Actualité juridique : Législation

Initiatives parlementaires d'intérêt animalier

  • Jean-Pierre Marguénaud
    Agrégé de Droit privé et de Sciences criminelles
    Université de Montpellier
    Membre de l'Institut de Droit Européen des Droits de l'Homme (IDEDH)

Dans le n° 2 /2020 de la RSDA (p.15), une article avait été consacré au phénomène qui commençait à se remarquer d’ « inflation des propositions de lois d'intérêt animalier ». Depuis, certaines de ces PPL, pour reprendre le jargon parlementaire qui a mis en exergue le P au cœur du mot proposition pour forger un superbe acronyme permettant une éclatante distinction avec les PJL, projets de lois avec un J de toute beauté au milieu du premier mot, ont eu l'honneur d'un débat devant le Parlement.

Bien sûr, certains ont tristement avorté comme celui consacré le 8 octobre 2020 à la proposition n° 3293 « relatives à de premières mesures d'interdiction de certaines pratiques génératrices de souffrance chez les animaux et d'amélioration des conditions de vie de ces derniers » portée par le député Cédric Villani et celui qui s'est brièvement amorcé le 24 novembre 2022 sur la proposition n° 635 visant à abolir la corrida que le député Aymeric Caron avait dû retirer face à la multiplication des obstructions. Il est vrai que le choix de les inscrire dans la niche parlementaire aménagée depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 en faveur des groupes minoritaires ne laissait pas beaucoup d'espoir de les faire aboutir en une seule journée strictement chronométrée.

En revanche, la proposition n° 3661 modifié visant à lutter contre la maltraitance animale puis à conforter les liens entre les hommes et les animaux, a eu le bonheur de franchir tous les écueils et de devenir la loi du 30 novembre 2021 parce les députés Laetitia Romero-Diaz, Loïc Dombreval et Dimitri Houbron qui l'ont initiée, ont pu adopter une autre stratégie parlementaire en s'attachant le soutien de la majorité à laquelle ils appartenaient. Encore qu'elle ait soigneusement évité les sujets les plus passionnels et que ses décrets d'application laissent plus qu'à désirer, cette loi marquera une étape importante du droit animalier français. Il est d'ailleurs à prévoir que le Parlement ne débattra pas d'une loi d'intérêt animalier d'une telle ampleur avant longtemps. Comme les propositions portant sur des questions plus précises ont toujours aussi peu de chances d'aboutir même par le moyen d'une niche parlementaire, on aurait pu s'attendre à ce que l'engouement pour les PPL animalières retombe. Or tel n'a pas été le cas. Venant de tous les bords politiques, elles sont toujours aussi nombreuses. C'est pourquoi l'idée s'est peu à peu imposée de leur consacrer une chronique régulière.

D'une manière générale, les propositions de lois ne pouvant guère aboutir que dans des conditions politiques très improbables telles que celles qui ont permis à la proposition n° 2211 de la précédente législature déposée le 11 septembre 2019 par le député de la Lozère Pierre Morel-À-L'Huissier dans le prolongement de la célébrissime affaire du coq Maurice de devenir la loi n° 2021-85 du 29 janvier 2021 sur la protection du patrimoine sensoriel des campagnes françaises, elles sont laissées dans l'ombre. Souvent les événements qui les ont inspirées ont été fortement médiatisés mais, généralement, la manière dont elles préconisent d'en tirer les leçons quelques jours ou quelques semaines plus tard, n'intéresse personne : ni les journalistes qui sont déjà passés à autre chose, ni les chercheurs qui préfèrent réserver leur temps et leurs forces pour commenter l'actualité de la jurisprudence dont l'influence sur le cours des événements est, il est vrai, plus concrète et plus effective. Pourtant, même si elles peuvent souvent céder à la démagogie ambiante, les PPL disent beaucoup et en tout cas quelque chose des évolutions qui travaillent et des contradictions qui tenaillent la société civile. Pour comprendre et éclairer les réformes juridiques de l'année prochaine ou de dans 10 ans, ou pour s'organiser à temps de manière à mieux les étouffer dans l'œuf, il n'est pas certain, que nourrie de sociologie et d'anthropologie juridiques, l'étude des PPL soit d'un intérêt moindre que celui du droit comparé ou de l'histoire du droit. Bien observées, elles peuvent servir d'anémomètre pour comprendre de quel côté et avec quelle force le vent souffle, de thermomètre pour saisir à quel point des sujets deviennent brûlants et de baromètre pour aider à anticiper les évolutions. Dès lors, on en viendrait presque à souhaiter l'émergence, sous une dénomination à préciser, d'un nouveau champ disciplinaire qui aurait aussi le mérite de mettre en évidence l'importance du travail inlassable des assistants parlementaires qui ne peuvent pas tous vivre de l'espoir de devenir un jour député ou sénateur à leur tour. Comme l'ambition n'a pas d'âge, on peut, en attendant des renforts et des relais, se fixer pour objectif de commencer à faire apparaître l'intérêt de cette nouvelle discipline, en étudiant, régulièrement s'il y a toujours matière, les PPL d'intérêt animalier, en assumant résolument le risque d'être accusé de regarder les choses par le petit bout de la lorgnette et en se promettant d'affiner progressivement la grille de lecture où l'exposé des motifs devrait retenir plus particulièrement l'attention.

Pour la période semestrielle expérimentale courant du 15 novembre 2023 au 15 mai 2024, ont été répertoriées dix propositions de lois déposées par des députés et des députées, quatre par des sénateurs et une sénatrice. Elles confirment que le droit animalier a vocation à embrasser tout à la fois les règles destinées à améliorer la protection des animaux (I)) et celles qui visent à renforcer la protection contre les animaux (II). Signe des temps inquiétants, on perçoit de plus en plus nettement des PPL qui tendent à pérenniser les activités productrices de souffrance pour les animaux (III).

 

I. Les propositions visant à renforcer la protection des animaux

 

Certaines visent à prolonger la loi du 30 novembre 2021 pour mieux lutter contre la maltraitance des animaux domestiques et assimilés ; d'autres s'efforcent de compenser l'échec de la proposition d'abolition de la corrida ; d'autres enfin s'intéressent à la protection des animaux sauvages ou liminaires.

 

A. Prolonger la loi du 30 novembre 2021

 

Le prolongement le plus ambitieux est envisagé par la proposition n° 2565 déposée le 2 mai 2024 par la députée membre du groupe Les Républicains Alexandra Martin. En effet, il vise à son tour de manière générale à « mieux protéger les animaux, améliorer leurs conditions de vie et lutter contre la maltraitance' ». Il ne faut pas décourager les bonnes volontés, mais il est difficile de passer sous silence le caractère particulièrement décousu de cette proposition de loi dont l'exposé des motifs d'une vingtaine de lignes n’a pas dû demander beaucoup plus de 5 minutes de réflexion et qui débouche sur un catalogue de « mesures simples pour lutter contre le fléau des abandons et des actes de cruauté envers les animaux ». Parmi ces mesures simples, il en est une que l'on pourrait qualifier de simpliste puisqu'elle consiste pratiquement à doubler les sanctions pénales prévues par les articles 521-1, 521-1-1 et 521-1-2 du Code pénal pour lutter contre les formes les plus graves de maltraitance animale. On sait bien, pourtant, que l'incessante augmentation depuis 1976 des peines encourues par les auteurs d'abandons volontaires d'animaux domestiques n’a en rien contribué à endiguer le fléau estival. Peut-être quelques mots d'explication sur le choix de cette stratégie ultra répressive vouée à l'échec n'auraient-ils pas été de trop. Il est vrai que la proposition Martin explore une autre voie qui mériterait d'être approfondie : la voie fiscale qui se traduirait par un crédit d'impôts pour frais de stérilisation engagés par le propriétaire d'un chien ou d'un chat domestique et une exonération des actes de stérilisation et de castration des chiens et des chats errants de la taxe sur la valeur ajoutée. On relèvera aussi avec intérêt l'accent mis par cette proposition sur la nécessité d'empêcher la surstimulation ovarienne sur les chiennes et les chattes et l’électrostimulation sur les chiens et les chats visant à obtenir des paillettes de reproduction. Il est, somme toute, regrettable que ces idées stimulantes et quelques autres ne soient pas présentées avec plus de méthode. Il est légitime de chercher à faire valoir devant ses électeurs que l'on a travaillé à améliorer le sort des animaux en déposant une proposition de loi, mais tout le monde gagnerait à ce que le fond des questions soit approfondi car, en droit, « les mesures simples », sont souvent les plus difficiles à faire tenir debout.

Un autre député du groupe Les Républicains, M. Jean-Louis Thieriot, a fait enregistrer le 21 décembre 2023 une proposition n° 2039 qui aurait pu servir de modèle à sa collègue Mme Alexandra Martin. Visant uniquement à empêcher les achats irraisonnés de chats et de chiens dans les foires et salons, elle est en effet précédée d'un exposé des motifs exemplaire à plus d'un titre. Il indique en effet, très précisément pourquoi l'interdiction par l'article L 241-7 du Code rural et de la pêche maritime des ventes des chiens et des chats dans les seuls foires, salons et autres manifestations non spécifiquement consacrés aux animaux créait un angle mort laissant se développer les achats irraisonnés qui contribueraient à maintenir le triste record de 100 000 chiens et chats abandonnés par an. Surtout l'exposé des motifs appuie sur un solide socle juridique l'unique proposition de modification de l'article du rural de manière à ce qu'il interdise les ventes de chiens et de chats même dans les foires et salons spécifiquement consacrés aux animaux. Ce socle qui devrait désormais servir à étayer et à renforcer la cohérence de toute nouvelle proposition d'amélioration de la situation des animaux est constitué d'abord par la loi de 2015 reconnaissant dans le Code civil la qualité d'êtres vivants et sensibles des animaux ; ensuite par la loi du 30 novembre 2021 qui n'a ni tout dit ni tout vu mais qui a au moins montré une direction à peu près satisfaisante. La référence aux éléments de ce socle est encore plus précise dans la proposition n° 2496 du 11 avril 2024 tendant également interdire la vente des chiens et des chats dans les foires et salons, déposée par un autre député du Groupe Les Républicains, M. Ian Boucard. Son exposé des motifs invoque en effet à plusieurs reprises « la célèbre loi n° 2015-177 du 16 février 2015 qui intègre la notion d’être vivant doué de sensibilité à l’animal et se place résolument dans le sillage de la très récente loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 contre la maltraitance animale [qui] est heureusement venue renforcer notre arsenal législatif... ». De l'extérieur, il est difficile de supputer les raisons pour lesquelles un député a cru devoir reprendre la proposition déjà solidement étayée de l'un de ses collègues membre du même groupe parlementaire. Quoi qu'il en soit la proposition Boucard présente un intérêt : renouant avec l'esprit qui avait permis l'adoption de la loi de 2021 : elle est transpartisane. Ainsi a-t-elle été co-signée par de nombreux autres membres du groupe Les Républicains comme M. Aurélien Pradié et Mme Emmanuelle Anthoine, mais aussi par des élues et des élus des groupes Renaissance (Mme Corinne Vignon), apparentés LFI (M. Aymeric Caron), RN (Mme Béatrice Roullaud), LIOT (M. Pierre Morel -À- L'Huissier) ou non-inscrits (Mme Véronique Besse).

 

B. Surmonter l'échec de la proposition d'abolition de la corrida

 

« Tout ce qui ne tue pas rend plus fort ». C'est par cet adage nietzschéen que les aficionados pourraient saluer l'échec successif de la QPC du 21 septembre 2012 et de la proposition Aymeric Caron du 24 novembre 2022 qui visaient à abolir purement et simplement la corrida. Il est en effet probable que, une fois saluées ces courageuses tentatives, il faudra s'armer de patience avant de prendre à nouveau le risque de tenter de lui porter frontalement le coup de grâce. En attendant, il est de bonne guerre d'essayer de l'affaiblir par des banderilles si l'on peut se permettre ces métaphores de plateaux de chaînes d'information en continu ... C'est ce qu'ont parfaitement compris deux récentes propositions de lois sénatoriales. La première, déposée le 22 novembre 2023 sous le n° 141 par la sénatrice EEVL Raymonde Poncet Monge la priverait en effet de la ressource du prosélytisme juvénile puisqu'elle vise à « interdire les corridas et les écoles taurines aux mineurs de moins de seize ans ». Il faut souligner l'exceptionnelle densité scientifique de l'exposé des motifs de cette proposition qui recense les travaux universitaires confirmant tous depuis l'étude pionnière du sociologue américain Clinton Flynn publiée en 2000 qu'assister de manière récurrente à des actes de cruauté envers les animaux compromettrait dangereusement les capacités d'empathie de ces enfants, les poussant à se montrer cruels envers les animaux et même les humains plus tard. Sur le plan juridique, l'argumentaire de Mme Poncet Monge, qui insiste sur la gravité particulière de l'entraînement à la pratique de la corrida dans des écoles taurines, ne manque pas de mettre en évidence l'essentielle recommandation adressée à la France en 2016 par le Comité des droits de l'enfant de l'ONU de « redoubler d'efforts pour faire évoluer les traditions et les pratiques violentes qui ont un effet préjudiciable sur le bien-être des enfants, et notamment d'interdire l'accès des enfants aux spectacles de tauromachie ou à des spectacles apparentés ». Dans l' exposé des motifs plus succinct de sa proposition n° 475 déposée le 27 mars 2024, la sénatrice du groupe Renaissance Samantha Cazebonne accorde un rôle central aux positions exprimées par le Comité des droits de l'enfant et plus particulièrement à sa récente observation générale du 22 août 2023 selon laquelle « les enfants doivent être protégés contre toutes les formes de violence physique et psychologique et contre l'exposition à la violence, comme la violence domestique ou la violence infligée aux animaux ». Comme souvent, l'observateur extérieur s'interroge sur les raisons stratégiques qui poussent les parlementaires à déposer une proposition très proche de celle dont un collègue a pris l'initiative quelques semaines plus tôt. Il est vrai que la proposition de Mme Cazebonne présente l'intérêt d'interdire non seulement les corridas mais également les combats de coqs en présence d'enfants de moins de 16 ans, ce qui n'est pas tout à fait la même chose qu'interdire à ces enfants d'assister à ces spectacles. Quoi qu'il en soit, il est un argument qu'il est étonnant de ne retrouver ni dans l'un ni dans l'autre de ces exposés des motifs : Simone Veil et Robert Badinter, qui figurent au nombre des très rares personnalités dont la mémoire soit unanimement respectée, s'étaient tous les deux fermement prononcés pour l'interdiction des corridas aux mineurs (Cf. RSDA n°1/2011 p. 36). Adopter de toute urgence les propositions des sénatrices Poncet Monge et Cazebonne serait une belle manière de les associer dans le même hommage.

 

C. Protéger les animaux sauvages et liminaires

 

Le droit animalier peut revendiquer une certaine autonomie par rapport au droit de l'environnement qui s'intéresse aussi aux animaux et plus particulièrement aux plus sauvages d'entre eux. Le critère distinctif des deux disciplines est à n'en pas douter la sensibilité des individus dont le droit animalier se préoccupe systématiquement et travaille inlassablement à la faire davantage prendre en compte alors que le droit de l'environnement, légitimement obnubilé par la protection des espèces et des grands équilibres, met presque un point d'honneur à l'ignorer. Le droit animalier ne dédaigne pas lui la protection des espèces animales. Aussi doit -il accorder une grande attention à la proposition n° 2603 déposé le 7 mai 2024 par le député PS David Habib, qui pour lutter contre la diminution alarmante des poissons migrateurs dans les cours d'eau français et notamment dans les gaves pyrénéens où ils font toujours l'objet d'une pêche massive, vise à interdire la commercialisation du saumon de l'Atlantique, de la grande alose, de l'alose feinte, de la lamproie maritime et fluviatile et de la truite de mer.

Entre les animaux sauvages vivant à l'état de liberté naturelle comme les poissons migrateurs et les animaux domestiques, il existe, suivant la terminologie qui a fait florès depuis la diffusion planétaire du Zoopolis de Sue Donaldson et Will Kymlicka, des animaux liminaires qui vivent libres mais à proximité des humains plus particulièrement en milieu urbain. Les pigeons sont les représentants les plus connus de cette catégorie scientifiquement intermédiaire mais qui peine à devenir une catégorie distincte pour le droit continuant à distinguer les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité et les animaux sauvages vivant librement. Or une proposition n° 2034 du 21 décembre 2023 portée par la députée Gisèle Lelouis flanquée de deux douzaines d'autres députées et députés du Rassemblement national a attiré l'attention sur les souffrances inhérentes aux campagnes de gazage organisées par de nombreuses municipalités pour en contenir la prolifération. L'exposé des motifs qui ne s'embarrasse pas de référence à la reconnaissance par le Code civil de la qualité d'êtres vivants doués de sensibilité à tous les animaux sans distinction, n'y va pas par quatre chemins : il déclare « aberrant que des mairies utilisent aujourd’hui des techniques qui font souffrir et tue des animaux avec l’argent des Français alors qu’il existe des méthodes éthiques et efficaces afin de réguler [les] populations [ de pigeons] ». Aussi la proposition vise-t-elle à « interdire les pratiques biocides létales de limitation des populations de pigeons en zone urbaine et à promouvoir des méthodes plus éthiques ». Cette proposition est particulièrement intéressante. Elle l'est tout d'abord parce qu'elle tend à prendre concrètement en considération la sensibilité d'animaux qui ne sont pas des animaux domestiques apprivoisés ou tenus en captivité et qui par conséquent n'ont pas vocation à bénéficier des dispositions répressives destinées à lutter contre les différentes formes de maltraitance. Elle l'est aussi parce que ses auteurs ont eu le bon sens de ne pas céder au réflexe de s'engager sur la voie répressive qui était difficilement praticable pour la raison déjà évoquée et pour d'autres tenant aux conditions d'engagement de la responsabilité pénale des collectivités territoriales. Ils ont eu au contraire la sagesse d'en appeler à des méthodes de régulation alternatives tels que le pigeonnier contraceptif et le maïs contraceptif qui n'exposent pas les pigeons à souffrir de la pluie, du vent, du gel, de la faim et de la soif dans des cages de reprises où ils attendent parfois plusieurs jours avant d'être gazés. La proposition est plus exemplaire que ne l'avait peut-être imaginé ses promoteurs car elle permet de caresser l'idée de plus en plus réaliste selon laquelle des méthodes alternatives contraceptives non létales et indolores pourraient être tout aussi bien indiquées pour procéder à la régulation des espèces de gibier ...

 

II. Les propositions visant à renforcer la protection contre les animaux

 

Le droit animalier auquel cette revue est consacrée depuis déjà quatre olympiades n'a jamais été réservée aux règles qui protègent les animaux. Elle a toujours considéré au contraire qu'il fallait s'intéresser de très près aux règles qui protègent contre les animaux dangereux par leur prolifération, leur agressivité ou leur aptitude à transmettre les maladies les plus terribles. La nécessité de protéger par des règles spécifiques les êtres humains, d'autres animaux ou des secteurs importants de l'activité économique contre des animaux dont la présence est unanimement dénoncée comme intempestive est souligné avec éclat depuis une dizaine d'années par le frelon asiatique. Arrivé dans le Lot et Garonne en 2014 en profitant de l'importation de poteries chinoises où il avait élu domicile, le frelon asiatique, comme on le sait, s'est vite propagé depuis Marmande et Agen pour gagner la France entière où il a provoqué plusieurs dizaines de décès de personnes humaines victimes de ses venimeuses injections, dévasté des colonies d'abeilles qui constituent les deux tiers de son alimentation et mis par conséquent en péril la filière apicole. Députés et sénatrices, sénateurs et députées ne sont évidemment pas restés les bras ballants face au déferlement du monstre. Ils ont au contraire déployé une batterie de PPL si nombreuses et si impressionnantes que tout destinataire un tant soit peu raisonnable eût déjà spontanément battu en retraite. Rien que pour la période allant du 15 novembre 2023 au 15 mai 2024, il a été visé par quatre propositions. On a pu en effet relever par ordre chronologique la proposition n° 359, à l'exposé des motifs particulièrement dense, déposée le 26 février 2024 par le sénateur centriste du Lot et Garonne Michel Masset, la proposition n° 2260 déposée le 5 mars 2024 par le député PS David Habib et le député LIOT Pierre Morel-À-L'Huissier, la proposition n° 2371 du 19 mars 2024 portée par le député de l'Alliance centriste Jean-Charles Larsonneur.

La lutte contre le frelon asiatique est si intense qu'elle soulève une question de méthode. Elle peut en effet provoquer le basculement fulgurant d'une proposition de la chronique d'actualité des PPL d'intérêt animalier dans la chronique d'actualité législative. Ainsi la proposition du sénateur Michel Masset visant à endiguer la prolifération frelon asiatique et à préserver la filière apicole déposée le 26 février 2024 a été presque aussitôt adoptée à l'unanimité par le Sénat le 11 avril et transmise le 15 avril par le Président du Sénat à la Présidente de l'Assemblée nationale. Nul ne sait encore le sort que l'Assemblée nationale réservera à cette proposition prévoyant tout un attirail de mesures destinées à éradiquer le frelon asiatique à pattes jaunes, mais il ne faudrait pas être étonné si d'aventure venait prochainement à se vérifier l'idée suivant laquelle les PPL sont beaucoup plus efficaces pour lutter contre les animaux que pour les protéger.

 

III. Les propositions visant à préserver les activités productrices de souffrance animale

 

Le droit animalier est constamment confronté au défi de développer son volet protecteur des animaux tout en respectant la ruralité. Il faut cependant constater qu'il n'y a pas de réciprocité et que la protection de la ruralité ne se fait pas scrupule de s'appuyer sur des arguments mettant en avant une prétendue nécessité de chasser et d'élever des animaux pour s'en nourrir de préférence sous forme de viande. Pour ce semestre, c'est l'alimentation carnée qui a eu les honneurs de plusieurs propositions. La plus surprenante est sans doute celle portant le n° 2315 déposée le 12 mars 2024 par la députée Hélène Laporte et plus d'une soixantaine de ses collègues du Rassemblement national. Elle vise, en effet, à garantir la parfaite information des consommateurs quant à la présence d'insectes dans les denrées alimentaires. Il s'agit là d'une réaction à un règlement d’exécution UE 2023/5 du 3 janvier 2023 par lequel la Commission européenne a autorisé, sur le territoire de l’Union, la mise sur le marché de la poudre de grillons domestiques partiellement dégraissés. L'exposé des motifs met certes en avant des intérêts de santé publique tenant aux problèmes de digestibilité que pourrait poser la farine d'insectes partie à la conquête du pain, des biscuits et de la pâte à pizza. Néanmoins, il se réfère aussi à « la nécessaire loyauté envers le consommateur risquant d’acheter un produit qui n’est pas ce qu’il croit ». Sans doute s'agit-il de prévenir tout un chacun que les forces de l'industrie alimentaire sont en train de remplacer discrètement un produit d'origine végétale par un produit d'origine animale et la démarche mérite donc d'être saluée. Il y a quand même un risque qu'elle soit un peu faussée par l'idée que l'Europe est perverse au point de nous pousser à manger des insectes plutôt que de la bonne viande. Manger de la bonne viande, mais française, telle semble bien être le mobile de la proposition n° 2186 du 13 février 2024 déposé par le groupe LFI derrière le député de la Haute-Vienne Damien Maudet visant à protéger et à garantir une alimentation saine et à protéger les éleveurs bovins français. Cinglant réquisitoire contre le traité de libre-échange entre l'Union européenne et les pays du Mercosur, cette proposition qui cherche à généraliser l’achat de viande d’origine France dans les services de restaurations collectives ne va quand même pas jusqu'à empêcher de remplacer la viande produite dans les élevages français par une alimentation qui éviterait la mort des bêtes. Une proposition n° 2172 déposée le 13 février 2024 par la députée Caroline Colombier et près de 70 autres députés du Rassemblement national n'a pas hésité, en revanche, à s'engager sur cette voie fortement discutable. Elle vise en effet à interdire la production de la viande de synthèse. Les arguments développés dans l'exposé des motifs pour justifier cette attaque frontale contre la viande in vitro ne sont pas à négliger. Ils attirent en effet l'attention sur les risques sanitaires encore mal connus que pourrait entraîner la consommation d'un produit alimentaire fabriqué à partir de cellules souches prélevées sur un animal vivant pour « être cultivées » en laboratoire ; sur les conséquences désastreuses pour le climat que provoquerait à terme la fabrication de viande de synthèse et sur la pérennisation de la souffrance animale qui résulterait de la nécessité pour produire de la viande in vitro de se procurer des hormones par l'abattage des vaches gestantes et de leurs fœtus. Un argument laisse cependant perplexe : c'est celui selon lequel la viande synthétique symbolise une nouvelle rupture avec la nature et avec nos traditions agro-alimentaires. Ce qui revient à dire qu'il faudra toujours continuer à manger de la viande puisque des animaux sont élevés pour nous la fournir depuis le Néolithique ; ce qui revient à passer sous silence que la viande in vitro est d'abord une alternative à l'élevage industriel qui ne contribue pas vraiment la défense de la ruralité et de la nature.

Cette ballade semestrielle aux pays des PPL d'intérêt animalier est, à l'évidence, un peu déroutante tant les questions qu'elle a permis de rencontrer, allant des chiens et des chats des foires et salons à la viande de synthèse en passant par les taureaux et les coqs de combat, le frelon asiatique, les pigeons gazés et les insectes enfarinés sont hétéroclites. Elle est un indice supplémentaire de la richesse et la complexité du droit animalier.

     

    RSDA 1-2024

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