Initiatives parlementaires d'intérêt animalier
La dissolution de l'Assemblée nationale survenue au soir du 9 juin 2024 a marqué, comme eût dit M. De la Palice, la fin un peu brutale de la XVIème législature, riche en propositions de lois d'intérêt animalier au cours de sa brève existence. Alors que l'espérance de vie de la XVIIème qui vient de naître est des plus fragiles, il ne faut pas laisser passer l'occasion de vérifier si son irruption a eu des conséquences directes sur les initiatives parlementaires d'intérêt animalier venant de l'Assemblée nationale ou même indirectement sur celles émanant du Sénat. Ses conditions d'existence sont tellement particulières qu'elles auraient pu se traduire par une montée en puissance de l'argument selon lequel les questions d'intérêt animalier qui ne sont jamais la priorité du moment le sont encore moins de celui-ci. Or, les initiatives parlementaires d'intérêt animalier ont été moins nombreuses entre juillet et novembre 2024, mais elles n'ont pas complètement disparu du paysage. Qu'elles aient réussi à surnager au milieu de la tempête politique est probablement le signe que les questions relatives aux animaux ne s'inscrivent pas dans un phénomène de mode. L'actualité parlementaire animalière ayant quand même perdu un peu d'intensité, elle n'a pas pu gagner beaucoup en originalité. Il convient donc d'en rendre compte suivant à peu près le même plan que pour la précédente édition semestrielle.
I-Les initiatives visant à renforcer la protection des animaux
L'Assemblée nationale s'est à nouveau efforcée de prolonger la loi du 30 novembre 2021 tandis que le Sénat s'est dévoué pour perdre une nouvelle bataille contre les amateurs de corridas. Une nouvelle espèce d'animaux sauvages a bénéficié d'une attention protectrice et, d'une manière un peu plus originale, une proposition de loi s'est intéressée à la protection des animaux d'élevage contre les nuisances.
A-Prolonger la loi du 30 novembre 2021
Il faut reconnaître au député Les Républicains Ian Boucard le double mérite d'avoir de la suite dans les idées et de savoir placer les initiatives d'intérêt animalier de l'Assemblée nationale sous une influence transpartisane. Prenant toujours solidement appui sur le socle juridique constitué par ''la célèbre loi n° 2015-177du 16 février 2015 qui intègre la notion d’être vivant doué de sensibilité à l’animal'' et sur ''la très récente loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 contre la maltraitance animale qui est heureusement venue renforcer notre arsenal législatif en mettant notamment en place, à partir du 1er janvier 2024,l’interdiction de la vente de chats et de chiens dans les animaleries'', il reprend en effet dans une proposition n°388 enregistrée le 15 octobre 2024 sa proposition d'interdire aussi la vente de chiens et de chats dans les salons déjà avancée de manière exemplaire dans la PPL n°1496 du 11 avril 2024 (Cf cette chronique dans le précédent numéro RSDA 1/2024). À nouveau, il a su rallier à cette idée des députées et de députés de tous bords allant de M. Aymeric Caron apparenté LFI jusqu'à Mme Béatrice Roullaud du RN en passant par M. Gérald Darmanin.
La proposition n° 253, déposée le 17 septembre 2024 visant à mieux protéger les animaux, améliorer leurs conditions de vie et lutter contre la maltraitance qui reprend et amplifie la proposition n° 2565 déjà déposée le 2 mai 2024 par Mme Alexandra Martin, se situe jusque dans son intitulé dans le sillage de la loi du 30 novembre 2021. Elle est cependant moins transpartisane puisqu'elle est portée par un groupe de 8 députées et députés ne comprenant que des Républicains à l'exception de l'élue d'Ensemble pour la République Julie Delpech. Elle est aussi beaucoup moins solidement étayée puisque dans un exposé des motifs d'une brièveté toujours aussi étonnante, elle se borne comme la précédente à évoquer ''de récentes mesures [qui ] ont permis d’obtenir des avancées majeures pour la cause animale et d’améliorer les conditions de bien‑être des animaux domestiques et sauvages''. Sur le fond, elle préconise néanmoins d'intéressantes avancées : pour inciter à la stérilisation des animaux de compagnie par des avantages fiscaux ; interdire la surstimulation ovarienne des chiennes et des chattes et l'électrostimulation des chiens et des chats ; assermenter les bénévoles- enquêteurs des associations de protection des animaux ; stigmatiser les euthanasies de complaisance. À ces mesures déjà prévues dans la proposition du 2 mai 2024 ont été ajoutées l'extension de l'identification et la délivrance d'un certificat d'engagement et de connaissance à tous les NAC et bien sûr l'interdiction de la vente des chiens et des chats dans les salons. Il faut souligner que cette nouvelle proposition de Mme Alexandra Martin n'a pas su davantage résister que la précédente à la tentation d'accentuer la tendance à la surenchère répressive dont la pertinence est pourtant douteuse. Elle persiste en effet à vouloir doubler presque systématiquement les années d'emprisonnement et le montant des amendes prévues par l'article 521-1 du Code pénal pour atteindre dans les cas les plus graves des sommets légèrement surréalistes de 9 ans et de 120 000 euros.
B-Surmonter l'échec de la proposition d'abolition de la corrida
On se souvient que, après la tentative avortée le 24 novembre 2022 de faire voter par l'Assemblée nationale la proposition du député apparenté LFI Aymeric Caron d'abolir la corrida en France, deux initiatives parlementaires d'origine sénatoriale avaient envisagé d'atténuer cet échec en interdisant la présence de mineurs de 16 ans à ce spectacle vivant qui se termine par la mort (Cf. cette chronique RSDA 1/2024). Ainsi la proposition n° 141 du 22 novembre 2003 portée par la sénatrice EEVL Raymonde Poncet-Monge et la proposition n° 475 du 27 mars 2004 déposée par la sénatrice Renaissance Samantha Cazebonne visaient-elles à interdire aux mineurs de 16 ans les corridas et les écoles taurines pour la première, les corridas et les combats de coqs pour la seconde. De l'extérieur, il était surprenant que deux propositions aussi parentes aient pu être déposées sans la moindre concertation. Heureusement, la concertation a eu lieu. Elle aurait pu se traduire par une synthèse entre les deux propositions ; elle s'est conclue par le ralliement de Mme Poncet-Monge à Mme Cazebonne dont le groupe parlementaire a décidé de l'inscrire dans sa niche parlementaire du 14 novembre 2024. Une telle proposition comptant des défenseurs de tous bords et traduisant une idée partagée par Simone Veil et Robert Badinter semblait devoir être adoptée sans difficultés par le Sénat. Or, emboîtant le pas à la Commission des lois qui, sur le rapport n° 115 du sénateur Louis Vogel déposé le 6 novembre 2024, avait rejeté le texte proposé, le 14 novembre 2024, le Sénat, à l'écrasante majorité de 237 voix contre 64 a refusé d'adopter la proposition de loi visant à interdire les corridas et les combats de coqs en présence de mineurs de moins de 16 ans.
C'est donc un nouvel échec cinglant des adversaires des traditions locales prolongeant la mise en spectacle de la cruauté et des sévices exercés sur des animaux reconnus comme des êtres vivant doués de sensibilité. De revers en déceptions, la tradition, taurine plus particulièrement, est progressivement renforcée dans des conditions que ses plus ardents partisans n'osaient peut-être pas espérer. Peut-être, dès lors, est-il temps de commencer à réfléchir à la manière d'enrayer cette machine à perdre. Quelques lignes n'y suffiront pas, mais dans l'esprit de cette chronique inédite, il est permis de s'interroger déjà sur la qualité technique des propositions de lois d'intérêt animalier qui se multiplient sur ce thème. Hommage avait été rendu dans ces colonnes à la densité de l'exposé des motifs de la proposition n°141 de Mme Raymonde Poncet-Monge. Bien souvent, et même si ce n'est pas précisément le cas de la proposition de Mme Samantha Cazebonne, le lecteur extérieur a l'impression de se trouver face à un exposé des motifs griffonné en 5 minutes entre le dessert et le café. Or, en matière animalière, l'exposé des motifs et l'architecture de la réforme proposée doivent être d'une rigueur absolument irréprochable car la moindre maladresse, la moindre imprécision, peuvent être exploitées avec une facilité déconcertante sous la pression ironique des lobbies puissamment organisés que la promotion de la protection animale dérange. En l'occurrence, les arguments développés par le rapporteur Louis Vogel et les sénateurs majoritaires sont quelquefois très contestables. Dans une Revue de droit de la famille et des personnes on pourrait s'insurger de la désinvolture adoptée face à la Recommandation du Comité des droits de l'enfant de redoubler d'efforts pour faire évoluer les traditions et les pratiques violentes qui ont un effet préjudiciable sur le bien-être des enfants, et notamment d'interdire l'accès des enfants aux spectacles de tauromachie ou à des spectacles apparentés que Mme Cazabonne avait placée en exergue. Dans une Revue de droit animalier, en revanche, il faut bien admettre que certains sont imparables. Comment par exemple, a-t-on bien pu oublier la cohérence la plus élémentaire qui commandait non seulement d'interdire la présence de mineurs de moins de 16 ans comme spectateurs dans les arènes et les gallodromes mais aussi et peut être surtout leur accueil presque en bas âge dans les écoles taurines pour les rendre apprentis-acteurs de la souffrance animale ? Comment avoir oublié de prévoir les difficultés engendrées par le passage de ''la logique cinématographique'' privilégiée par la proposition Poncet-Monge consistant à vérifier l'âge au moment d'entrer dans l'enceinte de spectacles et à punir de manière spécifique les contrevenants, à une approche consistant à soumettre l'organisateur aux sanctions prévues par l'article 521-1 du Code pénal dès lors qu'un seul mineur de moins de 16 ans aurait assisté aux combats ? D'une manière plus générale, ensevelir à ce point l'intérêt de l'animal sous l'intérêt supérieur de l'enfant, n'exposait-il pas à l'accusation de masquer le véritable objectif d'élimination de la corrida et au risque de se faire prendre en défaut sur le terrain du droit de l'autorité parentale insuffisamment déminé ?
La moralité de ce nouvel épisode désastreux pourrait être la suivante : pour faire avancer par la voie d'initiatives parlementaires la protection des animaux, il ne suffit pas d'avoir des convictions profondes et sincères, il faut aussi avoir des compétences juridiques supérieures à celles des autres qui, on peut en être certain, ne pardonneront jamais rien.
C- Protéger les animaux sauvages
La proposition la plus originale et la plus stimulante du semestre est la proposition n° 597 déposée le 19 novembre 2024 par le député Jean-François Coulomme qui a regroupé derrière lui plus de 80 députés LFI et écologistes pour viser l'abolition de la chasse à la marmotte. Cette chasse qui ne correspond à aucune nécessité de régulation est déjà interdite dans plusieurs départements et ne perdure dans d'autres que pour perpétuer une tradition culinaire. Son abolition générale tendrait donc à éliminer une autre tradition dont les animaux sont victimes . Elle correspondrait cependant à une hypothèse originale puisque rien n'indique que la chasse à la marmotte se réalise suivant des méthodes d'une cruauté particulière. Comme, selon l'exposé des motifs, l'abolition générale est vivement demandée par le secteur économique et touristique de montagne, on en viendrait à se dire que la proposition Coulomme se justifie d'abord parce que, en montagne, la présence de la marmotte est sympathique même si, par ailleurs, elle exerce une heureuse influence sur la biodiversité végétale locale.
D- Protéger les élevages contre les nuisances
Les animaux sont élevés dans de telles conditions que, à leur corps défendant, ils sont le plus souvent considérés comme des sources de nuisances. Ils peuvent aussi en être les victimes. C'est du moins ce que l'on peut comprendre à la lecture de la proposition de loi n° 585, visant à protéger les élevages des nuisances des éoliennes, déposée le 19 novembre 2024 par le député L.R Corentin Le Fur.
Prenant au sérieux les témoignages de certains éleveurs de bovins qui ont noté la survenance de certains troubles dans leurs troupeaux après la mise en fonctionnement d'éoliennes mais qui ne disposent pas des éléments scientifiques nécessaires pour démonter le lien de causalité entre la baisse de leur production et l'implantation de ces engins ailés, il invoque à leur profit le principe de précaution. En son nom, l'article L. 515-44 du Code de l'environnement devrait être modifié de manière à établir une distance minimum d'un kilomètre entre les éoliennes et les bâtiments d'élevage. Quand on sait que la plupart des syndicats agricoles sont vent debout, si l'on ose dire, contre le principe de précaution qu'ils accusent d'être un principe d'inaction dès qu'un danger hypothétique est soulevé, il vaut avouer que sa mobilisation par le député Corentin Le Fur ne manque pas de sel. Il faut surtout observer que sa proposition se garde bien de viser la protection des animaux d'élevage dont le bien-être en tant qu'êtres sensibles n'est jamais évoqué : la protection des élevages et les bonnes conditions de travail des éleveurs l'intéressent exclusivement. On peut s'étonner de ce que cet élu du peuple n'ait pas encore compris que la protection de la ruralité et la protection des animaux peuvent s'épauler mutuellement. Il est vrai que sa proposition, qui ne semble pas soupçonner l'existence d'animaux ne vivant pas exclusivement dans des bâtiments d'élevage et se déplaçant dans des pâturages à beaucoup moins de 1 000 mètres des éoliennes, ne se préoccupe pas davantage de ruralité.
II- Les initiatives visant à protéger contre les animaux
À l'Assemblée nationale, le début de la XVIIème législature a été marqué par l'enregistrement de propositions de lois visant à accentuer la protection contre les animaux vivant à l'état de liberté naturelle déjà adoptées par le Sénat. Tel a été le cas, le 24 juillet 2024, d'une proposition visant à créer une zone de protection renforcée contre les loups qui avait été adoptée au Palais du Luxembourg il y a plus de 10 ans, le 30 janvier 2013.Le 25 juillet 2024 est venu le tour d'une proposition tendant à renforcer l'intervention du maire dans la lutte contre l'introduction et la propagation des espèces toxiques envahissantes adoptée par les sénateurs le 7 mai 2019.Pour faire bonne mesure et faire écho à une des plus lancinantes angoisses estivales, c'est la proposition sénatoriale adoptée le 11 avril 2024 visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver l'élevage avicole qui a été reprise dès le 23 juillet 2024.
Quant au Sénat, qui est souvent à l'initiative des initiatives de lutte contre les animaux sauvages provocateurs de divers dommages et dégâts, il s'est encore signalé dans ce rôle par une proposition n° 681, déposée le 5 juin 2024 par le sénateur LR Laurent Burgoa, visant, dans un contexte caractérisé par un effet ciseaux résultant de la diminution de nombre des chasseurs et de l'augmentation de celui des sanglier, à réformer et à moderniser le régime d'indemnisation des dégâts de grand gibier. La modernisation qui répondrait à la fois aux vœux des agriculteurs dont les récoltes sont dévastées et à l'intérêt des fédérations départementales de chasse croulant sous le poids des demandes d'indemnisation qui leur incombe se traduirait, comme on l'aurait aisément deviné, à transférer à la charge à l'État ce fardeau sans poser la question de savoir s'il n'y aurait pas une manière résolument plus moderne de l'alléger en développant des méthodes alternatives, spécialement contraceptives.
III-Les initiatives visant à préserver les activités productrices de souffrance animale
La proposition qui se place le plus résolument sous le vent mauvais soufflant depuis quelques années sur la protection des animaux est la proposition n° 579 enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 novembre 2024. À l'initiative du député de la droite républicaine Xavier Breton, elle vise, en réaction à l'incendie de l'abattoir de Haut-Valromey dans le département de l'Ain en septembre 2018, à ''renforcer l'arsenal législatif face à la multiplication d'entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d'abattage ou de commerce de produits d'origine animale''. Ce renforcement se traduirait notamment par une modification de l'article 431-1 du Code pénal punissant de 3 ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende le fait d'entraver d'une manière concertée et à l'aide de menaces l'exercice d'un certain nombre de libertés parmi lesquelles figure celle du travail et par la création d'un délit sous un nouvel article 432-2-1.Quant au délit d'entrave, il serait désormais constitué sans condition de concertation et il viserait également les actes d'intrusion et d'obstruction ajoutés aux menaces. Quant au nouveau délit, puni de 1 an d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende, il s'agirait de l'introduction sans droit dans un lieu où sont exercées, de manière licite, un certain nombre d'activités notamment les activités agricoles.
On pourrait déplorer le cynisme avec lequel la proposition part d'un fait divers d'une rare violence pour incriminer des agissements qui attirent l'attention sur la brutalité du sort des animaux par des méthodes qui relèvent plutôt d'une culture non violente. On pourrait tout aussi bien mettre en garde contre les risques non négligeables qu'il y à amorcer le cycle perdant-perdant provocation-répression alors que faire changer les choses par le droit n'est plus aujourd'hui une voie tout à fait sans issue.