Stérilisation féline : quelle harmonie de vie entre chats et humains, êtres libres et pleinement sentients ?
- Anne-Claire Gagnon
Dr Vétérinaire
Présidente de AMAH
1. La relation des chats avec les humains et des humains avec les chats est celle d’une fascination, attraction, répulsion au fil des siècles, dont le maître-mot est sans aucun doute l’interrogation réciproque que chaque espèce provoque sur l’autre.
Probablement que la notion d’individualité bien trempée pour les uns comme pour les autres, d’intelligence fulgurante qui peut attirer et irriter participent à la force de la relation entre les deux espèces. Les étincelles relationnelles du passé (cf Moyen-âge) ont laissé des traces toujours vivaces aujourd’hui, car on n’efface pas ainsi de tels traumas et châtiments. Nous aussi, comme les chats échaudés, craignons parfois l’eau froide.
La vie ensemble, au sein d’un même foyer et au niveau plus global de la planète, impose une régulation des populations félines, dictée par l’espèce humaine, qui ne prend pas toujours ses responsabilités en la matière.
Une alliance ancestrale
2. L’histoire de la domestication telle que Rudyard Kipling nous la transmet est certainement la plus parlante. En effet, le poète a imaginé l’origine de l’alliance entre humains et félins dans son magnifique conte Le Chat qui s’en va tout seul. Animal singulier, sachant garder sa part sauvage, parfois rebelle, il s’est rapproché des humains, nouant des relations privilégiées avec les enfants et leur mère, loin de toute relation de domination, que le poète laisse prudemment entre les mains du chien et de l’homme, et plus généralement du principe masculin.
3. Les ingrédients de cet apprivoisement réciproque sont le jeu, principe universel de la vie, la curiosité, le troc pour des qualités complémentaires entre le chat et la femme (dont le statut de maman est une des clés de la relation). Bien sûr, Rudyard Kipling fait dialoguer le chat et la femme, dans une joute verbale qui allie les compliments légitimes à une flatterie intéressée, le tout pour satisfaire des besoins essentiels partagés qui sont : la sécurité du lieu, la protection contre les intempéries (l’invention du feu étant une motivation pour le chat) ou contre les peurs (celles des souris pour la jeune maman) et une alimentation basée sur la domestication des autres espèces comme la vache (dont le chat apprécie le lait).
4. La première concession des chats sur leur autonomie alimentaire et leur degré de liberté repose sur la domestication des autres espèces, sans qu’il ait validé la sienne. Le chat est un opportuniste par nature qui choisit de faire au plus simple pour certaines activités, même si en matière de traque et de chasse, il ne ménage pas sa peine. Les publications montrent qu'il fait souvent 10 affuts et tentatives pour une réussite. Donc en matière de coût énergétique (pris sur ses propres ressources, renouvelables) et de prédation réelle, le chat n'est pas le plus gourmand.
Victime apotropaïque par excellence
5. Utilisé et vanté depuis des millénaires pour sa capacité à nous protéger des dégâts des rongeurs, le chat d’aujourd’hui ne récolte pas vraiment les fruits des grains de blé qu’il a sauvés dans nos maisons, nos greniers et surtout sur tous les navires.
C’est d’ailleurs ainsi que le chat a vraiment conquis le monde, en profitant de la diffusion planétaire offerte sur un plateau – pardon sur un bateau ! – par l’espèce humaine. Depuis l'Antiquité jusqu'à aujourd'hui sur les bateaux de plaisance, c'est jamais sans un chat à bord !! Les sauvetages des chats lors des naufrages sont des merveilles de compassion. « Sauvons le chat d'abord » disait tout l'équipage, du moussaillon au capitaine à bord des bateaux, comme en témoigne l'ouvrage The Cat men of Gotham1.
Quand, aujourd’hui, l’humain accuse de mille maux l’espèce féline, on se dit qu’il a la mémoire bien courte et la reconnaissance rare.
6. La mauvaise foi humaine va parfois se nicher jusque dans le libellé du titre d'un article grand public - le chat, ce prédateur - ou même d'un résumé d'une publication internationale qui stigmatise le niveau de prédation des chats, alors que les chiffres précisent plus loin que l'humain reste le plus grand prédateur de la petite faune sauvage, par la force des perturbateurs endocriniens (pesticides) et du changement climatique. Clairement le chat a toujours le bon dos du coupable, surtout quand il rentre à la maison en portant fièrement un oiseau, souvent malade ou chétif, qu'il a attrapé après un affût et de savants calculs. Et s'il a la mauvaise idée de le déposer aux pieds de son maître, par confiance ou en imitant ce qu'il voit les chiens faire, son sort est jeté, c'est un prédateur, un égorgeur d'oisillons sans cœur...
7. Pourtant les études2 montrent, d’une part, qu’un chat qui ne s’ennuie pas (donc qui a des activités variées, des moments de jeu avec ses humains) et, d’autre part, qui mange une alimentation diversifiée en textures (notamment humide), chasse moins qu’un autre. À nous donc d’agir et d’assumer nos responsabilités pour offrir à nos chats les meilleures conditions de vie, respectueuses de la biodiversité.
Chat : un prédateur généraliste opportuniste
8. Dans la récente et première méta-analyse3 consacrée à l’alimentation des chats libres de leurs mouvements (errants, harets mais aussi chats de maison) au niveau mondial, le nombre des espèces consommées par les chats, est précisé, 2 084 dont 347 (16,65%) sont protégées, avec 0,38% en voie d’extinction. La majorité (75,34 %) est sur la liste des espèces existant en abondance. Souvent de petit poids à l’âge adulte (< 5 kg), les proies sont constituées à 90 % par des oiseaux, des reptiles et des mammifères. L’étude précise bien que le chat a été importé par l’humain dans presque tous les territoires, et qu’en zone insulaire, sa prédation nuit à la biodiversité, particulièrement en l’absence de régulation de sa reproduction, un point à contrôler avec une espèce aussi prolifique.
9. Ce qui est intéressant de noter c’est que l’importation des chats sur des îles ou continent, dans le sillage des humains, a été à la fois utilitaire et affective. Le chat était là pour protéger l’humain des rongeurs, alors considérés comme nuisibles, sans se soucier des conséquences potentielles à long terme.
10. Un point qui n’est examiné que depuis peu, en fonction des réglementations, est l’incidence de la prédation humaine ou de la faune sauvage sur les chats. En Espagne, par exemple, où toute suspicion de mort non accidentelle fait l’objet, pour les animaux de compagnie, d’une autopsie auprès d’un laboratoire spécialisé en médecine légale vétérinaire, les résultats d’une étude4 sur des animaux ayant trouvé la mort entre 2014 et 2019, ont montré que la mort naturelle (par accident ou maladie) est plus fréquente qu’on ne le pense. Les traumas non accidentels (donc intentionnels) étaient minoritaires (34,15 %), toutes choses étant relatives, avec le trauma par un objet contondant (21,95%), suivi par les blessures par arme à feu (7,32%) et les morsures (4,88%), rejoignant des chiffres identiques aux États-Unis. Cette étude souligne l’importance d’objectiver les causes réelles de la mort (accidentelle, non-accidentelle, naturelle) des chats et des animaux de compagnie, en général, et de former les vétérinaires à suspecter et reconnaître les signes de maltraitance animale, pour pouvoir prévenir celle-ci ainsi que les violences interpersonnelles qui sont souvent concomitantes.
11. Actuellement, il n’est malheureusement pas exceptionnel de découvrir, lorsqu’ils sont présentés aux urgences vétérinaires, que des chats blessés, même en zone urbaine, ont des impacts de balles ….
12. À Londres, où une psychose s’était développée à la suite de la découverte macabre de cadavres mutilés de chats, les forces de police ont demandé des autopsies et pu comprendre l’origine des faits pour 26 victimes félines : 10 ont été victimes de prédation animale, 8 d’un arrêt cardio-respiratoire, 6 ont reçu un traumatisme mortel par objet contondant, 1 a été intoxiqué à l’éthylène-glycol et le dernier a succombé à une insuffisance hépatique. Grâce à l’examen par scanner, doublé d’un typage ADN sur la salive laissée par les auteurs sur les plaies, les renards ont été identifiés comme les prédateurs ou charognards, ainsi qu’un chien. Il n’y avait donc pas un psychopathe dans les rues de Londres, responsable de ces faits, mais des animaux sauvages5.
Les débuts de la stérilisation féline chirurgicale
13. La définition de la domestication repose sur la maîtrise par l'humain (voire l'exploitation) de la reproduction des animaux. Celle-ci démarrera tardivement avec le chat, voire n’est toujours pas achevée. Autant pour les animaux de rente, les capacités de reproduction sont poussées parfois à l'extrême - pour produire le lait dont le moteur est le veau - autant pour les chats, très rapidement, la maîtrise de la reproduction a été son encadrement le plus strict et surtout sa suppression totale avec la stérilisation.
14. Attestée pour les chats mâles depuis 1560 environ, dans des conditions spartiates, sans anesthésie ni analgésie, il faudra attendre un pionnier plaidant pour une véritable médecine féline, notre confrère Gaston Percheron, qui écrit en 1885 : « Nous avons dit, dans les pages qui précèdent, de quel prix est pour l’Homme la présence du chat dans les habitations. Manifestons maintenant le regret qu’une bête si éminemment utile et vouée, de par l’état de domesticité que nous lui imposons, à tant de maladies et d’infirmités diverses n’ait encore trouvé personne pour étudier, et les maux que lui occasionne fatalement cette servitude, et les moyens les plus propres de les enrayer et d’y porter remède. Il y a là une lacune »6.
15. La castration, à l’époque, se pratique en routine sur les mâles âgés de 3 mois, placés dans des boites à chats. L’invention du bocal à anesthésie par Claude Bernard, pour ses expériences de vivisection sur les chats, ne profite pas à l’époque aux praticiens vétérinaires. Et l’absence d’immobilisation doublée des risques de péritonite n’incitent guère ces derniers à tenter d’effectuer des ovariectomies de convenance chez les chattes.
16. En 1926, Eugène Larieux et Philippe Jumaud7 exhortent leurs confrères à pratiquer couramment l’anesthésie générale sur les chats : « L’anesthésie n’est pas aussi employée qu’elle devrait l’être en chirurgie féline. Beaucoup de praticiens ne la pratiquent que rarement, la trouvant, par ignorance, inutile, coûteuse et même dangereuse, préférant encore les procédés de contention aussi brutaux que classiques. Cependant, elle seule protège des griffes et des dents, et permet d’opérer consciemment, avec humanité et douceur, devant les propriétaires ; elle est donc indispensable pour exercer la médecine féline » plaident-ils, dans leur ouvrage, Le Chat, qui consacre plus de 100 pages à la pathologie féline.
Des avancées considérables en analgésie féline
17. À partir des débuts de l’anesthésie vétérinaire, d’abord à l’éther puis au chloroforme (qui irritait beaucoup les chats), la réalisation de la stérilisation des chattes est possible et devient pour l’ensemble des vétérinaires, partout dans le monde, le véritable premier acte chirurgical par lequel tout étudiant.e fait ses armes en incisant la ligne blanche et accédant aux entrailles, tout un symbole et quasiment le graal, même si très rapidement l’intervention devient banale, comparée à d’autres. Elle reste notre toute première fois, notre initiation, notre fierté de voir la chatte se réveiller, désormais dans des conditions de confort et bien-être remarquables, grâce à la qualité de l’analgésie.
18. Précisons cependant qu’il a fallu toute la sensibilité des vétérinaires dans de nombreuses universités vétérinaires pour faire reconnaître les signes subtils de la douleur chez un animal aussi sentient que nous, mais qui a appris que la douleur ne se montre pas, au risque d’étaler sa vulnérabilité et de prendre le risque d’être attaqué, mordu, blessé comme une vulgaire petite proie…
Dans l’adversité, tenir bon, se cacher ou attaquer, mordre pour ne pas être mordu, voilà la devise du chat, prince du camouflage, qui paie souvent cher cette stratégie stoïque.
19. Néanmoins, et encore une fois grâce aux stérilisations de convenance, des équipes vétérinaires ont mis en place, comme pour l’enfant, la souris ou le chien, des grilles d’évaluation de la douleur du patient félin. La première a été celle de Botucatu (Brésil), puis celles de Glasgow (Écosse) et la Feline grimace scale (Canada), toutes pour la douleur aigüe. Désormais les équipes vétérinaires disposent d’une grille de la douleur arthrosique chronique, la plus forme la plus répandue et partagée chez les chats, avec le MI-CAT-V 5 (Canada).
20. La douleur est désormais le quatrième signe vital, dont la détection est essentielle, sans demander d’équipement, ni de moyen financier ou invasif. L’observation régulière et minutieuse de la part de l’équipe vétérinaire suffit. Le comportement est le meilleur indicateur de la douleur chez le chat, à la fois précoce et parfois subtil, et les paramètres physiologiques (fréquences respiratoires et cardiaques) n’y sont pas corrélés. Cela permet à tout propriétaire, éduqué par l’équipe soignante à repérer lui-même ou avec une appli les signes d’inconfort ou de douleur, de participer à la détection et la prise en charge précoce.
21. Parmi les recommandations actuelles, Beatriz Monteiro, une des spécialistes de la discipline, indique l’intérêt d’évaluer l’état algique préalablement à toute chirurgie, puisque chaque patient selon son tempérament et son passé, peut avoir déjà un état algique et une sensibilité qui lui est propre. Le contexte est également toujours important dans l’évaluation, notamment pour distinguer les émotions des signes comportementaux nociceptifs, même si la composante émotionnelle participe toujours à la douleur.
22. La douleur est une expérience individuelle, chacun ayant sa propre sensibilité, en fonction de son tempérament et ses expériences. Les chats nous sont très semblables de ce point de vue, avec des chats sensibilisés à la douleur par des expériences précédentes, d’autres qui peuvent ressentir des douleurs fantômes (lors d’amputation notamment) et des douleurs liées à la réalisation douloureuse d’une injection ou des adhérences des fascias par exemple, lors de la stérilisation, qui des années après continuent de rendre le chat sensible en un point précis.
Une antalgie bénéfique à toutes et tous
23. Comme l’enfant que l’on a longtemps cru moins sensible (son seuil de douleur est différent), le chat a été le parent pauvre de l’antalgie. Il est clair que désormais la prise en charge de la douleur et de l’inflammation avant même le début de la chirurgie (analgésie pré-emptive) va changer la vision que les chats et leurs parents ont d’une intervention chirurgicale et d’un séjour dans une clinique vétérinaire.
Vraisemblablement, cela peut aussi avoir une influence bénéfique sur le nombre de reproches, insatisfactions, voire de plaintes, de la part des propriétaires, mécontents de voir leur chat douloureux après une intervention chirurgicale. Les enquêtes et études montrent que les propriétaires perçoivent bien l’état de confort ou d’inconfort de leur chat.
24. En 40 années de pratique, je puis témoigner du bonheur que cela procure aujourd’hui à nos patients félins et aux équipes vétérinaires soignantes de voir la chatte ou le chat stérilisé le matin à 8H30 être parfaitement réveillé bien avant 10H, valide, capable d’uriner dans son bac et surtout de manger un peu ! L’absence de douleur permet que le patient félin sorte rapidement, sans pansement (dont on sait qu’il contribue au stress plus qu’autre chose) et sans collerette que les chats détestent, à juste titre. En l’absence de douleur et d’infection, la chatte n’a aucune raison, en grattant ou léchant, de s’intéresser à sa plaie, qui sera souvent de dimension très réduite si la chatte a été stérilisée avant 4 mois.
25. L’antalgie n’est pas que chimique et les conditions d’accueil et d’hospitalisation contribuent à apaiser les chats (et les équipes soignantes). Ce travail d’approche « chamicale » est en œuvre de façon structurée, depuis plus d’une trentaine d’années et avait été évoqué bien avant par des précurseur.e.s comme Jean Holzworth, qui précisait qu’on ne pouvait guère s’occuper pleinement de plus de 10 chats en hospitalisation.
26. « Si un vétérinaire n'a pas eu la chance de grandir avec des chats, il devrait en acquérir un ou deux et se familiariser avec le comportement des félins, qu'ils soient en bonne santé ou malades. La compréhension de la façon d’être des chats et l'assurance dans leur abord sont rapidement perçues par l'animal et le propriétaire et contribuent grandement à gagner la confiance de l'un et de l'autre »8.
27. D’autres ont contribué à cette approche, comme Deborah Greco9 qui évoqua avec précision les conditions d’abord du chat (réalisation de prise de sang, prélèvement urinaire, etc.) pour limiter l’impact du stress sur les résultats des analyses sanguines ou bien avant encore, en 1897, en Angleterre, Harold Leeney qui écrivait dans une revue scientifique vétérinaire que l’endroit le plus approprié pour hospitaliser les chats ne pouvait qu’être ... la cuisine de la maison du vétérinaire, ayant bien compris la nécessité d’apporter chaleur et attention constante à ce patient si particulier.
Recommandations vétérinaires et politiques publiques
28. Aujourd’hui, la stérilisation des chats est obligatoire dans certains pays (comme la Belgique), largement encouragée à des âges divers dans d’autres et laissée au bon vouloir des ONG pour des pays où le coût économique et logistique ne peut être assumé localement par les habitants. C’est par exemple le cas en Grèce où, malgré leur grande popularité iconographique, les chats des Cyclades sont loin d’avoir le meilleur bien-être du monde…
29. Les politiques dites de chats libres en France s’inspirent des campagnes trap-neuter-release pratiquées dans les pays anglo-saxons avec trappage des chats, identification, stérilisation, vaccination et remise sur sites.
30. Depuis la fin des années 90, les refuges anglo-saxons ont mis en place une politique de stérilisation dite précoce ou juvénile (avant l’âge de 4 mois, date de la puberté) pour les chats errants, remis sur site ou placés à l’adoption quand ils étaient sociabilisés. Ces pratiques ont donné lieu à des études scientifiques sur de grandes cohortes de chats et chattes, montrant qu’il n’y avait pas plus d’effets indésirables que lors de sa réalisation à l’âge de 6 mois. Cet âge de 6 mois ne repose sur aucune recommandation scientifique, mais sur des habitudes liées à l’âge auquel les chats étaient anesthésiés.
31. Pour vaincre les freins des praticiens vétérinaires et les encourager dans cette pratique qui prévient la 1ère portée non désirée, possible dès l’âge de 4 mois chez la femelle, le CatGroup qui regroupe des organisations de protection animale, des chercheurs et des professionnels vétérinaires au Royaume-Uni, a publié en 2006 les premières recommandations détaillées en matière d’anesthésie et analgésie pour les chatons.
Résistance de certains professionnels vétérinaires
32. Ces recommandations ont été suivies de nombreuses autres en matière d’âge de stérilisation (généralement à 4 mois, parfois avant 5 mois, et pour les stérilisations de chatons errants, les plus précoces sont faites à 7 semaines), selon que les chats sont errants ou de maison, avec encore, malgré tout, des freins parmi les praticiens vétérinaires européens.
Les associations, de même que le ministère de l’Agriculture, sensibilisent régulièrement les particuliers à l’intérêt de la stérilisation, premier acte de protection du chat, comme l’a souligné le document réalisé par le Conseil National de la Protection Animale en 201910.
33. Des publications prospectives et rétrospectives ont montré que la stérilisation avant la puberté permettait de prévenir l’obésité, principale source d’inflammation et pathologies concomitantes. L’avantage pour les refuges, comme pour les éleveurs de chats de race, est que le nouveau propriétaire n’a pas à se soucier de la réalisation de cette intervention (que certains oublient de faire pratiquer dans les temps, d’où la portée non désirée). C’est donc une pratique vertueuse en termes de prévention des abandons passifs (portée de chatons laissée dans la nature) ou actifs (chatons parfois non sevrés confiés aux refuges).
34. Une enquête11 en ligne, réalisée en France auprès de 999 éleveurs félins et de 609 praticiens vétérinaires en 2018, a montré que 49 % des éleveurs la faisaient réaliser systématiquement pour seulement 2,1 % des vétérinaires, avec la majorité d’entre eux qui ne le faisaient jamais si jeune pour 56,4 % (32,1 % des éleveurs) et 41,4 % le faisant parfois.
La croyance limitante, dont on ne peut plus dire aujourd’hui qu’elle soit anthropomorphique, qui veut qu’une chatte aurait besoin d’avoir au moins une portée, fait encore également partie des arguments sans fondement que l’on peut malheureusement entendre. Or, si la chatte est bien, depuis des millénaires, un modèle à la fois de fertilité comme de maternité, il arrive que certaines chattes, notamment en élevage, n’aient aucune disposition pour prendre soin de leurs chatons.
35. Pour les chats qui ont accès à l’extérieur, les chatons peuvent être victimes de félinicides de la part du mâle, à l’origine ou non de la portée. Les mâles entiers ont une propension importante à se battre, occasionnant plaies et abcès, à se transmettre des maladies infectieuses et à conserver des urines dont l’odeur caractéristique n’est pas appréciée des humains. Une fois projetées sur différents supports urbains ou dans les maisons, ces urines sont sources de nuisances et soucis de cohabitation entre les chats et leurs humains ; c’est d’ailleurs l’une des premières causes d’abandon.
Auditer les chats ?
36. Interroger le point de vue des chats à propos de leur stérilisation, même à notre époque de développement à la fois des technologies d’imagerie cérébrale et de la compréhension de leur cognition, n’est guère facile. D’autant que la langue française a survalorisé et souvent gaussé, avec des mots à double sens, la sexualité des chats. Les mots « chat » et « chatte » ont des liaisons dangereuses dans le vocabulaire courant français, avec un côté grivois qui prête à glousser, rougir ou voir rouge de tant de clichés. Chez nos amis anglo-saxons, les choses sont claires : il y a d’un côté the cat, l’animal, et de l’autre côté the pussy cat, l’autre mot pour nommer le sexe féminin. Ce qui est moins connu c’est que le petit nom anglo-saxon du sexe masculin est mickey, une appellation d’une logique implacable !
37. La stérilisation empêche-t-elle la réalisation d’accouplements ? Pas toujours, même s’ils sont souvent qualifiés d’hypersexualité, puisque hors contexte. Entre chats stérilisés, ce type de comportement montre d’ailleurs la séquence immuable de chevauchement et pincement de l’encolure avec les dents qui provoque immanquablement une protestation de celle ou celui qui subit, pas vraiment volontaire ni heureux. En ce sens la notion de chats libres – identifiés, stérilisés, remis sur site – n’est-elle pas plutôt celle de chats libérés des contraintes et aléas de la reproduction ?
38. La stérilisation modifie-t-elle la cognition et intelligence des chats ? Nous n’en avons aucune preuve. Elle tempère leur énergie parfois débordante, mais pas toujours, et ne modifie pas leur tempérament. Elle ne répare pas non plus, pour les chatons ayant abandonnés, les traumatismes émotionnels qu’ils ont subis, et qui doivent être pris en charge par ailleurs.
39. Parmi les effets indésirables de la stérilisation, l’obésité est le principal qui tient beaucoup à un excès d’alimentation fourni par le propriétaire et au manque d’activité physique, deux paramètres qui ne dépendent pas que des chats. Les données récentes sur la stérilisation juvénile montrent qu’il n’y a pas cette incidence de l’obésité, ce qui contribue à une meilleure santé et une prévention également de l’arthrose ultérieure.
40. Enfin, selon une récente publication sur l’espérance de vie des chats, seulement 70 % des chats et chattes sont stérilisés au Royaume-Uni, pays qui a toujours été en avance sur le bien-être animal. Un tel taux induit fatalement des portées non désirées et son lot de chatons abandonnés. Cette étude a par ailleurs confirmé que la stérilisation augmentait l’espérance de vie des chats.
41. La stérilisation féline, subie et, qui sait, appréciée peut-être par nos chats, reste une décision responsable du propriétaire ou parent, de l’éleveur ou du refuge, beaucoup plus rarement du politique qui, visiblement, hésite à légiférer, au milieu des freins avancés par les responsables des communautés urbaines, par certains professionnels vétérinaires et par des lobbyings divers et variés. Elle reste cependant aujourd’hui le meilleur moyen d’offrir à son compagnon félin plus de vie, plus de sécurité et moins de maladies, avec pour la collectivité moins de nuisances urbaines et moins d’impact sur la biodiversité.
- 1 GAVAN P., The Cat Men of Gotham, Rutgers University Press, 2019.
- 2 PLANTINGA, E. A., BOSCH, G., & HENDRIKS, W. H., « Estimation of the dietary nutrient profile of free-roaming feral cats: possible implications for nutrition of domestic cats », British Journal of Nutrition, 2011, 106(S1), 35-S48 ; SILVA RODRIGUEZ, E. A., & SIEVING, K. E., « Influence of care of domestic carnivores on their predation on vertebrates », Conservation Biology, 2011, 25/4, 808-815.
- 3 LEPCZYK CA., et al., « A global synthesis and assessment of free-ranging domestic cat diet », Nat Commun., 2023,14(1):7809, DOI : 10.1038/s41467-023-42766-6.
- 4 REBOLLADA-MERINO, A., et al. « Forensic cases of suspected dog and cat abuse in the Community of Madrid (Spain), 2014–2019 », Forensic Science International, 2020, 316, DOI : 10.1016/j.forsciint.2020.110522
- 5 Croydon Cat Killer et HULL K.D. et al., « Fox (Vulpes vulpes) involvement identified in a series of cat carcass mutilations », Vet. Pathol., 2022, 59, pages 299-309.
- 6 PERCHERON, G., Le chat, 1885, Librairie Firmin Didot, Paris.
- 7 LARIEUX, E, JUMAUD, P., Le chat : races, élevage, maladies, 1926, Vigot, Paris.
- 8 HOLZWORTH, J., Cat diseases, 1987, W.B Saunders, Philadelphia.
- 9 GRECO, D.S, “The effect of stress on the evaluation of feline patients”, 1991, in AUGUST, J.R, Feline Internal Medecine, 1991, W.B. Saunders, Philadelphia
- 10 Dépliant conseil national de la protection animale.
- 11 GAGNON AC, et al., « A retrospective internet-based survey of French cat breeders about early-age neutering », J Feline Med Surg. 2020 Jun;22(6):514-520.