Actualité juridique : Jurisprudence

Propriétés intellectuelles

  • Alexandre Zollinger
    Maître de conférences HDR
    Université de Poitiers
    CECOJI

I. Contrefaçon de la marque « Le cri du lynx » : le tribunal ne recule pas (obs. sous TJ Paris, 17 Novembre 2022, n° 20/09782)

1 - M. X. développe un système permettant de moduler le volume sonore des signaux de recul de véhicules (notamment d’engins de chantier) en fonction du bruit ambiant. Il dépose en 2002 une marque semi-figurative « Le cri du lynx », complétée en 2018 par une marque verbale éponyme, en lien avec les produits suivants : appareils de signalisation, alarmes, avertisseurs sonores pour véhicules… M. X. exploite ce système de signal de recul à faible acoustique via la société LCP dont il est le gérant. Une société concurrente, la SAS SC Invest, commercialise des produits et pièces détachées pour véhicules, et offre notamment à la vente des avertisseurs « représentant le cri d’un lynx » ou décrits en incluant la mention « bruit d’un lynx ». A défaut de règlement amiable du litige, M. X. et la SARL LCP intentent une action en contrefaçon de marque à l’encontre de la SAS SC Invest ; à titre reconventionnel, celle-ci se prévaut de la nullité des marques en cause, qui seraient dépourvues de distinctivité.

2 – La SAS SC Invest prétend que « la marque litigieuse ne serait pas distinctive mais purement descriptive, dans la mesure où elle ne ferait que décrire le bruit émis par les appareils de recul qui s'apparente au cri du félin ». Le titulaire des marques prétend au contraire que la dénomination serait purement arbitraire et non descriptive ; il fournit, aux fins de cette démonstration, un dossier technique détaillant son système de modulation des signaux de recul, ainsi que des enregistrements audio de l’avertisseur sonore et du véritable cri du lynx. Suivant ce dossier, « le signal sonore discontinu délivré par l'avertisseur n'est pas aléatoire mais constant, il est parfaitement régulier puisque généré électroniquement. La seule variable est sa puissance sonore. On ne peut pas en dire autant d'un cri d'animal, qui est sujet à de nombreuses variations et vocalises. Son bruit/son cri sera différent s'il chasse, cherche à se reproduire, à intimider ». Le tribunal, convaincu, estime qu’il « ne résulte [des extraits audio] pas la moindre similarité » entre le bruit de cet avertisseur et le cri d’un lynx, « au demeurant peu connu ». La dénomination étant arbitraire, non dépourvue de distinctivité, les marques en cause sont considérées comme valides. Voici une nouvelle illustration de la prise en compte, par le juge, de la réalité biologique d’un animal (ici de son cri) pour déterminer la protégeabilité en propriété intellectuelle de sa représentation ou de la référence qui y est faite1.

3 – Le tribunal apprécie ensuite l’existence d’une contrefaçon, en application de l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle (ceci conduisant à comparer les signes en présence, les produits ou service auxquels ils sont associés, et à apprécier – en cas de similarité et non d’identité sur au moins l’un de ces deux critères – l’existence d’un risque de confusion pour le public pertinent). Sans surprise, le tribunal retient le caractère « sinon identique, du moins parfaitement similaire, aux plans tant visuel, qu'auditif et surtout conceptuel, des dénominations » litigieuses, employées pour un produit « parfaitement identique » à celui proposé par le demandeur. Le risque d’association des produits du défendeur aux marques détenues par le demandeur est alors considéré comme « réel », et la contrefaçon est ainsi retenue. Le tribunal procède à une analyse spécifique de la mention « cri du lynx » insérée dans le « chemin d’accès » aux produits litigieux de la société défenderesse (c’est-à-dire dans le lien hypertexte profond) : cette utilisation « lui permet d'être référencée dans les résultats des moteurs de recherche lorsque le consommateur recherche le produit de la demanderesse ». Pour le tribunal, « La société SC Invest fait ainsi connaître ses propres produits à l'internaute qui rechercherait des informations ou des offres sur les produits du titulaire de la marque. Cela porte atteinte à la fonction essentielle de la marque dans le domaine du commerce électronique ».

4 – On se souvient toutefois que la Cour de justice a été moins affirmative quant au caractère contrefaisant de l’utilisation, comme mot-clé employé à des fins de référencement sur les moteurs de recherche, du signe verbal « Interflora » par un concurrent. Elle semblait en effet soumettre l’atteinte aux fonctions de la marque à des conditions particulières en posant qu’un tel usage « - porte atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque lorsque la publicité affichée à partir dudit mot clé ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers ; – ne porte pas atteinte, dans le cadre d’un service de référencement ayant les caractéristiques de celui en cause au principal, à la fonction de publicité de la marque, et – porte atteinte à la fonction d’investissement de la marque s’il gêne de manière substantielle l’emploi, par ledit titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs »2.

5 – La motivation de la décision commentée aurait pu être plus précise quant à l’atteinte à la « fonction essentielle de la marque », sans toutefois que cela nous semble remettre en cause l’issue du litige. L’atteinte à la fonction de garantie d’origine de la marque ne se déduit pas du seul référencement résultant de l’emploi du signe comme mot-clé ; elle exige la caractérisation d’une difficulté légitime, pour le public pertinent, à percevoir si les produits auxquels renvoie le référencement proviennent ou non du titulaire de la marque. En l’occurrence, cette difficulté d’identification de l’origine semble assez évidente, car au-delà de la seule conséquence technique (le référencement) vraisemblablement recherchée, l’emploi explicite des éléments verbaux de la marque sur la page du site du défendeur, dans la description des produits litigieux et dans le lien hypertexte même permettant de les acheter crée une confusion quant au point de savoir si les produits proviennent ou non du titulaire des marques.

 

II. Accès aux documents administratifs relatifs à l’expérimentation animale vs. vie privée et secret des affaires : une transparence opaque3 (obs. sous TA Paris, 5e section, 3e ch., 24 Janvier 2024, n° 2300100)

6 – L’expérimentation animale est l’objet d’un contentieux administratif d’une importance particulière, qu’il convient ici d’évoquer même s’il n’implique qu’indirectement ou à la marge les droits de propriété intellectuelle. Lesdites expérimentations peuvent intervenir en amont d’innovations (recherche fondamentale, susceptible de conduire ultérieurement à des produits ou procédés protégeables par la propriété industrielle ou le secret), ou en aval, notamment pour identifier la toxicité de médicaments déjà élaborés (tests précliniques, généralement réalisés entre le dépôt d’une demande de brevet et l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché desdits médicaments). Lorsque les expérimentations sont réalisées par un établissement public, les documents élaborés par l’administration en lien avec ces activités se voient appliquer le régime des données publiques, et notamment le droit d’accès posé à l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), suivant lequel « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ». Parmi les exceptions à ce droit d’accès, l’article L. 311-6 du CRPA dispose notamment que ne sont communicables qu’aux intéressés (sauf à occulter les passages concernés, en application de l’article L. 311-7) les documents administratifs « [d]ont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence (…) ». Le sujet est ainsi au cœur, si ce n’est de la propriété intellectuelle au sens strict, du droit de la recherche et du droit des données, qui lui sont connexes.

A. Contextualisation

7 – Comme le souligne la Professeure Türk, « les documents administratifs relatifs à l’expérimentation animale sont rarement rendus publics de manière spontanée, ou le sont de façon très sélective. Leur communication, sur demande, reste particulièrement difficile à obtenir : listes des établissements pratiquant l’expérimentation animale ; autorisations de projets d’expérimentation ; agréments des comités d’éthique qui évaluent les projets ; rapport d’activité annuel du Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale ; bilans d’activité des comités d’éthique qu’il revient au CNREEA de produire chaque année ; calendrier et listes des inspections des établissements qui utilisent les animaux à des fins scientifiques ; rapports d’inspection eux-mêmes, produits par les services vétérinaires »4. Cette opacité, se manifestant par des refus (en général implicites) de communiquer les documents administratifs sollicités, est aujourd’hui contestée, par des associations ou des personnes physiques, devant la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs) puis les tribunaux administratifs.

8 – C’est ainsi notamment que M. A. a saisi une trentaine de tribunaux administratifs pour contester les refus implicites des DDPP (direction départementale de la protection des populations) ou préfectures de communiquer leurs rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale relevant de leur département. Les tribunaux administratifs font, de manière quasiment systématique, droit à ces requêtes, annulent les décisions administratives contestées et enjoignent aux préfets en cause de communiquer les rapports sollicités « avec occultation des mentions permettant l'identification des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements accueillant des expérimentations sur les animaux et des rédacteurs des rapports de contrôle dont la communication est sollicitée, ainsi que, le cas échéant, des mentions protégées par le secret des affaires »5. De même, le tribunal administratif de Paris a annulé, par un jugement du 9 février 2023, la décision implicite du ministre de l'agriculture et de l'alimentation refusant de communiquer à M. A les documents relatifs aux procédures administratives engagées suite aux inspections diligentées depuis 2017 dans les établissements d'expérimentation animale6.

9 – L’espèce commentée porte sur un autre volet de l’activité d’expérimentation animale : les dossiers de demande d’autorisation. L’expérimentation animale est encadrée par la directive européenne n°2010/63/UE, transposée en France par l’adoption du décret n° 2013-118 du 1er février 2013 relatif à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, et de 4 arrêtés du même jour. Suivant l’article R. 214-122 du Code rural et de la pêche maritime, résultant dudit décret, « la réalisation d'un projet comportant l'exécution d'une ou de plusieurs procédures expérimentales est soumise à l'obtention d'une autorisation accordée par le ministre chargé de la recherche ». Cette autorisation doit être précédée d’une évaluation (favorable au projet) par un comité d’éthique en expérimentation animale agréé (articles R. 214-117 et R. 214-123 du même code). Les porteurs de projets scientifiques impliquant « de causer [à un animal] une douleur, une souffrance, une angoisse ou des dommages durables équivalents ou supérieurs à ceux causés par l’introduction d’une aiguille conformément aux bonnes pratiques vétérinaires »7 doivent ainsi constituer un dossier de demande d’autorisation, examiné en premier lieu par un comité d’éthique avant que le ministre ne rende sa décision d’autoriser, ou non, le projet en cause.

B. Faits

10 – L’association Transcience a pour objet d’encourager la transition vers une recherche scientifique ne recourant pas à l’expérimentation animale. Elle sollicite la communication, par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, de « dix-huit dossiers de demande d'autorisation de projets utilisant des animaux vivants à des fins scientifiques et ayant donné lieu à l'octroi d'agréments ministériels à trente comités d'éthique en expérimentation animale »8. Face au refus implicite du ministère, l’association saisit la CADA ; celle-ci rend, le 15 novembre 2022, un avis favorable à la communication, avec réserves (avis non accessible sur le site de la Commission, ce que l’on peut regretter). L’association saisit alors le tribunal administratif de Paris d’une requête visant à annuler la décision implicite de refus de communication et à enjoindre au ministère de communiquer les documents demandés.

11 – Le tribunal rappelle à titre liminaire le contenu du dossier de demande d’autorisation (devant notamment justifier l’intérêt du projet et la nécessité d’utiliser les animaux en cause dans le respect de la règle des « 3R » – remplacement, réduction, raffinement –, mais aussi proposer un classement des procédures d’expérimentation envisagées par degré de sévérité et contenir un « résumé non technique » destiné à être rendu public) ainsi que les dispositions applicables du CRPA. Si les documents préparatoires sont en principe exclus du droit d’accès aux documents administratifs (V. art. L. 311-2 du CRPA), les dossiers de demande d’autorisation n’appartiennent plus à cette catégorie dès lors que lesdites autorisations ont été délivrées par le ministère. Le tribunal écarte également l’objection tirée de la présence, dans les dossiers, de mentions relatives à la vie privée ou au secret des affaires, en soulignant que ces dernières peuvent faire l’objet d’une occultation ou d’une disjonction ; à défaut d’être suffisamment justifié, le juge administratif ne donne aucun effet à l’argument du ministère suivant lequel « l'ampleur des occultations conduirait à vider de leur intérêt les documents demandés ». La décision implicite de refus, considérée ainsi comme non motivée, est annulée, le tribunal enjoignant au ministre de communiquer à l’association les documents demandés dans un délai d’un mois.

C. Interrogations

12 – La décision appelle sur ce point diverses remarques, quant à l’étendue et au poids des occultations à apporter à des dossiers de demande d’autorisation en vue de leur communication à un tiers. Au titre de la « vie privée » tout d’abord, la jurisprudence semble s’orienter vers une « anonymisation » assez minimale concernant les documents relatifs à l’expérimentation animale. Ainsi les juridictions administratives affirment-elles que les occultations doivent se limiter aux « seules mentions permettant l'identification de toute personne physique citée »9. En théorie, la formule est à l’abri de tout reproche ; en pratique, elle ne saurait conduire à la seule suppression des noms des personnes en cause, mais à envisager toutes les « données indirectement identifiantes » au sens du droit des données à caractère personnel. Le tribunal administratif de Nice semble pourtant avoir invalidé l’occultation du nom des établissements procédant à des expérimentations animales10, donnée que l’on pourrait considérer comme indirectement identifiante… Connaître l’établissement, le domaine de recherche, l’équipe de recherche peut permettre de déterminer, par recoupement avec d’autres données (notamment accessibles en ligne), la ou les personnes vraisemblablement impliquées. Un dilemme semble alors se présenter : soit il est requis de procéder à une véritable anonymisation des données, au sens du droit des données à caractère personnel, ce qui requiert alors un travail complexe et chronophage de « disjonction », soit il n’est procédé qu’à des occultations plus restreintes, plus aisées à réaliser mais sans doute insuffisantes pour que l’on considère le document comme expurgé de toutes données à caractère personnel. On trouve ici une nouvelle et belle illustration de la difficulté à concilier les régimes des données à caractère personnel et des données publiques (en particulier la logique d’ouverture qui sous-tend ce dernier)11. La seule référence à la « vie privée » dans le Code des relations entre le public et l’administration est un peu légère pour organiser cette articulation et prendre en considération la législation existant en matière de données à caractère personnel (dont le règlement général sur la protection des données, du 27 avril 2016).

13 – Une ambiguïté semble également exister quant à l’ampleur des occultations requises par la protection du secret des affaires12. A défaut de contentieux antérieur – du moins à notre connaissance – quant à la communicabilité des dossiers de demande d’autorisation, la jurisprudence relative aux rapports d’inspection fournit quelques indications sur ce point. Dans une décision du 17 mars 2023, le tribunal de Caen a ainsi estimé que « les termes très généraux utilisés par le préfet » dans un rapport d’inspection ne pouvaient justifier un refus de communication au titre du secret commercial et industriel (d’autant qu’il n’était pas démontré que ces éléments ne pouvaient pas être occultés)13. Le tribunal de Limoges a quant à lui refusé de considérer que « les éléments d'identification du laboratoire, le niveau de respect des normes imposées en vue de garantir le bien-être animal, aurai[en]t pour conséquence la divulgation de techniques industrielles protégées par le secret des affaires »14. Les tribunaux ont par contre précisé dans d’autres espèces que « sont protégées par le secret des affaires […] et en conséquence doivent être occultées, les mentions des rapports d'inspection qui comporteraient une description, même sommaire, de procédés ou techniques scientifiques ou industrielles, une telle description ne résultant en revanche pas de la seule mention du titre ou de la référence d'un projet scientifique ou industriel, dès lors que cette mention n'est pas assortie d'une explicitation, même sommaire, du contenu technique de ces projets »15.

14 – Dans la situation de l’espèce commentée, les dossiers de demande d’autorisation contiennent, par hypothèse et par essence, une description substantielle des projets de recherche envisagés16, dans leur dimension technique. Supprimer ces informations, ou en réduire le degré de détail, est-il alors requis avant communication ? Dans l’affirmative, ceci ne reviendrait-il pas, dans une certaine mesure, à reconstituer la partie du dossier nommée « résumé non technique », qui existe déjà, est « anonyme »17, garantit « le respect de la propriété intellectuelle et de la confidentialité des informations »18 et est systématiquement rendue publiquehttps://webgate.ec.europa.eu/envdataportal/web/resources/alures/submission/nts/list">19 ? Sommes-nous, pour l’exprimer plus trivialement, en train de réinventer l’eau tiède ? Les mesures spéciales de publicité résultant de la directive 2010/63 ne privent-elles pas d’objet les demandes d’accès aux dossiers au titre du régime général des documents administratifs (du moins lorsque les résumés non techniques ont bien été rendus publics)20 ? L’article L. 311-2 al. 4 du Code des relations entre le public et l’administration dispose d’ailleurs que « Le droit à communication ne s'exerce plus lorsque les documents font l'objet d'une diffusion publique »… La question mérite sans doute d’être approfondie et l’on peut regretter que la décision commentée, peu diserte sur la question du secret des affaires, n’ait pas été l’occasion d’apporter ces précisions (susceptibles d’être utiles à la fois au public intéressé par la communication de ces documents et aux services chargés de procéder – dans un délai contraint et sans consigne précise21 – à ces occultations).

D. Suites

15 – Parallèlement à ce jugement, l’association Transcience a déposé différentes requêtes en vue de faire annuler les décisions implicites de refus du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, auquel il était demandé d’annuler 18 autorisations de projets fondées sur des avis éthiques de comités ne bénéficiant pas d’agréments. Il peut être postulé que les projets en cause étaient les mêmes que ceux visés dans la décision commentée. Le Tribunal administratif22 puis la Cour administrative d’appel de Paris font droit à l’essentiel23 des requêtes, au motif que « l'agrément non seulement vise à garantir la compétence des membres du comité d'éthique mais également à garantir leur indépendance et impartialité »24 ; le défaut d’agrément des comités en cause à la date de leur avis, privant les administrés de ces garanties, empêche de considérer que les autorisations des projets ont été prises suite à une « évaluation éthique favorable » tel que le requiert l’article R. 214-123 du Code rural et de la pêche maritime. Celles-ci sont de ce fait entachées d’irrégularité manifeste. Il peut être relevé que l’annulation des autorisations de projets est ici demandée, et obtenue, sur la base des informations fournies par les résumés non techniques ; la communication des dossiers de demandes d’autorisation dans leur « fausse » intégralité (car après que ces derniers ont fait l’objet des occultations requises) ne semble pas (ou plus) être ici d’une nécessité première… 

  • 1 V., en matière de droit d’auteur et droit des dessins et modèles, CA Paris, pôle 5, 1re ch., 28 juin 2016, RG 2014/17051, PIBD 1er août 2016, n° 1055, III, p. 678, RSDA 2/2016, p. 125 (apparence d’un requin et d’un poisson-clown) ; également, en matière de droit d’auteur, TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 16 mars 2017, RG 2013/17244, D20170033, PIBD n° 1074, III, p. 496 ; RSDA 2/2017, p. 154 (apparence d’un papillon).
  • 2 CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora Inc. c/ Marks & Spencer plc : Comm. com. électr. 2011, comm. 112, Ch. Caron ; RTD com. 2012, p. 103, obs. J. Azéma.
  • 3 L’auteur de ces lignes précise, à des fins de transparence, avoir été membre du Comité d’éthique en expérimentation animale Val de Loire de septembre 2020 à mars 2024.
  • 4 P. Türk, « Transparence v/ opacité : les pratiques administratives en matière d’expérimentation animale devant le juge administratif », comm. de TA Nice, 22 février 2022, M. A, n°2100379, Revue Lexsociété, 2024, ‌10.61953/lex.5396‌, ‌hal-04428174.
  • 5 TA Caen, 17 mars 2023, n° 2002558 ; également en ce sens, sans vocation à l’exhaustivité, TA Dijon, 3e chambre, 17 Novembre 2022, n° 2003490TA ; TA Grenoble, 17 juillet 2023, n° 2007804 ; TA Limoges, 9 mars 2023, n° 2001886 (ne visant pas, toutefois, dans son dispositif l’occultation des informations relevant du secret des affaires)…
  • 6 TA Paris, 5e section, 2e ch., 9 février 2023, n° 2201251.
  • 7 Dir. n°2010/63/UE du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, art. 1er, 5. f).
  • 8 La formulation surprend, les dossiers de demande d’autorisation de projets scientifiques nous semblant distincts des formalités d’agrément des comités d’éthique en expérimentation animale. Sans doute y a-t-il là un souci de syntaxe, d’autant que l’on perçoit mal comment 18 dossiers de demande d’autorisation de projets pourraient « donner lieu » à l’octroi d’agréments de 30 comités d’éthique… V. toutefois, permettant de mieux saisir en quoi l’examen des demandes d’autorisation était en l’espèce liée au contexte d’absence d’agrément des comités évaluateurs, infra §15.
  • 9 V. par exemple, concernant de demandes de communication de rapports d’inspection, TA Nantes, 14 février 2023, n° 2013046 ; TA Grenoble, 17 juillet 2023, n° 2007804.
  • 10 TA Nice, 22 février 2022, n°2100379, commenté par P. Türk, op. cit..
  • 11 Cf. G-D. S. Keke, La démocratie numérique et la protection des données personnelles, thèse Tours, soutenue le 5 avril 2024, p. 261 et s..
  • 12 V. plus généralement sur le sujet V. Beaujard et V. Vince, « Doctrine de la Commission d’accès aux documents administratifs – L’exemple du champ de communication des documents et des réserves formulées au titre du secret des affaires et du droit au respect de la vie privée », JCP A 2023, 2377.
  • 13 TA Caen, 17 mars 2023, n° 2002558 ; également en ce sens, TA Dijon, 3e chambre, 17 novembre 2022, n° 2003490TA.
  • 14 TA Limoges, 9 mars 2023, n° 2001886 ; V. également TA Nantes, 14 février 2023, n° 2013046 : « les mentions relatives à la dénomination et aux coordonnées des établissements, aux dates des rapports, aux conformités ou éventuelles non conformités relevées par les inspecteurs ou aux commentaires relatifs à chaque point de contrôle inspecté, ne portent pas atteinte au secret des affaires […]. Il en va de même de la simple mention des titres ou des références de projets scientifiques, y compris dans le cas où ces projets sont soumis à l'avis favorable d'un comité d'éthique ».
  • 15 TA Grenoble, 17 juillet 2023, n° 2007804 ; TA Nantes, 14 février 2023, n° 2013046.
  • 16 Dans l’hypothèse d’expérimentations animales menées à des fins pédagogiques (expérimentations également soumises à l’exigence d’une autorisation préalable), on pourrait toutefois considérer que les enjeux relatifs au secret des affaires sont moindres, voire inexistants.
  • 17 Dir. n°2010/63/UE du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, art. 43.
  • 18 Ibidem.
  • 19 https://webgate.ec.europa.eu/envdataportal/web/resources/alures/submission/nts/list
  • 20 Sauf éventuellement à permettre au public de vérifier que le résumé non technique est bien fidèle au contenu du dossier de demande d’autorisation dans son ensemble.
  • 21 On ne sait pas même qui doit procéder à ces occultations : ceci relèvera-t-il des porteurs de projets auteurs des demandes d’autorisation, des comités ayant émis l’avis éthique sur celles-ci ou encore du ministère ? Celles relatives au secret des affaires nous semble essentiellement pouvoir être réalisées par les équipes de recherche en cause (davantage à même de distinguer les informations comprises dans l’état de la technique de celles, plus innovantes, nécessitant une protection par le secret), éventuellement assistées des services de valorisation de la recherche de leur établissement.  
  • 22 TA Paris, 4e section, 1ère ch., 8 février 2024, n° 2219559, 2219560, 2219561, 2219564, 2219565, 2219568, 2219571, 2219572, 2219573, 2219575.
  • 23 Sauf dans les hypothèses dans lesquelles l’association s’est désistée des conclusions de ses requêtes.
  • 24 CAA Paris, 23 mai 2024, n° 24PA01721, 24PA01723, 24PA01724, 24PA01725, 24PA01726, 24PA01727, 24PA01728, 24PA01729, 24PA01730, 24PA01731.
 

RSDA 1-2024

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