulation massive et qui s’accélère d’espèces en lien avec des logiques de libre-échange et l’essor du commerce international).

IV. La question de la « juste place » et des « harmonies »

23. En définitive, les différents éléments que nous avons évoqués jusqu’à présent, qu’ils soient très précis avec les études de cas concernant le castor canadien, ou bien plus généralisateurs comme pour les espèces migratrices ou l’idéologie de l’acclimatation, nous conduisent à constater que, pour les humains d’hier mais aussi pour ceux d’aujourd’hui, la seule question qui semble se poser est celle qui consiste à réfléchir à l’harmonie du monde et à la « juste place » de chaque espèce (dont les humains) dans celui-ci.

24. En réalité, depuis longtemps, et encore de façon tout à fait dominante de nos jours, bien que de plus en plus contestée, les humains imaginent se séparer du vivant et des animaux sauvages tout en leur assignant une place bien délimitée, loin d’eux si possible, et surtout en les sommant d’y rester. Avec un brin d’ironie, on pourrait parler de confinement du vivant par les humains, d’assignation à résidence (assortie de répression pour y rester le cas échéant), que le douloureux épisode de COVID-19 a inversé : beaucoup ont été surpris de voir à ce moment-là la nature « reprendre ses droits » selon l’expression journalistique qui a fait florès. Le « monde d’après » est cependant vite revenu au « monde d’avant » et les animaux voyageurs ont souvent continué à être désignés, que ce soit par les autorités et les politiques publiques ou dans l’opinion publique, comme étrangers, exotiques, envahisseurs, nuisibles, « espèce susceptibles d’occasionner des dégâts », proliférants, etc.

25. Si le voyage implique bien un déplacement, et donc un franchissement de frontière, il est important de ne pas se cantonner à étudier ces figures de l’égo-anthropo-centrisme existant mais réinterroger les concepts anthropocentrés appliqués aux autres êtres vivants, aux autres animaux, selon une perspective animale : qu’est-ce qu’une frontière pour un animal sauvage ? Le castor d’Europe est sur ces questions, comme sur bien d’autres, un formidable objet d’étude car, outre ses spécificités éco-éthologiques et sa grande adaptabilité aux conditions anthropisées, il connaît une dynamique historique particulière qui le conduit à revenir dans des cours d’eau dont les humains l’avaient éradiqué au cours des siècles passés. Et son retour télescope les représentations et pratiques des humains riverains mettant souvent au jour de façon criante le phénomène d’amnésie environnementale et générationnelle39.

26. Pour un castor, les frontières sont d’abord celles du territoire (2 à 4 km de linéaire de cours d’eau en moyenne) qui abrite sa famille (environ 6-8 individus en moyenne). Il le connaît par cœur et le parsème de marques très explicites pour les autres castors : pieds d’arbres rongés appelés « miroirs », coupes diverses, constructions. Mais surtout ce sont les dépôts de castoréum de la famille qui vont dessiner un paysage olfactif. Le castoréum est une huile sécrétée par deux glandes anales, dont l’odeur est propre à chaque individu, à chaque famille, à chaque lignée (les humains ne font pas la différence). Ainsi, en émergeant de l’eau et en humant la rive, les castors savent chez qui ils sont. La famille de castor défend parfois férocement son territoire contre tout castor qui voudrait s’y installer. Pour autant ils semblent accepter la présence temporaire d’un castor « étranger » qui serait de passage, les limites des territoires paraissent assez fluides et les conflits entre voisins établis assez rares. On trouve d’ailleurs parfois un individu solitaire installé entre deux familles.

27. Il peut donc sembler curieux d’évoquer la question du voyage pour un animal territorial qui passe l’essentiel de sa vie au sein d’un noyau familial sur une portion bien délimitée d’un cours d’eau. Et pourtant il existe bien un moment dans la vie d’un castor où il part à l’aventure : entre 2 et 3 ans, le jeune castor, devenu fraichement adulte, quitte sa famille de naissance pour remonter ou descendre la rivière. Il recherche une famille dont un des deux adultes serait récemment mort : si les choses se passent bien pour lui et qu’il est du bon sexe, il le remplace et perpétue ainsi l’existence de sa nouvelle famille sur le territoire. Le jeune castor peut aussi rechercher un territoire libre de castors pour s’y établir et attendre l’arrivée d’un partenaire. Quand les castors sont en phase de retour sur un cours d’eau, ils peuvent s’établir à 30 ou 40 km des autres familles, sur un territoire très favorable. Quand la rivière est déjà bien occupée par les castors, ils sont contraints de chercher des endroits moins favorables : petits ruisseaux, étangs, fossés, canaux de drainage…

28. Lors de ces voyages de jeunesse les castors peuvent rencontrer des obstacles, des frontières. Certaines sont naturelles. Torrents, cascades, fortes pentes, vallées sèches peuvent empêcher leur déplacement, jusqu’à ce qu’un castor plus téméraire parvienne à franchir la difficulté ou à la contourner. La plupart des obstacles actuels à la progression des castors sont en réalité anthropiques. Barrages hydroélectriques, canaux aux rives bétonnées, zones d’agriculture industrielle avec des rives de cours d’eau fortement dévégétalisées sont des difficultés parfois infranchissables. Cette artificialisation et la fragmentation qu’elle produit sont hautement préjudiciables à cette espèce, comme à bien d’autres. Elle conduit également à une surmortalité des jeunes castors, particulièrement quand ils cherchent sur terre à contourner les obstacles : une route leur est souvent fatale (principale cause de mortalité accidentelle des castors en France). Ainsi les humains, dans leur façon d’occuper l’espace, peuvent dans certains cas être une réelle limite à la libre circulation de cette espèce.

29. Mais les humains sont également une solution par la pratique des réintroductions40. En France, depuis 1957, plusieurs opérations ont permis aux castors de revenir sur des bassins dont ils avaient disparu, parfois depuis plusieurs siècles. Ainsi la réintroduction de Blois en 1974 a permis de repeupler la Loire moyenne et avale, et ses affluents (dynamique toujours en cours). Celle du Forez en 1994, a permis d’établir des castors entre les barrages de Villerest et de Grangent. Les réintroductions dans les Cévennes dans les années 1970 permettent aux castors de redescendre (péniblement, sans doute en raison de la fréquence des barrages humains) le Tarn et d’atteindre désormais la Garonne.

30. Et puis les castors savent utiliser les irrégularités et les délaissés des territoires humains. Ainsi une famille s’est établie en plein cœur de Lyon, sur un bout de rive ceinturé par une autoroute urbaine. D’autres reviennent dans la région des Hauts-de-France par la partie aval de cours d’eau franco-belges. Des castors canadiens survivent malgré les pressions humaines à la frontière entre Luxembourg, Belgique et Allemagne : on peut émettre l’hypothèse qu’ils déjouent ainsi, bien involontairement, les politiques publiques pas toujours coordonnées des trois administrations. Autre exemple, depuis l’hiver 2022, les castors sont particulièrement nombreux et actifs dans leurs constructions (huttes, barrages, canaux) à la frontière entre la Biélorussie et l’Ukraine, devenue un no man’s land suite à l’invasion russe. No man’s land : tout est dit dans ce mot, et cela explique la liberté retrouvée de cette population de castor… dont certains Ukrainiens se félicitent par voie de presse car cela rend le franchissement de la frontière par des engins blindés quasiment impossible tant le territoire est redevenu une zone humide renaturée.

Conclusion : ségrégation, coexistence, cohabitation : le grand débat de notre époque

31. Ainsi, par leur façon d’être au monde et de s’y faire une place, même quand il est anthropisé, par leur agentivité, les castors réinterrogent les conceptions et occupations humaines du territoire et la nature des frontières spatiales (en franchissant des lignes de partage de bassins versants par exemple ou des limites administratives), scientifiques (leur nouvelle répartition et les surprises éthologiques), ou des imaginaires (animal bâtisseur). En définitive, la grande question de notre époque ne serait-elle pas de savoir si les humains ont la capacité de cesser cette assignation à résidence du sauvage, cette ségrégation spatiale et spéciste, afin de laisser plus d’espaces aux vivants autres qu’humains, qu’ils soient sédentaires ou voyageurs ? Plutôt que de coexister, sans doute serait-il utile d’apprendre à cohabiter ?41 Le vent de la crise écologique se lève !... Il faut tenter de vivre ensemble !42

 

 

Mots-clés : histoire contemporaine ; France ; faune sauvage ; migrateurs vs sédentaires ; acclimatation ; introduction ; réintroduction ; castor

  • 1 Clément Cornec, « Le manchot empereur, une vie dans l’extrême », Le Courrier de la nature, n° 343, novembre 2024, dossier « Vivre le froid », p. 37-41.
  • 2 Rémi Luglia, Vivre en castor. Histoires de cohabitations et de réconciliation, Versailles, Éditions Quæ, avril 2024, 160 p.
  • 3 Bertrand Sajaloli, Sylvain Dournel, Laurent Lespez, Rémi Luglia, Philippe Valette, Corinne Beck, Marie-Christine Marinval, « Les temps de l’environnement, d’une construction interdisciplinaire commune à la crise des temporalités ? », Natures Sciences Sociétés, dossier « « Temps de la nature, temps de la société, temps scientifique à l’heure du changement global » », 2024, 31-4, p. 429-442. ⟨hal-04832984⟩
  • 4 Guillaume Lecointre, « Enseigner l’évolution : un parcours semé d’embûches », Le Courrier de la nature, n°343, novembre 2024, p. 6-12.
  • 5 Aline Treillard, « Le législateur français a-t-il peur des nuisibles ? », in Rémi Luglia (dir.), Sales bêtes ! Mauvaises herbes ! « Nuisible », une notion en débat, Rennes, PUR, 2018, p. 206.
  • 6 Rémi Luglia, « Quelle(s) place(s) laisser aux autres qu’humains ? Regard historien sur deux figures et récits : l’étranger et le nuisible », in Raphaël Larrère (dir.), Le renouveau du sauvage, HDiffusion, à paraître au printemps 2025.
  • 7 André Micoud, Des êtres « nuisibles », ou des « gêneurs » dans la communauté biotique ?, in Rémi Luglia (dir.), Sales bêtes ! Mauvaises herbes !..., op. cit., 2018, p. 27-37. André Micoud, « Comment en finir avec les animaux dits nuisibles ? », Études rurales, 129­‑130, 1993, p. 83‑94.
  • 8 Corinne Beck et Élisabeth Rémy, « Allochtone, autochtone, invasif : catégorisations animales et perception d’autrui », Politix, n°82, vol. 21, 2008, p. 193‑209.
  • 9 Sandra Díaz et al. (éd.), Summary for Policymakers of the Global Assessment Report on Biodiversity and Ecosystem Services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, IPBES, 2019, https://www.ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-F. Stanislas Rigal, Vasilis Dakos, Hany Alonso et Vincent Devictor, « Farmland practices are driving bird populations decline across Europe », PNAS, 120 - 21, 2023, https://doi.org/10.1073/pnas.2216573120. Aurélien Carré, Marion Péguin, Brigitte Poulin (dir.), Liste rouge des écosystèmes de l’UICN. Exercice d’application sur quelques écosystèmes de zones humides de France métropolitaine, UICN France, 2012.
  • 10 Cf. la synthèse collective récente Philippe Sierra, Farid Benhammou, Maie Gérardot et Guillaume Marchand (dir.), Géographie des animaux. De la zoogéographie à la géopolitique, Paris, Armand Colin, 2024, 288 p.
  • 11 Rémi Luglia, Des savants pour protéger la nature. La Société d’acclimatation (1854-1960), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2014, 434 p. Rémi Luglia, « Regards historiques sur les premiers espaces naturels protégés de France métropolitaine (XIXe-XXe s.) », Revue semestrielle de droit animalier, 1, 2016, p. 283-300. Rémi Luglia, Sales bêtes ! Mauvaises herbes ! « Nuisible », une notion en débat, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2018, 344 p. Rémi Luglia, « Premiers jalons pour une histoire de la protection des oiseaux en France métropolitaine (milieu XIXe s. – entre-deux-guerres) », Revue semestrielle de droit animalier, 2, 2020, p. 481-496. Rémi Luglia, Rémi Beau, Aline Treillard (dir.), De la réserve intégrale à la nature ordinaire. Les figures changeantes de la protection de la nature en France (XIXe s. - XXIe s., Rennes, PUR, coll. « Espace et territoires, 2023, 368 p.
  • 12 Éric Baratay, « Pour une histoire éthologique et une éthologie historique », Études Rurales, 189 (1), 2012, p. 91-106, doi:10.4000/etudesrurales.9556. Éric Baratay, Le Point de vue animal. Une autre version de l’histoire, Paris, Seuil, 2012, 388 p. Éric Baratay, Biographies animales, Paris, Seuil, coll. « L’univers historique », 2017, 300 p. Éric Baratay (dir.), Aux sources de l’histoire animale, Paris, Éditions de la Sorbonne, coll. « Homme et société », 2019, 288 p. Éric Baratay (dir.), Croiser les sciences pour lire les animaux, Paris, Éditions de la Sorbonne, coll. « Homme et société », 2020, 318 p. Éric Baratay (dir.), L’Animal désanthropisé. Interroger et redéfinir les concepts, Paris, Éditions de la Sorbonne, coll. « Homme et société », 2021, 320 p. Éric Baratay (dir.), Les Animaux historicisés. Pourquoi situer leurs comportements dans le temps et l’espace ?, Paris, Éditions de la Sorbonne, coll. « Homme et société », 2022, 384 p. Éric Baratay (dir.), Écrire du côté des animaux, Paris, Éditions de la Sorbonne, coll. « Homme et société », 2023, 318 p.
  • 13 Cf. l’ouvrage collectif récent qui met lumière toute la pertinence d’une telle approche Philippe Valette, Albane Burens, Laurent Carozza et Cristian Micu (dir.), Géohistoire des zones humides. Trajectoires d’artificialisation et de conservation, Toulouse, Presses Universitaires du Midi, 2024, 382 p.
  • 14 Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2006, 618 p.
  • 15 International Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES), Résumé à l’intention des décideurs du rapport sur l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, Document IPBES/7/10/Add.1, 29 mai 2019.
  • 16 F. Rosell, H. Parker, “A population history of the beaver Castor fiber fiber in Norway”, Restoring the European Beaver, 50, 2011, p. 19-25.
  • 17 S. Lahti et M. Helminen, “The beaver Castor fiber (L.) and Castor canadensis (Kuhl) in Finland”, Acta Theriologica, no 19, 1974, p. 177-189.
  • 18 C. Choi, “Tierra del Fuego: The beavers must die. War is declared on the introduced pests”, Nature, 453, 2008, p. 968. https://doi.org/10.1038/453968a ; Herrera A. Huertas, M. V. Lencinas, M. Toro Manríquez, J.A. Miller, G. Martínez Pastur, « Mapping the status of the North American beaver invasion in the Tierra del Fuego archipelago”, PLOS One, 15 (4), 2020. doi:10.1371/journal.pone.0232057.
  • 19 M de Confevron, « Procès-verbal de la séance générale du 12 mai 1882 » in Bull. SNAF, n° III9, 1882, p. 357.
  • 20 M. de Confevron, « Procès-verbal de la séance générale du 10 mai 1878 » in Bull. SA, n° III5, 1878, p. 324‑325.
  • 21 Rémi Luglia, « Premiers jalons pour une histoire de la protection des oiseaux en France métropolitaine (milieu XIXe s. – Entre-deux-guerres) », Revue semestrielle de droit animalier, n° 2, 2020, p. 481­-496.
  • 22 Rémi Luglia, « De l’animal nuisible à l’animal protégé (XIXe-XXIe siècle) : les cas des oiseaux et du castor », in Anne-Marie Flambard-Héricher et François Blary (dir.), L’animal et l’homme : de l’exploitation à la sauvegarde, Éd. du CTHS, 2021.
  • 23 Michel Pascal, Olivier Lorvélec et Jean-Denis Vigne, Invasions biologiques et extinctions. 11 000 ans d’histoire des vertébrés en France, Paris, Belin et Quae, 2006, 350 p.
  • 24 L’essentiel de ce qui suit est tiré de ma thèse, et des articles qui en sont issus : Rémi Luglia, Des savants pour protéger la nature. La Société d’acclimatation (1854-1960), Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2015, 434 p. Plusieurs historiens se sont intéressés à l’acclimatation, dans une optique d’histoire des sciences et sous l’angle du colonialisme. Les travaux de l’historien états-unien Michael A. Osborne sont les plus précieux à cet égard car ils analysent finement l’influence internationale de la Société et ses rapports avec le MNHN et les colonies ( M.A. Osborne, The « Société zoologique d’acclimatation » and the New French Empire : The Science and Political Economy of Economic Zoology During the Second Empire, Ann Arbor (Michigan), UMI Dissertation Services, 1987 ; Nature, the Exotic, and the Science of French Colonialism, Bloomington and Indianapolis, IUP, 1994 ; M.A. Osborne,« La Brebis égarée du Muséum », in C. Blanckaert, C. Cohen, P. Corsi et J.-L. Fischer (dir.), Le Muséum au premier siècle de son histoire, Paris, MNHN, 1997, p. 125‑153 ; M.A. Osborne, « Science and the French Empire », Isis, n° 96, 2005, p. 80-87). D’autres chercheurs élargissent l’analyse de ce concept scientifique à d’autres espaces et structures (C. Lever, They Dined on Eland. The Story of the Acclimatisation Societies, Londres, Quiller Press, 1992 ; T. H. Dunlap, « Remaking the Land : The Acclimatization Movement and Anglo Ideas of Nature », Journal of World History, vol. 8 n° 2, 1997, p. 303-319. ; P. K. Wells, « “An Enemy of the Rabbit”. The Social Context of Acclimatisation of an Immigrant Killer », Environment and History, vol. 12, n° 3, 2006, p. 297-324). C. Bonneuil (Des savants pour l'Empire. La structuration des recherches scientifiques coloniales au temps de la mise en valeur des colonies françaises. 1917-1945, Paris, ORSTOM, 1991) et R. Grove (Green Imperialism. Colonial Expansion, Tropical Island Edens and The Origins of Environmentalism. 1600-1860, Cambridge, CUP, 1996), entre autres, insistent par ailleurs sur les rapports entre science, scientifiques et colonialisme, en dépassant la seule acclimatation. S. Aragon (« Le rayonnement international de la Société zoologique d’acclimatation. Participation de l’Espagne entre 1854 et 1861 », art. cit.) décrypte quant à lui les liens entre l’Espagne et la Société d’acclimatation.
  • 25 Etienne Geoffroy Saint-Hilaire est le premier titulaire de la chaire de zoologie du MNHN lors de sa création en 1793. Il fonde et dirige la Ménagerie du Jardin des plantes (1793-1798 puis 1802-1837 et 1838-1841). Son fils Isidore naît au Muséum en 1805. D’abord aide-naturaliste de son père, puis membre de l’Académie des sciences, il ne tarde pas à lui succéder comme titulaire de la chaire de zoologie et comme directeur de la Ménagerie. Il accède en 1860 à la direction du MNHN avant de s’éteindre le 10 novembre 1861 dans ce même lieu.
  • 26 I. Geoffroy Saint-Hilaire, « Allocution dans la réunion préparatoire du 20 janvier 1854 », Bulletin de la Société Zoologique d’Acclimation, I, 1854, p. vii-viii.
  • 27 Archives Nationales (AN), F10 1733, essais d’acclimatation en France de nouvelles espèces animales et végétales (1837‑1854).
  • 28 Éric Baratay, Et l’homme créa l’animal. Histoire d’une condition, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 24.
  • 29 Rémi Luglia (dir.), Sales bêtes ! Mauvaises herbes ! « Nuisible », une notion en débat, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2018, 344 p.
  • 30 Rémi Luglia, « Premiers jalons pour une histoire de la protection des oiseaux en France métropolitaine (milieu XIXe s. – Entre-deux-guerres) », Revue semestrielle de droit animalier, n° 2, 2020, p. 481­-496.
  • 31 Edmond Perrier, « Note sur le jardin d’acclimatation de Boulogne » (s.d.). MNHN (Bibliothèque centrale, Ms 2226). M. A. Osborne a étudié de façon très détaillée ces questions (M.A. Osborne, Nature, the Exotic, and the Science of French Colonialism, … op. cit. ; M.A. Osborne, « La Brebis égarée du Muséum », art. cit.).
  • 32 N. Bancel, P. Blanchard, G. Boetsch, E. Deroo, et S. Lemaire (dir.), Zoos humains. De la Vénus hottentote aux reality shows, Paris, La Découverte, 2002.
  • 33 Christophe Bonneuil, « Le Muséum national d’histoire naturelle et l’expansion coloniale de la Troisième République (1870‑1914) », Revue française d’histoire d’Outre-mer, n° 322­-323, 1999, p. 143‑169.
  • 34 Ce tournant est parfaitement décrit, avec une temporalité similaire, par Christophe Bonneuil à propos de l’agronomie tropicale. : C. Bonneuilet M. Kleiche, Du jardin d’essais colonial à la station expérimentale 1880-1930. Éléments pour une histoire du CIRAD, Paris, CIRAD, 1993.
  • 35 C. Bonneuil et M. Kleiche, Du jardin d’essais colonial à la station expérimentale 1880-1930… op. cit., p. 21.
  • 36 C. Mougenot et L. Strivay, Le pire ami de l’homme : du lapin de garenne aux guerres biologiques, Paris, La Découverte, 2011 ; P.K. Wells, « “An Enemy of the Rabbit”. The Social Context of Acclimatisation of an Immigrant Killer », Environment and History, vol. 12, n° 3, 2006, p. 297-324.
  • 37 « Procès-verbal de la séance de la section d’aquiculture du 20 janvier 1902 », Bulletin de la Société Nationale d’Acclimatation de France, 49e année, 1902, p. 53-54.
  • 38 IPBES, Summary for Policymakers of the Thematic Assessment Report on Invasive Alien Species and their Control of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, 2023.  https://doi.org/10.5281/zenodo.7430692
  • 39 Nous renvoyons pour cette partie à notre ouvrage récent : Rémi Luglia, Vivre en castor. Histoires de cohabitations et de réconciliation, Versailles, Éditions Quæ, 2024, 160 p.
  • 40 Une réintroduction est une action consistant, après avoir identifié puis maîtrisé la cause de la disparition, à relâcher un certain nombre d’individus d’une espèce sur un territoire d’où elle a disparu. Le prérequis est que la présence historique récente (quelques milliers d’années) de l’espèce soit avérée et documentée. Les objectifs peuvent être multiples : consolidation de l’état de conservation d’une espèce ; aide à l’expansion de son aire de répartition ; connexion entre deux populations séparées ; restauration de fonctions écosystémiques liées à cette espèce (herbivorie ou prédation par exemple). Elle est à distinguer de deux autres notions : renforcement de population et introduction. Un renforcement de population prévoit, au sein d’une population existante mais peu nombreuse d’une espèce, l’apport de nouveaux individus pour en consolider le nombre, et donc la viabilité. L’objectif peut en être un soutien à la diversité génétique de l’espèce. Une introduction consiste en l’insertion dans un écosystème d’une espèce n’y ayant jamais existé (exotique ou allochtone). Les introductions perturbent généralement le fonctionnement des écosystèmes, et les espèces introduites peuvent devenir envahissantes.
  • 41 Sur le modèle de la période de la Guerre froide dite de « coexistence pacifique », le terme « coexistence » peut être compris dans le sens d’exister ou de vivre chacun de son côté, séparé, avec une sorte d’obligation à se tolérer parce que l’on ne peut pas s’éradiquer. Il témoigne alors d’une opposition binaire. Cette dualité n’est pas contenue dans le mot de « cohabitation », qui signifie partager la même habitation, la même maison et, donc, vivre ensemble. « Cohabitation » emporte une unicité de lieu, et de destin, particulièrement adaptée quand on cherche à penser dans le cadre d’une « communauté des vivants » (communauté biologique des écologues).
  • 42 Le lecteur aura reconnu l’inspiration du poète Paul Valéry, Le cimetière marin, 1920.
 

RSDA 2-2024

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