Actualité juridique : Jurisprudence

Droit criminel

  • Jacques Leroy
    Professeur émérite
    Université d’Orléans
  • Jérôme Leborne
    Qualifié aux fonctions de Maître de conférences
    Docteur en Droit
    Enseignant contractuel à l’Université de Toulon

Précisions sur l’étendue des investigations et des infractions à l’encontre de l’exploitant

Mots clés : terrain d’élevage – établissement – bâtiment – agents habilités – visite – retrait d’animaux – entrave aux fonctions

 

1. Contextualisation. Le droit pénal animalier n’est pas un droit homogène. Il a la particularité de se diviser en différents contentieux qui dépendent du rapport de l’homme avec l’animal, de la fonction ou de l’utilité de l’animal pour l’homme plus particulièrement. Le droit pénal animalier est donc un droit pénal de situation. Ainsi, au droit pénal des animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité, lequel représente le droit pénal général de l’animal (textes du Code pénal et du Code de procédure pénale), s’ajoutent – en vérité, ils se substituent le plus souvent – le droit pénal des animaux de production (élevage, transport et abattage), le droit pénal des animaux d’expérimentation, le droit pénal des animaux de distraction et le droit pénal des animaux sauvages, constituant en eux-mêmes et à eux tous le droit pénal spécial de l’animal (textes du Code rural et de la pêche maritime et du Code de l’environnement). Ce sont les règles de cette protection spéciale de l’animal qui font l’objet principal de cette chronique.

2. Présentation. En effet, pas moins de quatre arrêts, dont trois rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation, évènement suffisamment rare pour être souligné, ont été amenés à se prononcer dans cette première moitié d’année 2024 sur l’étendue des investigations, d’une part, des infractions, d’autres part, à l’encontre d’exploitants, en apportant parfois des précisions bienvenues. Plus exactement, la Cour de cassation s’est penchée à deux reprises sur la qualification d’un terrain d’élevage (I). Une Cour d’appel indique la nature et ses conséquences des pouvoirs dont disposent les agents dans le cadre d’opérations de visite sur un terrain d’élevage (II). Dans son troisième arrêt, la Cour de cassation délimite le champ d’application de l’infraction d’entrave aux fonctions des agents (III).

 

I. La qualification d’un terrain d’élevage 

 

3. Avec ou sans mur ? Actualité politique, sociale et européenne brûlante, la question du statut des terrains d’élevage est remontée jusqu’à la chambre criminelle de la Cour de cassation. Elle devait déterminer si un établissement, d’abord, un bâtiment, ensuite, devaient nécessairement s’entendre comme une construction fermée, ou s’ils pouvaient s’étendre à des terrains d’élevage seulement clôturés, donc à une construction ouverte. En clair : l’établissement et le bâtiment peuvent-ils exister sans mur ? A priori aussi insignifiante qu’évidente, la réponse est plus subtile qu’il n’y paraît et emporte des effets majeurs : en termes de pouvoirs d’investigation, enjeux de la première affaire, en termes d’infractions, enjeux de la seconde. Plus grave encore peut-être, la réponse diffère entre les deux affaires. Il en résulte une distorsion de qualification du terrain d’élevage entre la matière environnementale (A) et la matière rurale (B).

 

A. La qualification d’un terrain d’élevage en matière environnementale

Cass. Crim., 16 janvier 2024, pourvoi n° 22-81.5591

 

4. Contestation des visites. À l’occasion de différents contrôles effectués durant l’année 2019, des agents de l’Agence française de la biodiversité (devenue depuis 2019 l’Office français de la biodiversité)2 ont constaté sur des terres utilisées pour l’élevage que des opérations de girobroyage avaient causé la mort de nombreuses tortues d’Hermann. Condamné le 12 janvier 2022 par la Cour d’appel de Bastia, à deux mois d’emprisonnement avec sursis et 35 000 euros d’amende pour le délit d’espèce animale non domestique protégée (art. L. 415-3, 1°, a, C. Env.), l’agriculteur s’est pourvu en cassation, estimant les visites opérées sur ses terres irrégulières.

5. Qualification de l’établissement (rejetée). En premier lieu, il reproche à l’arrêt de la Cour d’appel de ne pas avoir annulé les procès-verbaux des différentes visites alors que les agents de l’environnement n’avaient pas, préalablement, informé le procureur de la République. Il se fonde sur l’article L. 172-5 du Code de l’environnement duquel les agents de l’environnement tirent leurs pouvoirs de visite et de constatation des infractions sanctionnées par ledit code. La Cour d’appel a admis que, d’après l’alinéa 2 de l’article, les agents de l’environnement « sont tenus d’informer le procureur de la République, qui peut s’y opposer, avant d’accéder » à des lieux à caractère professionnel. Elle a toutefois nuancé cette reconnaissance, en énonçant que la prescription à la charge des agents de l’environnement ne pouvait se lire indépendamment des dispositions de l’alinéa 2, 1°, visant spécifiquement les « établissements, locaux professionnels et installations dans lesquels sont réalisés des activités de production, de fabrication, de transformation, d’utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation ». C’est pourquoi elle a écarté la demande en nullité du requérant. Il y a donc en réalité deux questions. La première, celle de l’étendue de l’obligation préalable de l’information au procureur de la République, à savoir si elle doit s’appliquer à tout lieu à caractère professionnel ou seulement à ceux susvisés. La seconde, celle de la qualification des terres professionnelles, c’est-à-dire si elles doivent s’entendre comme tout lieu professionnel ou plus spécifiquement comme « un établissement, un local professionnel ou une installation ». La lecture « par élimination » des juges est validée par la Cour de cassation. Interprétant strictement le texte, elle énonce que les dispositions litigieuses « s’étendent non à tout lieu à usage professionnel, mais seulement à ceux [précités] ». Autrement dit, l’obligation d’informer préalablement le procureur n’est pas générale mais spéciale, et la liste des lieux professionnels protégés est exhaustive. Partant, les terres, mêmes utilisées professionnellement, étant exclues des prévisions légales, l’obligation d’informer le procureur avant d’y accéder ne trouvait pas à s’appliquer. Il faut comprendre que des terres ne deviennent pas pour autant un établissement, ou un local professionnel, ou une installation, parce qu’elles sont clôturées et utilisées pour l’élevage. En définitive, un terrain d’élevage clôturé ne constitue pas, en soi, un établissement (ni un local professionnel ni une installation) et la Cour de cassation refuse de l’assimiler comme tel. La construction fermée, en l’occurrence l’absence de construction fermée donc d’un bâtiment, apparaît déterminante. « Un établissement, ça se bâtit », pourrait-on dire. En revanche, lorsqu’un tel établissement existe, le non-respect de la formalité d’information préalable du procureur est dès lors sanctionné d’une nullité d’ordre public3.

6. Qualification de domicile (rejetée). Jouant, en second lieu, sur le fait que son exploitation était entièrement close et raccordée à l’eau, l’agriculteur attribue à ses terres la qualification de domicile afin de bénéficier du régime juridique qui en découle. Aux termes de l’article L. 172-5, alinéa 3, du Code de l’environnent, les agents de l’environnement ne pouvaient visiter les terres en tant que domicile (sachant qu’elles ne peuvent s’entendre comme un « local comportant des parties à usage d’habitation » selon le raisonnement précédent) qu’ « avec l’assentiment de l’occupant ou, à défaut, en présence d’un officier de police judiciaire ». Il faut donc définir en amont le domicile pour dire si oui ou non la protection de l’alinéa 3 s’applique aux faits de l’espèce. À la différence du droit civil où il constitue un élément de la personnalité juridique (lieu du principal établissement), en droit pénal le domicile est plus largement le lieu où la personne peut se dire chez elle, peu importe qu’elle y habite ou non, peu importe le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux. La chambre criminelle l'a ensuite élargi à un « lieu normalement clos ». Aujourd’hui, une jurisprudence constante considère que l'habitabilité du lieu clos permet de caractériser le domicile, peu importe que l'habitation du lieu soit permanente, temporaire ou épisodique. « Un domicile, ça s’y habite », dirait-on ici. Or, la clôture et le raccordement à l’eau ne suffisent pas à faire des terres agricoles un lieu habitable, proclame la Cour de cassation. Effectivement, jusqu’à preuve du contraire, on ne peut habiter un terrain dépourvu de toutes installations élémentaires pour y vivre. La qualification du domicile écartée, les agents n’étaient encore pas soumis aux obligations de l’article L. 172-5. Cet échec était aisément prévisible. La Cour de cassation avait déjà prononcé en droit pénal de l’environnement des solutions similaires pour la cabane de chasseur4 ou le véhicule du braconnier5. Il faut se féliciter de ce tableau jurisprudentiel qui se dessine et s’étoffe en procédure pénale environnementale à l’aune des règles de droit commun. On tend de cette façon vers des notions « transpénales ». Ce respect des principes et des règles généraux est la garantie d’une sécurité et d’une cohérence juridiques, manquant cruellement au droit pénal animalier. La preuve en est du deuxième arrêt rendu en matière rurale.

 

B. La qualification d’un terrain d’élevage en matière rurale

Cass. Crim., 23 avril 2024, pourvoi n° 23-83.604

 

7. Contestation des infractions d’implantation. Un exploitant agricole est poursuivi pour plusieurs contraventions liées à l’élevage de cochons gascons qu’il pratique sur un terrain clôturé appartenant à la commune. Après avoir bénéficié d’une relaxe partielle devant les juges du premier degré, il est reconnu coupable par ceux du second de violations d’un règlement sanitaire départemental et d’un arrêté municipal, d’avoir implanté un élevage porcin à moins de 100 mètres des habitations, en premier lieu, à moins de 35 mètres d’un cours d’eau, en second lieu. L’arrêt en date du 16 mai 2023 de la Cour d’appel de Colmar le condamne à deux amendes de 200 euros chacune, trois amendes de 150 euros chacune, deux amendes de 100 euros chacune, un an d’interdiction de détenir certains animaux et une confiscation de ces derniers. Espérant faire annuler sa condamnation, l’éleveur de cochons forme un pourvoi en cassation. Son premier moyen met en exergue que l’interdiction de l’article 153.4 du Règlement Sanitaire Départemental du Haut-Rhin d’implanter des élevages porcins à lisier à moins de 100 mètres des immeubles habités, concerne exclusivement les règles générales d’implantation « des bâtiments renfermant des animaux ». Dans la même veine, le second moyen argue que l’interdiction de l’article 153.2 du Règlement Sanitaire Départemental du Haut Rhin d’implanter un élevage à moins de 35 mètres d’un cours d’eau, vise « les bâtiments renfermant des animaux à demeure ou en transit ». En somme, les deux textes qui ont servi de fondement à sa condamnation concernent spécialement un « bâtiment ». Un élevage en plein air équipé d’une clôture constitue-t-il un bâtiment ?

8. Qualification de bâtiment (retenue). Puisque la Cour de cassation venait de considérer quelques semaines auparavant qu’un terrain professionnel ne se confond pas avec un établissement, on pouvait raisonnablement penser qu’elle estime qu’un terrain d’élevage ne peut constituer un bâtiment. Au fond, la situation est exactement la même : un élevage en plein air, une clôture, pas de construction fermée, pas de bâtiment. Rien ne semble devoir justifier une différence de traitement. Pourtant, les Hauts magistrats ne sont pas de cet avis. Ils valident la motivation des juges selon laquelle « si, dans son sens courant, la notion de bâtiment évoque plutôt une construction fermée, l’étymologie autorise une définition plus large incluant toute édification, toute installation construite par la main de l’homme, de sorte qu’un site d’élevage en plein air équipé d’une clôture ou barrière empêchant les animaux d’en sortir doit être considéré comme un bâtiment renfermant des animaux ». Reprenons. Un bâtiment n’est pas nécessairement une construction fermée, sens courant, car il peut étymologiquement englober toute installation construite par la main de l’homme. Partant, la clôture étant une installation construite par l’homme, l’élevage en plein air équipé d’une clôture constitue un bâtiment. La clôture a pour effet de faire basculer le terrain dans le champ du bâtiment. Elle ne le fait pas basculer, en revanche, dans celui de l’établissement pour en revenir à la première affaire. Il y aurait une différence de nature entre l’établissement et le bâtiment. Si le terrain clôturé ne peut être considéré comme un établissement mais peut l’être en tant que bâtiment, cela suppose que la notion d’établissement soit plus restrictive que celle de bâtiment. L’établissement serait limité à la construction fermée. En somme, l’établissement s’entend comme un bâtiment au sens courant. Mais le bâtiment n’est pas seulement une construction fermée. Plus large, un bâtiment peut s’entendre comme toute construction humaine. En résumé, l’établissement existe avec mur, le bâtiment existe avec ou sans mur. Il ne peut y avoir d’établissement sans bâtiment, mais il peut y avoir un bâtiment sans établissement. On pourrait objecter que dans le langage courant, l’établissement peut également renvoyer à l’action de s’installer, et non pas nécessairement à une construction fermée. Il faut également ajouter que « l’installation » au sens du Code de l’environnement, ne doit pas être confondue avec « toute installation construite par la main de l’homme » constitutive d’un bâtiment selon la formule de la Cour de cassation. On ne comprendrait pas pourquoi sinon le terrain clôturé s’est vu refusé cette qualification dans la première affaire. L’installation version Code de l’environnement, est bien synonyme d’établissement ou de local professionnel, soit une construction fermée, le bâtiment dans un sens courant. Pour assoir leur décision, les juges ajoutent que « l’arrêté du 27 décembre 2013, relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement soumises à déclaration, définit comme “bâtiments d’élevages“ les enclos d’élevage de porcs en plein air ». La Cour de cassation conclut de cette façon : la Cour d’appel « pouvait déterminer la signification des termes dans le règlement sanitaire départemental au regard, notamment, du vocabulaire particulier utilisé dans le domaine technique ou professionnel concerné » sans méconnaître le principe de légalité. Sur ce dernier point, rien n’est moins sûr. Pour sa défense, il faut reconnaître que le droit pénal rural est assez chaotique. L’office du juge pénal est de compenser les malfaçons de la loi, au détriment quelquefois de la logique.

 

II. Les opérations de visite et de retrait d’animaux sur un terrain d’élevage

Cour d’appel de Bordeaux, 8 avril 2024, n° 23/05491 (base de données « jurisprudence » Lefebvre Dalloz).

 

9. Rappels de procédure. En procédure pénale, l’administration de la preuve par l’officier de police judiciaire ou par l’agent de police judiciaire qui le seconde, est subordonnée aux règles de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire sous le contrôle du procureur de la République et aux règles de l’information judiciaire sous la direction d’un juge d’instruction si celle-ci est ouverte. La constatation des infractions dans le cadre d’activités professionnelles est plus délicate encore en raison des caractéristiques des lieux où les faits se produisent, bien souvent des lieux clos et protégés, et de la connaissance nécessaire de la réglementation en vigueur, parfois très technique, que n’ont pas forcément les officiers de police judiciaire déjà surchargés par les délits du quotidien. Pour faire face aux difficultés du terrain, le législateur a créé un régime spécial dans les pages du Code rural, octroyant à certains agents (dont l’article L. 205-1 fixe la liste) le pouvoir de constater les infractions animalières du Code pénal et du Code rural au sein de lieux professionnels. La constatation des infractions par ces agents habilités est d’autant plus intéressante que les procès-verbaux établis par leurs soins font foi jusqu’à preuve contraire6, leur conférant une valeur probante plus étendue que celle des procès-verbaux établis par les officiers de police judiciaire, dont la présomption se limite à la constatation des contraventions7. L’intérêt de ce régime dérogatoire tient dans l’attribution de prérogatives spéciales que les agents et fonctionnaires habilités peuvent exercer au cours de leurs missions d’inspection et de contrôle. L’article L. 214-23 I du Code rural énumère une série de pouvoirs spéciaux notables. L’un d’eux est l’objet de cette affaire.

10. Contestation de l’ordonnance du JLD. Saisi par requête du 10 novembre 2023, le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire de Bergerac autorise, par ordonnance du 14 novembre 2023, la Directement Départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) à pénétrer sur les parcelles louées par deux femmes où 17 équidés sont détenus. Le 16 novembre 2023, la DDETSPP intervient sur les lieux et procède au retrait de 6 d’entre eux en raison de leur état de souffrance constatée due notamment à des mauvais traitements et à des défauts de soins avérés, aux conditions de détention des chevaux inadaptées et au défaut d’alimentation. Le 19 novembre 2023, les locataires font appel de l’ordonnance du JLD et contestent le déroulement des opérations de visite autorisées par ladite ordonnance.

11. Premier argument : l’absence d’opposition. Elles font d’abord valoir qu’elles ne se sont jamais opposées à ce que les agents pénètrent sur leurs parcelles pour procéder aux contrôles et constatations nécessaires, alors qu’un refus des occupants des lieux doit être préalable pour prendre une telle ordonnance. Ce à quoi les juges répondent que, selon l’article L. 214-23, I, 5°, du Code rural et de la pêche maritime, pour l’exercice des inspections, des contrôles et des interventions de toute nature qu’implique l’exécution des mesures de protection des animaux prévues par le même code, les fonctionnaires et agents habilités à cet effet, peuvent solliciter du juge des libertés et de la détention, dans les formes et conditions prescrites par l’article L. 206-1, l’autorisation d’accéder à des locaux professionnels dont l’accès leur a été refusé par l’occupant ou à des locaux comprenant des parties à usage d’habitation, pour y procéder. Il convient effectivement de vérifier l’existence d’un refus d’accès aux parcelles. Or en l’espèce, les juges relèvent que le refus préalable des occupantes des lieux est caractérisé par la position de refus exprimée, et expressément mentionnée sur le procès-verbal d’un premier retrait d’animaux réalisé le 2 mai 2023, en s’opposant à ce que les agents pénètrent sur les parcelles. On pourrait rétorquer à la Cour d’appel qu’un premier refus n’entraîne pas, comme elle le laisse entendre, une « présomption de refus » pour la suite et pour toutes les opérations, d’autant plus que six mois se sont écoulés entre le refus exprimé et la demande d’autorisation au JLD. Si on suivait le texte à la lettre, il faudrait s’assurer avant chaque demande au JLD que le refus des occupants demeure. « Un refus par demande » en quelque sorte. Celui-ci devrait donc être expressément renouvelé, sauf à privilégier l’efficacité comme en l’espèce.

12. Deuxième argument : l’absence de contrôle du JLD. Les requérantes estiment ensuite que la visite ne s’est pas déroulée sous l’autorité et le contrôle du juge comme l’exige l’article L. 206-1 III du Code rural, dont l’indisponibilité durant les opérations de visite et de saisi ne leur ont pas permis de les contester, les privant ainsi de leur droit à un procès équitable et à un recours. L’argument est balayé par la Cour d’appel qui constate que le jour même des opérations de visite, le JLD a rendu une ordonnance rejetant la demande de suspension ou d’arrêt des opérations. Impossible de soutenir dans ces conditions que le juge ne contrôlait pas l’opération et qu’elles furent privées de leur recours.

13. Troisième argument : l’excès de pouvoir du JLD. Elles exposent également que l’ordonnance ne pouvait autoriser l’accès au site que pour exercer des contrôles et non l’accès au site pour des interventions de toute nature. Là encore, l’argument est rejeté sans difficulté. L’article L. 214-23 I dispose expressément que « pour l'exercice des inspections, des contrôles et des interventions de toute nature qu'implique l'exécution des mesures de protection des animaux », les agents habilités peuvent solliciter du JLD l'autorisation d'accéder à des locaux professionnels. Sur le fond, par ailleurs, la Cour d’appel estime l’ordonnance motivée par la nécessité de pénétrer sur les lieux afin de vérifier l’état sanitaire des animaux présents et, le cas échéant, prendre toutes dispositions de protection utiles, ce qui était justifié par les constats réalisés lors de l’inspection du 10 octobre 2023 par les agents de la DDETSPP accompagnés d’un vétérinaire mandaté et de son rapport établi lors de la première opération de retrait par le même vétérinaire, dont les analyses techniques ne sont pas sérieusement contredites par les attestations du vétérinaire sollicité par les appelantes. En effet, déjà, lors de l’inspection réalisée en juillet 2023, ont été constatées notamment, sur plusieurs animaux, des blessures surinfectées, hémorragiques et purulentes, un amaigrissement, un défaut d’alimentation adapté, des parcelles partiellement enherbées et mal entretenues, favorisant le développement du parasitisme. Le 14 novembre 2023, les agents procédaient au même constat lors des opérations de visite. Ce n’est pas dit aussi clairement, mais il était manifestement urgent pour leur vie de sortir les animaux de cet endroit.

14. Quatrième argument : l’excès de pouvoir des agents. Le dernier argument, et surtout la réponse de la Cour d’appel, est la partie la plus intéressante de l’affaire. Les détentrices des chevaux relèvent que la loi ne prévoit pas que les agents, devant être autorisés par le procureur de la République à procéder aux opérations de visite, puissent décider de procéder ou de faire procéder immédiatement au retrait des animaux. Il est fait ici application de l’article L. 214-23 II du Code rural selon lequel « dans l'attente de la mesure judiciaire prévue à l'article 99-1 du code de procédure pénale, les agents qui sont mentionnés au I de l'article L. 205-1 et au I du présent article peuvent ordonner la saisie ou le retrait des animaux et, selon les circonstances de l'infraction et l'urgence de la situation, les confier à un tiers, notamment à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d'utilité publique ou déclarée, pour une durée qui ne peut excéder trois mois ou les maintenir sous la garde du saisi ». Avec ces dispositions, le législateur a créé une mesure de « protection immédiate »8 en attendant la mise en place de la mesure de conservation judiciaire de l’animal prévue par l’article 99-1 du Code de procédure pénale, laquelle peut prendre un certain temps. On notera que ces pouvoirs ont l’apparence de mesures de police administrative puisque ces dernières s’exercent dans le cadre d’un contrôle préventif. Mais, parce que l’article L. 214-23 II est pensé comme une procédure préalable à une procédure judiciaire, dans un arrêt du 9 novembre 2018 le Conseil d’État9 les a assimilés à des mesures de police judiciaire dont le litige relève de la compétence exclusive des juridictions de l’ordre judiciaire10. Sur le fondement de cet article, la Cour d’appel considère que les agents pouvaient, à l’occasion des opérations de visite autorisées par le juge des libertés et de la détention, procéder à toute saisie et à tout retrait d’animaux selon les circonstances de l’infraction et l’urgence de la situation, notamment lorsque la survie des animaux est menacée comme en l’espèce, en usant de leurs pouvoirs propres, dans l’attente d’une mesure judiciaire prise sur le fondement de l’article 99-1 du Code de procédure pénale par le procureur de la République ou le juge d’instruction, dans les trois mois du retrait. Il faut donc distinguer les opérations de visite, relevant du pouvoir du JLD de les autoriser en cas de refus des occupants, des opérations de retrait, pouvoirs conférés par la loi aux agents habilités indépendamment du cadre de leur intervention et dont ils sont dès lors toujours titulaires. En somme, il s’agit d’une séparation de pouvoirs, garante des droits des justiciables, et au demeurant adaptée à la pratique car les pouvoirs sont distribués en fonction des rôles des protagonistes. Ainsi en l’espèce, la mise en œuvre d’une procédure de retrait de 6 équidés le 13 novembre 2023 n’est pas de nature à invalider les opérations de visite réalisées et actées par procès-verbal du même jour, lequel n’est pas davantage entaché d’irrégularité au motif qu’il ne mentionne pas les opérations de retrait, alors que les opérations de retrait font l’objet d’un procès-verbal et d’une procédure distincts des opérations de visite. Les opérations de retrait, au surplus, ont été validées par le procureur de la République. En conséquence de quoi, la restitution des animaux peut être sollicitée par application de l’article 41-4 du Code de procédure pénale, indépendamment du sort du recours exercé à l’encontre de l’ordonnance et des opérations de visite. C’est là reconnaître une certaine autonomie, ou indépendance, entre les opérations de visite autorisées par le JLD et de retrait effectuées par les agents habilités, ce qui n’est pas dénué de sens dès lors qu’il s’agit de pouvoirs propres. Finalement, les juges rejettent l’intégralité des demandes des requérantes, confirment l’ordonnance du JLD et les opérations réalisées sur le terrain. D’ailleurs, lorsque l’exploitant s’oppose à leur exercice, il encourt le délit d’entrave.

 

III. L’infraction d’entrave à l’exercice des fonctions

Cass. Crim., 23 janvier 2024, pourvoi n° 23-80.689.

 

15. L’infraction d’entrave. C’est l’histoire d’une association de protection animale qui soustrait des animaux à la maltraitance pour mieux les maltraiter ensuite. Les deux gérantes d’une association ont racheté une centaine d’équidés maltraités, abandonnés ou destinés à l’abattoir, mais qu’elles gardent dans de très mauvaises conditions. Les contrôles effectués par la direction départementale de la protection des populations (DDPP) aboutissent aux poursuites et à la condamnation de la présidente de l’association, notamment pour mauvais traitements envers des animaux par un exploitant d’établissement et opposition à fonctions, à un an d’emprisonnement avec sursis probatoire, la seconde de l’association, pour mauvais traitements envers animaux par un exploitant d’établissement et opposition à fonctions, à six mois d’emprisonnement avec sursis probatoire, et toutes deux à l’interdiction définitive de détenir des équidés, cinq ans d’interdiction professionnelle et la confiscation des animaux, par la Cour d’appel de Poitiers le 18 janvier 2024. Dans leur pourvoi en cassation, les prévenues se fondent indirectement sur le principe de légalité pour reprocher à l’arrêt de les avoir déclarées coupables d’entraves aux fonctions des agents, alors que l’article L. 205-11 du Code rural punit de six mois d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende l’obstacle ou l’entrave à l’exercice des fonctions des agents habilités « à rechercher et à constater des infractions », ce que ne font pas les personnes chargées d’exécuter une décision du procureur de la République selon elles.

16. L’entrave à…. La Cour de cassation fait sienne la motivation des juges. Ces derniers énoncent que le 17 août 2017, sur réquisitions du procureur de la République, au visa de l’article 99-1 du Code de procédure pénale, un inspecteur en chef de la santé publique vétérinaire, un vétérinaire inspecteur contractuel affecté à la direction départementale de la protection des populations (DDPP) et deux gendarmes, accompagnés, notamment par des membres d’une autre association de protection animale, se sont présentés sur les lieux du refuge pour retirer des équidés qui devaient être remis à cette autre association, mais se sont heurtés au refus d’autoriser l’accès aux animaux. Les juges ajoutent qu’après négociation, la seconde prévenue a désigné des chevaux dont il s’est avéré qu’ils ne figuraient pas sur la liste préalablement établie, et a ensuite refusé de remettre les passeports correspondant à ceux qui avaient été attrapés. Ils retiennent encore que, à l’occasion d’une autre intervention aux mêmes fins, des aliments avaient été déposés loin de l’installation préparée pour le retrait, dans le but de retarder cette opération. La présidente de l’association a laissé sortir son chien berger allemand dont elle savait qu’il n’obéissait pas et qui a excité les animaux en les mordant. Les deux prévenues ont également refusé de remettre les passeports des vingt-six animaux retirés, dont six n’ont pu être identifiés, et que le comptage des animaux a permis de laisser penser que trente équidés avaient été déplacés malgré la décision de saisie. Ils relèvent également que, lors d’une nouvelle opération, les prévenues ont refusé de remettre les passeports des équidés retirés ce jour-là. Ils précisent enfin qu’entre le 16 et 21 août 2018, elles ont emmené des équidés que les gendarmes, qui avaient précédemment constaté une tentative de leur part de les transporter dans les Vosges, avaient saisis sur pied, à la demande du procureur de la République, dans l’attente de leur retrait. La Cour de cassation estime que la Cour d’appel a dès lors fait l’exacte application de l’article L. 205-11. Les Hauts magistrats avaient antérieurement précisé que ce délit-obstacle « suppose établie une obstruction apportée à des demandes réitérées d’un fonctionnaire de contrôle, en vue de l’empêcher d’exercer sa mission »11. Sur le fond, les juges ont largement motivé en l’espèce la caractérisation de l’entrave, effectivement répétée, dont se déduit l’intention12. Certes, mais entrave à qui ? entrave à quoi ? Du point de vue des requérantes, le texte fulmine l’entrave aux agents chargés de rechercher et constater les infractions, et par conséquent l’entrave à la recherche et à la constatation des infractions. Les agents chargés d’exécuter une opération de retrait par le procureur de la République ne sont donc pas chargés de rechercher et constater des infractions. En outre et surtout, ces agents habilités n’ont pas réalisé de telles recherches en exécutant la mission confiée. Elles estiment ainsi que le délit d’entrave n’est pas applicable puisqu’il n’y a pas d’entrave à la recherche et à la constatation des infractions. Ici, la Cour de cassation interprète strictement le texte. Elle relève qu’il « ne procède à aucune distinction entre les fonctions exercées par les agents qu’il désigne, de sorte que l’entrave ou l’obstacle apportés à ces fonctions n’est pas limité à celles qui consistent dans la recherche et la constatation des infractions ». Cette précision n’est absolument pas négligeable. Le texte vise les agents habilités à rechercher et à constater les infractions. Cependant, ces agents n’interviennent pas nécessairement sur les lieux pour procéder à la recherche et à la constatation des infractions. Il s’agit d’une habilitation et non d’une mission exclusive, encore moins d’une obligation. Ils peuvent intervenir sur les lieux à titre préventif par exemple pour opérer de simples contrôles. Pour le dire autrement, les agents habilités à rechercher et constater des infractions possèdent d’autres fonctions que celles-là, plus générales ou plus spécifiques, dans le cadre desquelles ils peuvent intervenir ou être sollicités. Tel est le cas en l’espèce, les agents de la DDPP sont requis par le procureur de la République pour procéder au retrait des animaux, au titre de leur compétence. Sur ce point précisément, la Cour de cassation met en exergue que le texte n’établit pas de différence entre leurs fonctions. L’entrave porte ainsi sur toutes les fonctions. En conclusion, il faut retenir que l’entrave ne peut s’exercer qu’envers des agents habilités à rechercher et constater des infractions mais qu’elle peut s’exercer dans le cadre de toutes leurs opérations, pour être réprimée.

J. Leborne

 

Tr. correc. Bordeaux, 27 novembre 2023, n° 168/2024

 

Mots-clés : Cadavres d’animaux. Atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques protégées. Détention et cession illicites d’un animal d’une espèces non domestiques ou de ses produits. Action civile d’associations de protection de l’environnement et de défense des animaux.

 

La plupart des êtres humains qui aiment les animaux les aiment pour leur qualité d’êtres vivants doués de sensibilité. Certains, par réflexe anthropomorphique, vont même jusqu’à leur prêter une personnalité proche de celle de l’homme qui doit pouvoir se poursuivre au-delà de la mort. À cet égard, l’affaire du chien « Felix » dans laquelle ses maîtres souhaitaient qu’il fût inhumé dans le caveau familial révèle ce lien d’affection ultime qui peut unir l’homme à son animal dans leur repos éternel13. Si une telle inhumation est refusée en l’état de la législation actuelle, en revanche, le respect dû à l’animal autorise son maître à l’enterrer dans un cimetière spécialement destiné aux animaux. Celui d’Asnières-sur-Seine est célèbre14. D’autres, souhaitent offrir à l’animal « une seconde vie ». Le recours à la taxidermie le leur permet grâce aux techniques de conservation de l’enveloppe du corps de l’animal. Celui-ci peut alors être naturalisé, c’est-à-dire rétabli dans des attitudes proches de l’état de nature. Les musées d’histoire naturelle regorgent de spécimens d’espèces de contrées éloignées ou disparues permettant aux visiteurs d’avoir une connaissance en trois dimensions d’animaux jusqu’alors représentés sous forme d’image ou de croquis. Le professeur Alan S . Ross relève que dans la culture visuelle européenne les animaux naturalisés deviennent omniprésents, dans les musées certes, mais aussi comme objet d’éducation, dans les divertissements populaires ainsi que dans la décoration intérieure15. Des chimères sont réalisées, des animaux revêtus d’habits chamarrés sont présentés dans des postures imitant celles d’êtres humains et le 400ème anniversaire de La Fontaine a donné lieu à des expositions criantes de réalisme. La taxidermie s’élèverait-elle au rang d’art supérieur16 ? Des entreprises d’envergure mondiale, tel Rowland Ward, vont jusqu’à financer des expéditions de chasse pour satisfaire à une demande croissante17. Cette source potentielle de revenus n’échappe pas malheureusement à l’attention d’individus mal intentionnés qui semblent oublier que l’utilisation de la dépouille d’un animal est soumise à certaines règles strictes18 et qu’il faut respecter la Convention de Washington du 3 mars 1973 sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction ( CITES). D’où l’affaire dont a connu le tribunal correctionnel de Bordeaux qui a statué par jugement du 27 novembre 2023. La décision est, certes, ancienne mais doit néanmoins être portée à la connaissance des lecteurs de la revue.

Sur le signalement de l’association « Extrême sauvetage combat la cruauté animale » auprès des services de police d’Alpes-Maritimes, de faits de récupération, conservation, entreposage, traitement et vente de cadavres d’animaux, des poursuites pénales furent engagées contre plusieurs personnes, dont l’une en particulier qui avait posté sur des réseaux sociaux des vidéos dans lesquelles elle proposait à la vente des cadavres d’animaux récupérés grâce à la complicité d’un agent travaillant dans un abattoir situé dans le département des Charentes. Une vidéo avait même été tournée à l’équarrissage où la prévenue venait « faire son marché », comme l’a souligné le tribunal. Une fois la collecte effectuée, elle chargeait les animaux dans un camion, sans aucune précaution sanitaire, pour les transporter chez elle avant de les entreposer et de les traiter pour la vente. Certaines vidéos étaient choquantes, comme celle qui montrait un cerveau sorti de sa boîte crânienne ! Les animaux prélevés étaient de toutes sortes : domestiques (chiens , chats, gibiers) ou sauvages. La liste donnée par le jugement du tribunal est très longue et éloquente : crocodiles, boa, tortues marines, tortue d’Hermann, des crânes d’alligator, de kangourou d’ours noir, de caméléon, de singes et de félins, un squelette entier de zèbre, des tatous à neuf bandes, de nombreux oiseaux (chouette chevêche, buse variable, mésange bleue, martinet noir, bernache) appartenant à des espèces protégées … Un véritable cimetière à ciel ouvert. La « passion » de la prévenue, qu’elle appelait « ostéologie », consistait « à décharner, éviscérer, écorcher et découper des animaux afin de n’en garder, la plupart du temps, que le squelette mais parfois la peau ou des parties (pattes, têtes, sabots.) ».

Interrogée sur la règlementation française et celle de la convention de Washington, la prévenue admettait ne pas les connaître entièrement. Elle voyait dans son activité une forme d’hommage, de seconde vie après la mort, une vie éternelle offert aux animaux, persuadée que ses acheteurs, probablement séduits par cette forme d’art, sauront les respecter. Toutes les personnes poursuivies furent finalement reconnues coupables à des degrés différents, en fonction de leur participation, et condamnées à des peines d’emprisonnement avec sursis et à des peines d’amende. La peine d’emprisonnement de douze mois prononcée contre celle qui se livrait à cette activité d’ostéologie a été assortie pour sa totalité du sursis probatoire, afin d’assurer la poursuite d’un suivi médical et d’obtenir l’indemnisation des parties civiles, à laquelle s’est ajoutée, à titre complémentaire, une peine d’interdiction d’exercer toute activité d’ostéologie, de naturalisme, de taxidermie, d’équarrissage ou d’activité professionnelle en lien avec l’infraction pendant cinq ans avec exécution provisoire.

Sur les faits reprochés, il y a peu à dire dans la mesure où ils correspondent aux incriminations rappelées par le jugement à savoir pour l’essentiel : l’interdiction de porter atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques protégées, de détenir, transporter, de naturaliser ou de céder des animaux appartenant à ces espèces (v° notamment , C. envir., art. L411-1 §1, 1°, L411-2, L415-3, 1°)19.

En revanche, l’intérêt de la décision, selon nous, porte sur l’action civile de l’association « Extrême sauvetage combat la cruauté animale » aux côtés des actions civiles exercées par la « Ligue de protection des oiseaux » (LPO) et l’association « Charente nature ». Si ces deux dernières associations ont pour objet, l’une, la sauvegarde de la faune sauvage, l’autre, la conservation d’espèces menacées, la première citée a pour objet la défense et la protection des animaux. Dès lors, les fondements légaux pouvant justifier la recevabilité des constitutions de partie civile de ces associations sont différents. Les associations « Charente nature » et la « Ligue de protection des oiseaux » se sont constituées parties civiles sur le fondement de l’article L142-2, al.1 du Code de l’environnement aux termes duquel « Les associations agréées mentionnées à l'article L141-2 peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement, à l'amélioration du cadre de vie, à la protection de l'eau, de l'air, des sols, des sites et paysages, à l'urbanisme, à la pêche maritime ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances, la sûreté nucléaire et la radioprotection, les pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature à induire en erreur quand ces pratiques et publicités comportent des indications environnementales ainsi qu'aux textes pris pour leur application ». À ce titre, ces deux associations (l’une agréée et l’autre reconnue d’utilité publique) peuvent, bien entendu, exercer les droits reconnus à la partie civile en présence d’une atteinte portée à des animaux, vivants ou morts, relevant d’espèces protégées, ceux-ci étant partie intégrante à la nature que les associations en question ont pour mission de protéger dans toute ses composantes.

Mais qu’en est-il de l’association « Extrême sauvetage combat la cruauté animale » ? Elle ne peut se constituer partie civile que sur le fondement de l’article 2-13 du Code pénal. Or, pour les associations dont l’objet statutaire est la protection et la défense des animaux, le texte ne permet la constitution de partie civile qu’à la suite d’une infraction au Code pénal et aux articles L. 215-11 et L. 215-13 du Code rural et de la pêche maritime, soit l’abandon, les sévices graves ou de nature sexuelle, les actes de cruauté et les mauvais traitements envers les animaux ainsi que les atteintes volontaires à la vie d’un animal. La Cour de cassation, dans le fameux arrêt de sa chambre criminelle « Cannelle »20, le rappelle sans ambiguïté : le délit d’atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques par destruction, qui constitue une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement, n’entre pas dans les prévisions de l’article 2-13 du code de procédure pénale. Les associations de protection animale ne peuvent donc se constituer partie civile pour des infractions portant atteinte à l’environnement, même si elles sont commises sur des animaux. L’association « Extrême sauvetage combat la cruauté animale » se trouve en porte à faux car en l’espèce il ne s’agit pas d’animaux vivants doués de sensibilité, victimes d’actes de cruauté, mais d’animaux morts sur les dépouilles desquelles, le propriétaire se livrait à des pratiques relevant peut-être de la nécrophilie ou de la psychiatrie mais nullement de la cruauté, un cadavre ne souffrant pas. L’infraction de « sévices et d’actes de cruauté » est ici inconcevable La recevabilité de cette constitution de partie civile par le tribunal correctionnel de Bordeaux est donc énigmatique. Signifierait-elle alors que pour ses juges, l’animal mort n’est pas seulement une chose inanimée sans valeur mais un corps méritant le respect à l’image de l’être humain dont le cadavre doit être protégé contre toute atteinte à son intégrité (CP, art. 225-17)21 ? La prévenue ne s’est-elle pas livrée sur les dépouilles de ces pauvres bêtes à des agissements profanatoires ? A défaut de textes, le statut de l’animal est à nouveau posé implicitement. Attendons la décision de la Cour d’appel puisque le jugement a fait l’objet d’un recours. Le plus simple, pour l’instant, serait déjà d’autoriser les associations de protection animalière à se constituer partie civile en cas d’infractions à la législation sur les espèces protégées22.

J. Leroy

  • 1 Sur cet arrêt : S. Detraz, « Droit de visite des agents et fonctionnaires chargés de l’environnement », D., 2024, n° 11, p. 588 ; P. Dufourq, « Droit pénal de l’environnement : la constatation des infractions sur un terrain agricole », Dalloz actualité, 2024, 1er février ; D. Pamart, « Quand trois agents de l’AFB vont aux champs », Dr. rural, 2024, n° 2, comm. 14. ; J.-H. Robert, « Gyrobroyage de tortues et de procédures », Dr. pénal, 2024, n° 3, comm. 49.
  • 2 Loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement, JORF n° 172, 26 juillet 2019, texte n° 2.
  • 3 Cass. Crim., 21 mars 2023, pourvoi n° 22-82.342 ; J. Leborne « L’obligation d’informer préalablement le procureur de la République en droit pénal de l’environnement », cette revue, 2023, n° 1, p. 61 ; J.-H. Robert, « La fièvre de l’or salit les âmes et les eaux », Dr. pénal, 2023, n° 5, comm. 89.
  • 4 Cass. Crim., 20 octobre 2020, pourvoi n° 19-87.656 ; J. Leborne, « La notion de domicile en droit pénal : vers l’élémentaire ? », AJ Pénal, 2021, n° 2, p. 101 ; J.-H. Robert, « Confusion de vocabulaire entre “domicile“ et “lieu d’habitation“, Dr. pénal, 2020, n° 12, comm. 203 ;
  • 5 Cass. Crim., 5 janvier 2021, pourvoi n° 20-80.569 ; S. Fucini, « Visite d’un véhicule en matière environnementale : absence d’autorisation du procureur », Dalloz actualité, 2021, 29 janvier ; J. Leborne, « Le véhicule du braconnier et la notion de domicile : précisions sur les conditions de fouille », cette revue, 2021, n° 1, p. 59 ; M. Redon, « La voiture du braconnier n’est pas son domicile ! », Dr. rural, 2021, n° 491, comm. 62 ; J.-H. Robert, « Taïaut, taïaut, mais sur les chasseurs », Dr. pénal, 2021, n° 3, comm. 46.
  • 6 Art. L. 205-3, al. 1., Code rural. Ces procès-verbaux doivent, sous peine de nullité, être adressés dans les 8 jours suivant leur clôture au procureur de la République et une copie doit être également transmise, dans le même délai, à l’intéressé s’il est connu, sauf si le procureur s’y oppose (art. L. 205-.3, al. 2).
  • 7 Art. 537 Code de procédure pénale.
  • 8 J.-Y. Maréchal, « Fascicule 20. Art. 521-1 et 521-2 : sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux », JurisClasseur Code pénal, 2023, n° 164.
  • 9 CE, 9 novembre 2018, pourvoi n° 421302 ; F. Gaullier-Camus, « La ferme se rebelle devant le juge judiciaire », Dr. rural, 2019, n° 473, comm. 57.
  • 10 Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à nos développements dans notre thèse : J. Leborne, La protection pénale de l’animal, Mare & Martin, coll. Bibliothèque des thèses, 2024, p. 160-161, n° 115.
  • 11 Cass. Crim., 31 octobre 2017, pourvoi n° 16-86. 310.
  • 12 Si l’élément moral n’est pas prévu par le texte, il correspond néanmoins à l’exigence d’un élément intentionnel en matière délictuelle, conformément au principe de l’article 121-3 alinéa 1 du Code pénal. Cette intention permet, par ailleurs, de faire la distinction entre le délit et les contraventions sanctionnant le défaut de présentation de documents obligatoires. À défaut de caractériser le délit, les prévenus doivent être condamnés du chef de la contravention (Cass. Crim., 31 octobre 2017, pourvoi n° 16-86.310 ; J.-H. Robert, « L’article 121-3, al. 1er du Code pénal sert enfin à quelque chose », Dr. pénal, 2018, n° 2, comm. 28).
  • 13 Souhait non exaucé en l’espèce: T.A Bordeaux, 22 nov. 1961,Sieur Blois, JCP 1961.II. 12407 ; C.E. 17 avr. 1963, Sieur Blois, D.1963.459, note P. Eismein, JCP1963.II.13227, note E.-P. Luce ; sur cette affaire , J.-P. Marguénaud, L’animal en droit privé, PUF, 1992, p.451.
  • 14 Entre autres chiens ou chevaux , c’est là que se trouve la tombe du chien Rintintin, véritable « acteur » de cinéma !
  • 15 « Taxidermie », in Dictionnaire historique et critique des animaux, éd. Champ Vallon, 2024, p. 532 et s.
  • 16 W. Shufeldt « Taxidermy as an art”, The Art World 3, 1971: “ Au cours des cinquante dernières années, j’ai assité non seulement à la différenciation complète des travaux du naturaliste, du taxidermiste, du médecin et du biologiste, mais aussi au passage des méthodes et matériaux démodés à l’époque actuelle, où la taxidermie et les meilleures écoles de taxidermie du monde entier ont acquis le droit incontestable d’être classées parmi les arts supérieurs. », extrait cité par le professeur A.S. Ross, in op.cit. , p. 535.
  • 17 Ibid.
  • 18 M. Falaise, « le droit de disposer du corps de son animal », RSDA 1/2016, p. 389 et s.
  • 19 Des dérogations sont prévues à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. Les dérogations sont accordées soit à des fins de recherche scientifiques et d’éducation, soit en raison de problème de santé publique soit dans l’intérêt de la faune et de la flore sauvage ou encore pour prévenir des dégâts importants aux cultures, à l’élevage, aux pêcheries, aux forêts, aux eaux. V° R. Larrere, « La protection de la nature et les animaux », RSDA 1/2016.265 et s.
  • 20 Cass.crim. 1er juin 2010, n°09-87.159 : RSDA 1/2010.68, note D. Roets.
  • 21 Durant de nombreuses décennies, la dissection de grenouilles ou de souris était courante dans les établissements scolaires en cours de Sciences de la Vie et de la Terre. Cette pratique qui réifiait l’animal, est désormais interdite : v° C. Boyer-Capelle, « Interdiction par circulaire des dissections en cours de SVT : à la recherche du fondement juridique pertinent, obs. à propos de CE, 6 avr. 2026, Syndicat national des enseignements de second degré, n°391423, RSDA 1/2016.73 et s.
  • 22 Dans le même sens, J. Leborne, note sous Cass.crim. 28 novembre 2023, n°22-87.559 , RSDA 2/2023, « chron.droit criminel ». V° aussi, C. Lacroix, « L’article 2-13 du CPP relatif à l’action civile des associations de protection des animaux, 20 ans après », RSDA 1/2013 .339 et s.
 

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