Actualité juridique : Jurisprudence

Droit constitutionnel

  • Olivier Le Bot
    Professeur de droit public
    Université d’Aix-Marseille

La Belgique inscrit la protection et le bien-être de l’animal dans sa Constitution

 

Résumé : Dans le domaine du droit constitutionnel animalier, un évènement doit être retenu au titre de la période couverte par cette chronique. Il s’agit de l’inscription de l’animal dans la Constitution du royaume de Belgique. Le législateur constitutionnel belge a retenu une formule relativement ambitieuse mais qui, selon toute vraisemblance, devrait être dotée d’une portée limitée.

Mots-clés : Constitution ; Belgique ; non-régression

 

La Belgique a rejoint en mai 2024 le cercle très fermé des États dont la Constitution consacre une obligation de protection de l’animal1. La nouvelle norme trouve place à son article 7 bis, dont l’alinéa 2, qui vient d’y être ajouté, dispose que « Dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les communautés et les régions veillent à la protection et au bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles ».

Cet article, adopté en 2007, ne comportait jusqu’à présent qu’un seul alinéa. Celui-ci, qui devient mécaniquement son alinéa 1er, prévoit que « Dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les communautés et les régions poursuivent les objectifs d’un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, en tenant compte de la solidarité entre les générations ».

Il convient de souligner que l’article 7 bis, désormais constitué de deux alinéas, représente l’unique article du Titre Ier bis de la Constitution, intitulé « Des objectifs de politique générale de la Belgique fédérale, des communautés et des régions ».

Que doit-on retenir du processus de révision ayant abouti à l’insertion de l’animal dans la Constitution belge et quelle en sera la portée ?

 

I. L’adoption de la révision

 

A. Les prémices

 

En Belgique, la révision de la Constitution est régie par son article 195.

La procédure comprend trois phases.

Dans une première phase, les trois branches du pouvoir législatif fédéral – la Chambre des représentants, le Sénat et le Roi2 – rédigent en tant que préconstituant, chacun de manière autonome, une déclaration de révision de la Constitution. Celle-ci contient une liste d’articles ou de parties d’articles de la Constitution ouverts à révision. Seules les dispositions se retrouvant dans chacune des trois déclarations (ce que l’on appelle « l’intersection ») sont ouvertes à révision.

Dans la deuxième phase, les déclarations de révision sont publiées au Moniteur belge (qui constitue le journal officiel de Belgique). Cette publication entraîne de plein droit la dissolution des chambres et l’organisation d’élection législatives anticipées.

Dans la troisième et dernière phase, les nouvelles chambres et le Roi peuvent, en tant que pouvoir constituant, réviser les dispositions constitutionnelles ouvertes à révision. La révision d’une disposition constitutionnelle nécessite une double majorité des deux tiers : au moins deux tiers des membres doivent être présents et deux tiers des suffrages exprimés doivent être des votes positifs.

Dans le cas présent, l’ajout de l’animal dans la Constitution belge faisait partie (à côté d’une dizaine d’autres thèmes) des trois déclarations de révision adoptées en 20193. Il s’agissait donc d’une question dont pouvait se saisir le constituant à l’occasion de la nouvelle législature (2019-2024). Ce qu’il a fait.

Entre octobre 2019 et janvier 2023, trois propositions distinctes de révision constitutionnelle ont été déposées à cette fin :

- la proposition de révision de l’article 7bis de la Constitution, en vue d’ajouter un alinéa réglant le bien-être des animaux4 ;

- la proposition de révision de l’article 23 de la Constitution relative à la reconnaissance des animaux en tant qu’êtres sensibles5 ;

- la proposition de modification de l’article 23 de la Constitution en vue d’y consacrer le bien-être animal6.

Dans l’objectif de dégager un consensus, les auteurs de ces trois propositions se sont concertés et ont présenté une proposition commune le 5 octobre 20237. Celle-ci a été approuvée telle quelle par les chambres, sans être amendée.

 

B. L’adoption

 

Au Sénat, l’adoption est intervenue en séance plénière le 24 novembre 2023. Sur 50 votants, 47 ont voté en faveur de la révision8.

À la Chambre des représentants, l’examen en séance plénière a eu lieu le 2 mai 2024. Sur 122 représentants, 70 ont voté pour, 23 contre et 29 se sont abstenus. La présidente de la Chambre en a déduit : « Le quorum des présences est atteint. La majorité des deux tiers est atteinte. En conséquence, la Chambre adopte le projet de révision de l’article 7bis de la Constitution. Il sera soumis à la sanction royale »9.

On notera que la proposition de révision n’a connu aucun changement rédactionnel durant son examen parlementaire. Le texte adopté correspond donc, en tous points, à celui qui avait été proposé.

Il ressort de la lecture des débats parlementaires que les raisons mises en avant pour justifier l’adoption de cette révision constitutionnelle sont relativement variées10 :

- le bien-être des animaux est devenue une question sociétale justifiant sa prise en compte par la Constitution ;

- l’affirmation de la sensibilité des animaux dans la Constitution permet d’en faire une valeur fondamentale ;

- les animaux demeurant soumis à de mauvaises conditions malgré les textes qui les protègent, une révision pourrait contribuer à améliorer leur situation ;

- la révision traduit une volonté démocratique puisque, selon un sondage, 86 % des Belges y sont favorables ;

- selon la logique « one health », la santé et le bien-être animal contribuerait à la santé humaine ;

- différents pays européens ont déjà inséré dans leur Constitution des dispositions de protection de l’animal.

Il a par ailleurs été souligné, durant les débats, que la révision envisagée ne vise pas à faire des animaux des sujets de droits, à leur reconnaître des droits ni à remettre en cause l’élevage agricole.

Pour le reste, les discussions ont porté pour l’essentiel sur le choix de la base juridique, c’est-à-dire l’article au sein duquel devait figurer le nouvel énoncé : soit l’article 7 bis, soit l’article 23.

L’enjeu a été clairement identifié. Une consécration à l’article 7 bis ne permet pas de soumettre la protection de l’animal au contrôle de constitutionnalité et ne garantit pas l’existence d’une clause de stand-still. En revanche, une insertion à l’article 23 en fait une norme relevant du contrôle de constitutionnalité et garantit l’application d’un principe de non-régression.

Il a pu être relevé que l’article 23, dans la mesure où il figure au sein du titre II de la Constitution, intitulé « Des Belges et de leurs droits », pouvait ne pas être parfaitement adapté à la consécration d’une obligation de protection de l’animal dans la mesure où cet énoncé ne consacre pas un « droit ». L’argument a toutefois été écarté dans la mesure où ce titre ne consacre pas uniquement des droits mais également des obligations (comme la protection de l’environnement).

Les experts auditionnés par les assemblées ont tous souligné qu’une consécration à l’article 23 constituait, d’un point de vue juridique, la solution la plus satisfaisante.

Le choix s’est néanmoins porté sur l’article 7 bis. Il est en effet apparu qu’en optant pour une reconnaissance plus symbolique de la protection animale, il serait plus aisé de recueillir la majorité des deux tiers nécessaires à l’approbation de la révision11. Ce choix conduit néanmoins à en obérer significativement la portée.

 

II.  La portée de la révision

 

A. Une rédaction peu contraignante

 

La formule retenue (selon laquelle les pouvoirs publics « veillent à la protection et au bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles ») s’avère relativement proche de celle employée depuis 2023 dans la Constitution du Luxembourg, dont l’article 41, al. 3 dispose que « [L’État] reconnaît aux animaux la qualité d’êtres vivants non humains dotés de sensibilité et veille à protéger leur bien-être ». D’une part, elle reconnaît aux animaux la qualité d’êtres sensibles. D’autre part, elle impose aux pouvoirs publics de prendre en considération et d’assurer leur protection et leur bien-être.

D’un point de vue légistique, la rédaction choisie n’est pas des plus contraignantes. Il n’est pas disposé que l’État « protège » ou « doit protéger » mais seulement qu’il « veille » à la protection, ce qui traduit par un niveau de contrainte normative inférieure.

Ce n’est pas là, toutefois, la principale faiblesse de cette disposition. Son talon d’Achille réside dans le fait qu’elle ne pourra pas faire l’objet d’un contrôle direct de la part de la Cour constitutionnelle.

 

B. Une disposition ne pouvant faire l’objet d’un contrôle direct

 

Comme indiqué précédemment, le choix a été fait de consacrer le nouvel énoncé normatif au sein de l’article 7 bis de la Constitution, qui constitue l’unique article du titre Ier bis. Ce choix emporte une conséquence importante au niveau du contrôle juridictionnel exercé.

Comme l’a souligné le professeur Uyttendaele, auditionné par les sénateurs, « En créant un titre Ier bis de la Constitution, le constituant a créé un nouveau type de dispositions constitutionnelles : les dispositions castrées, soit des dispositions qui témoignent d’une volonté politique qui ne se traduit pas par des obligations normatives. C’est le monde que l’on espère, mais que l’on n’ose imposer. C’est en quelque sorte le tiroir constitutionnel de la bonne conscience, celui où sont rangés les rêves inaboutis, les voyages que l’on a tant de fois imaginés, mais qui jamais ne seront réalité »12.

Il en résulte qu’elles ne peuvent directement servir de normes de référence dans le contrôle de constitutionnalité. Ainsi que l’a soulignée la cour constitutionnelle dans un arrêt rendu le 14 octobre 2021, après avoir cité l’article 7 bis, « La Cour n’est pas compétente pour statuer directement sur la compatibilité de la disposition attaquée avec cette disposition constitutionnelle ». Il lui est seulement possible de la « prendre en compte », en combinaison avec un article relevant de son contrôle, lorsqu’elle contrôle le respect de ce dernier13. Comme le résume le professeur Uyttendaele, « L’article 7bis relève du vœu pieux. Pour être opérant et garantir un contrôle juridictionnel des principes qu’il affirme, il a besoin d’une locomotive constitutionnelle, en l’occurrence, dans cette espèce, l’article 23 de la Constitution. Bref, l’article 7bis est un fourgon constitutionnel » (p. 27).

Il en résulte que la norme de protection de l’animal qui y a été insérée ne fait pas partie intégrante des normes de référence du contrôle de constitutionnalité. Elle ne pourra déployer d’effets qu’en étant invoquée en relation avec une norme qui en relève (mais encore faudra-t-il la trouver…), et seulement en tant que clé d’interprétation de celle-ci.

L’on peut donc en déduire, ainsi que cela a été souligné durant les débats parlementaires, que la consécration mise en œuvre revêt une portée essentiellement symbolique.

Son principal intérêt consiste à faire de l’animal une valeur importante de la société belge, pouvant justifier à ce titre les restrictions aux droits fondamentaux (tels que le droit de propriété, la liberté d’entreprendre ou la liberté religieuse) qui sont nécessaires pour améliorer sur les plans législatif et réglementaire la condition juridique de l’animal. Néanmoins, ce rôle était à présent déjà joué par le droit de l’Union européenne, en particulier l’article 13 du TFUE, sur lequel s’est basée la cour constitutionnelle à maintes reprises pour valider les mesures opérant de telles restrictions14. Autant dire que la valeur ajoutée de la révision constitutionnelle est faible, et en réalité nulle, de ce point de vue.

Son seul intérêt, mais il est encore hypothétique, serait d’emporter une obligation de non-régression.

 

C. La consécration d’un principe de non-régression ?

 

Durant les débats parlementaires, il a été souligné qu’une consécration à l’article 23 de la Constitution emporterait l’application d’un principe de non-régression (« stand-still »), c’est-à-dire une interdiction de revenir en arrière en matière de bien-être animal. Il a également été relevé qu’une reconnaissance à l’article 7 bis ne pourrait déployer un tel effet que si les parlementaires le mentionnent clairement durant les débats.

Or, aucun consensus n’a pu être obtenu sur ce point. Certains parlementaires ont pris position en faveur du stand-still tandis que d’autres l’ont écarté ou ne l’ont pas évoqué. Il reviendra donc au juge constitutionnel de déterminer, en s’appuyant sur les travaux préparatoires, si le législateur constitutionnel a entendu faire dériver de l’article 7 bis, alinéa 2, un principe de non-régression en matière de bien-être animal.

Au final, l’impact de la révision constitutionnelle réalisée en Belgique devrait être particulièrement réduit. En dépit des attentes qu’elle a suscitées, elle ne devrait produire que des effets limités.

  • 1 Pour un panorama, v. O. Le Bot, Droit constitutionnel de l’animal, Independtly published, 2ème édition, 2023, 204 p.
  • 2 Dans le cadre de ce processus, il est regardé comme faisant partie du pouvoir législatif. V. art. 36 : « Le pouvoir législatif fédéral s’exerce collectivement par le Roi, la Chambre des représentants et le Sénat ».
  • 3 La chambre des représentants a adopté sa déclaration de révision le 4 avril 2019, le Sénat le 26 avril 2019 et le gouvernement le 17 mai 2019. Ces déclarations ont été publiées au Moniteur belge le 23 mai 2019. Formellement, les animaux n’étaient pas directement visés par ces déclarations mais la question pouvait être rattachée aux thématiques se rapportant aux articles 7 bis et 23 de la Constitution.
  • 4 Doc. Sénat, n° 7-47/1, 3 oct. 2019.
  • 5 Doc. Sénat, n° 7-372/1, 7 juil. 2022.
  • 6 Doc. Sénat, n° 7-415/1, 25 janv. 2023
  • 7 « Proposition de révision de l’article 7bis de la Constitution en vue d’y consacrer le bien-être des animaux », n° 7-481/1. On notera que sous la précédente législature (2014-2019), la question avait déjà été abordée par le Sénat (doc. Sénat, n° 6-339/3, 25 avr. 2017).
  • 8 V. le compte-rendu des débats, Sénat, p. 66.
  • 9 Compte rendu des débats, Chambre des représentants, p. 81.
  • 10 Les travaux parlementaires peuvent être consultés sur le site internet du Sénat et celui de la Chambre des représentants.
  • 11 V. ainsi la position de M. Anciaux, l’un des principaux signataires du texte : « D’un point de vue tactique, il n’est pas sûr qu’une majorité des deux tiers puisse être trouvée pour le scénario idéal, à savoir l’insertion d’une disposition dans l’article 23 de la Constitution. Cette certitude n’existe pas non plus pour l’insertion d’une disposition dans l’article 7bis, mais les chances de succès de cette option sont plus grandes, étant donné l’absence de caractère contraignant » (rapp. Commission des affaires institutionnelles, doc. Sénat, n° 7-481/2, p. 5).
  • 12 Compte-rendu des auditions, Doc Sénat, n° 7-481/3, p. 25-26.
  • 13 Cour constitutionnelle de Belgique, arrêt n° 142/2021 du 14 octobre 2021, cons. B 30.1 :
  • 14 « L’article 7bis de la Constitution dispose : "Dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les communautés et les régions poursuivent les objectifs d’un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, en tenant compte de la solidarité entre les générations". En vertu de l’article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la Cour est compétente pour statuer, par voie d’arrêt, sur les recours en annulation, en tout ou en partie, d’une loi, d’un décret ou d’une règle visée à l’article 134 de la Constitution, pour cause de violation des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’État, des communautés et des régions, ou des articles du titre II ("Des Belges et de leurs droits"), des articles 170, 172 et 191 de la Constitution, ainsi que de l’article 143, § 1er, de la Constitution. L’article 7bis de la Constitution a été inséré, lors de la réforme constitutionnelle du 25 avril 2007, dans un nouveau titre Ierbis intitulé "Des objectifs de politique générale de la Belgique fédérale, des communautés et des régions". La Cour n’est pas compétente pour statuer directement sur la compatibilité de la disposition attaquée avec cette disposition constitutionnelle. Rien n’empêche toutefois la Cour de prendre en compte des dispositions constitutionnelles autres que celles au regard desquelles elle exerce son contrôle en vertu de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle. Il appartient dès lors à la Cour de contrôler la disposition attaquée au regard de l’article 23, alinéa 3, 4°, de la Constitution, à savoir le droit à la protection d’un environnement sain, qui englobe le bon aménagement du territoire, combiné avec l’article 7bis de la Constitution, qui porte sur le développement durable que doit rechercher le législateur décrétal ». V. sur ce point la quinzaine de décisions citées dans O. Le Bot, Droit constitutionnel de l’animal, préc., § 307 et s. V. également E. Verniers, « Animal Constitutionalism: Paving the Way for Animal Inclusion in the Belgian Constitution », Global Journal of Animal Law, v. 10, n. 1, july 2022, ISSN 2341-8168.
 

RSDA 1-2024

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