Actualité juridique : Jurisprudence

Droit comparé

  • Allison Fiorentino
    Maître de conférences
    Université de Rouen
    Membre du Centre Universitaire Rouennais d'Etudes Juridiques (CUREJ, EA 4703)

Le bien-être de l’animal de compagnie à l’épreuve du droit de propriété.

Le dilemme du juge canadien en cas de divorce.

 

1 - Dans le paysage juridique canadien, la reconnaissance de l'animal comme un être sensible1 marque une étape significative vers une approche plus empathique et éthique du droit. Cette évolution reflète une prise de conscience croissante des besoins intrinsèques et de la dignité des animaux non humains. Toutefois, cette avancée entre souvent en conflit avec les pratiques judiciaires traditionnelles, notamment en matière de dissolution matrimoniale, où l'animal de compagnie est fréquemment traité comme un bien meuble. Selon la jurisprudence classique, l'animal appartient à l'époux qui l'a initialement acquis, réduisant ainsi la question de la propriété à une simple transaction commerciale.

2 - Au Canada, lorsqu'il s'agit du chien familial et que les propriétaires se séparent, il n'y a pas de décision de garde, pas d'enquête sur les intérêts supérieurs de l'animal et aucun fondement doctrinal pour ordonner un droit de visite, d'accès ou une pension alimentaire. Au contraire, devant les tribunaux canadiens, la question de savoir à qui revient le chien est généralement tranchée par une simple analyse de la propriété, où l'acheteur est assimilé au propriétaire. À quelques exceptions près le droit relatif à la propriété et aux soins continus des animaux de compagnie n'a pas évolué au même rythme que les mentalités de la société à leur égard2. Au Canada, « le droit de la famille [...] dévalorise la relation humaine avec les animaux de compagnie »3. Ainsi, la détermination de la propriété d'un animal de compagnie lors d'une rupture familiale est un exemple de tension particulière, puisque le droit ne répond pas aux besoins découlant de changements sociaux majeurs.  

3 - Cependant, une évolution notoire de la jurisprudence commence à émerger, mettant en lumière la complexité des relations entre les animaux de compagnie et les membres de la famille. Les tribunaux semblent de plus en plus enclins à prendre en considération non seulement la propriété formelle de l'animal, mais aussi la nature des liens affectifs et de dépendance qui unissent l'animal à chacun des époux. Cette perspective enrichie ne va pas jusqu'à supplanter le droit de propriété par le principe du bien-être animal, mais elle intègre ce dernier comme une composante essentielle dans la détermination des droits de garde et de visite.

4 - Cette nouvelle orientation jurisprudentielle soulève des questions importantes sur l'équilibre entre la reconnaissance des animaux en tant qu'êtres sensibles et les principes traditionnels de propriété. Elle suggère également un réexamen potentiel de la manière dont le droit perçoit et valorise les relations entre les êtres humains et leurs compagnons animaux. Cet article se propose d'explorer ces tensions et ces transitions, en examinant comment le droit canadien cherche à réconcilier les intérêts parfois divergents des époux en litige et les considérations éthiques sur le bien-être des animaux de compagnie impliqués.

5 - La première partie de l’article présente l’approche classique de la jurisprudence qui réduit le compagnon quadrupède de la famille à un simple bien dont le propriétaire aura la possession en cas de divorce (I). La seconde partie met en lumière l’évolution prétorienne récente qui, sans en appeler à la nature sensible de l’animal, fait de la relation entre l’humain et le chien l’un des critères du droit de propriété lors de la dissolution du couple (II).

 

I - L’éclipse du bien-être de l’animal par le droit de propriété

 

6 - Les litiges relatifs à la propriété d'animaux de compagnie semblent être en hausse au Canada et bon nombre des affaires pertinentes ont été documentées par certains auteurs. Seront examinées dans cette première partie seulement deux décisions Ireland v. Ireland4 (A) rendue le 13 décembre 2010 par la Cour du Banc de la Reine du Saskatchewan et Henderson v. Henderson5 (B) en date du 31 août 2016 rendue par cette même juridiction. Elles nous semblent pertinentes car elles illustrent parfaitement la réification de l’animal dans l’esprit du juge appelé à trancher un litige relatif à la garde d’un animal de compagnie. Ce n’est pas tant la conclusion du juge qui est remarquable mais ses considérations à propos de l’opportunité d’un tel procès. Les deux arrêts rendus établissent de manière explicite que la Cour, dans son appréciation, ne se contente pas de considérer que l'attribution de l'animal doit se conformer aux règles établies par le droit de propriété ; ils révèlent également que le magistrat responsable du dossier jugeait ce litige dépourvu de véritable intérêt juridique.

 

A - La décision cinglante décision Ireland v. Ireland

 

7 - L'arrêt rendu dans l'affaire Ireland v. Ireland par Cour du Banc de la Reine du Saskatchewan constitue une réfutation particulièrement marquée de la judiciarisation de la propriété des animaux de compagnie, et offre un exemple prégnant de l'approche traditionnelle qui les assimile à des biens meubles. Dans cette affaire, les parties en instance de divorce étaient parvenues à résoudre amiablement tous leurs différends concernant les biens familiaux, à l'exception de la possession de Kadi, un Labrador. Le juge Zarzeczny, présidant le procès devait examiner : « 1. Si la Cour devrait statuer sur la propriété et la possession du chien, Kadi ; et 2. Si la Cour décide de statuer, quelle serait la disposition appropriée concernant la propriété et la possession de Kadi ? ».

 

8 - La formulation même de ces questions par le magistrat laissait présager la logique qui sous-tendrait sa décision. En effet, bien que reconnaissant que Kadi était un bien familial au sens de la législation pertinente, le juge Zarzeczny n'a pas considéré d'emblée que la question méritait l'attention de la Cour. Sous la rubrique « Question inappropriée à juger », il écrivit :

« Il est inacceptable que les ressources financières de ces parties, le temps et les compétences de leurs deux avocats expérimentés et capables, et surtout la ressource publique de cette Cour soient gaspillés pour régler un litige de cette nature lors d'un procès d'une journée.... Il est dégradant pour le tribunal et les avocats de mobiliser ces ressources juridiques et judiciaires parce que les parties sont incapables de régler ce que la plupart jugeraient être une question indigne de cet investissement en temps, en argent et en ressources publiques. […] Sauf dans les circonstances les plus impérieuses (peut-être pour éviter une atteinte à la paix publique ou un dommage potentiel que les parties pourraient s'infliger), le tribunal ne devrait pas être sollicité pour des demandes provisoires ou un jugement sur une question de cette nature ».

 

Le juge Zarzeczny a ensuite affirmé que « un chien reste un chien » et que les principes applicables à « la détermination de la garde des enfants sont totalement inapplicables à la disposition d'un animal de compagnie comme bien familial. Toute tentation de faire des parallèles entre l'approche du tribunal dans cette affaire et les principes appliqués pour régler les litiges de garde d'enfants doit être rejetée ».

De plus, il a mis en garde contre toute intention du tribunal, en statuant sur cette question, de fixer des principes de peur qu'en faisant ainsi, le tribunal puisse être perçu comme invitant à de futures demandes ou procès pour régler des litiges relatifs à la possession d'animaux domestiques en tant que biens.

9 - Cet aparté jurisprudentiel témoigne du mépris de l’instance prétorienne envers ce contentieux qui n’avait pas à être plaidé devant un juge. Les termes cinglants employés reflètent l’absence totale d’intérêt pour le sort de Kadi. Une réponse à néanmoins été apportée à la sollicitation des parties. En l’absence d’un titre de propriété en bonne et due forme appartenant à l’un des époux, le juge Zarzeczny s’est résigné à désigner le propriétaire légal du chien.

10 - Il a accordé la propriété à Diane Ireland, l'épouse, notamment parce que c'était à son initiative que le couple avait acquis Kadi et qu'elle avait consacré plus de temps à l'entraînement et aux soins de l'animal, et parce qu'une garde alternée serait impraticable compte tenu des projets de Mme Ireland de prendre sa retraite et de passer de longues périodes dans le sud des États-Unis.

 

B - La décision Henderson v. Henderson : une ferme confirmation

 

11 - Une décision ultérieure de la même cour a adopté une approche similaire. Dans l'affaire Henderson v. Henderson, le juge Danyliuk a traité une demande d’ordonnance de possession provisoire des chiens familiaux, Kenya et Willow, en reprenant l'avertissement du juge Zarzeczny dans l'affaire Ireland, et a refusé de rendre l’ordonnance demandée, car il « ne souhaite pas encourager de telles demandes provisoires ou définitives concernant les animaux de compagnie ».

12 - De plus, le juge Danyliuk a confirmé le raisonnement de son collègue en écrivant que « la proposition juridique selon laquelle les chiens sont des biens et doivent être traités comme tels, et non comme des enfants, est corroborée par une considération raisonnée et dépassionnée des différences dans la manière dont nous traitons les chiens et les enfants. Quelques exemples devraient suffire à illustrer le propos. Au Canada, nous n'avons généralement pas pour habitude d'acheter nos enfants chez des éleveurs. Par conséquent, nous n'avons pas pour coutume de faire reproduire nos enfants avec d'autres êtres humains pour assurer de bonnes lignées, ni de facturer de tels services. Lorsque nos enfants sont gravement malades, nous ne nous livrons généralement pas à une analyse coût/bénéfice économique pour décider si les enfants doivent recevoir un traitement médical, ne rien recevoir ou même avoir leur vie abrégée pour prévenir la souffrance. Lorsque nos enfants se comportent de manière inappropriée, même de façon grave et violente, nous ne les muselons généralement pas, ni ne les mettons à mort pour des transgressions répétées ».

13 - Plus tard, il a réitéré la nature triviale des litiges concernant la propriété des animaux de compagnie : « Dans les circonstances particulières de cette affaire, je ne suis pas disposé à rendre une ordonnance provisoire de quelque nature que ce soit. Je soupçonne fortement que ces parties possédaient d'autres biens personnels, y compris des biens ménagers. Dois-je rendre une ordonnance pour que l'une des parties ait la possession provisoire, par exemple, des couteaux à beurre de la famille mais, en raison d'un attachement profond tant au beurre qu'à ces couteaux, ordonner que l'autre partie ait un accès limité à ces couteaux pendant 1,5 heure par semaine pour tartiner son pain ? Un exemple quelque peu ridicule, certes, mais qui est soulevé en réponse à ce que je considère comme une demande tout aussi ridicule ».

14 - Enfin, le juge Danyliuk a tenté de sceller le sort des futures demandes traitant du même sujet : « En toute simplicité, je ne suis pas sur le point de rendre ce qui équivaudrait à une ordonnance de garde concernant des chiens. Je serai plus direct que ne l'a été la cour dans l'affaire Ireland, et je déclare que ce type de demande ne devrait même pas être présenté devant le tribunal ».

15 - Ce que l’arrêt Henderson, s'inspirant du précédent Ireland, rend évident, c'est que pour un certain nombre de juges canadiens, la question de qui possède le chien n'est pas digne du temps des tribunaux, que le membre de la famille soit particulièrement attaché à ce bien ou non. Cela suggère également que la propriété d'un animal de compagnie est une question binaire, avec un gagnant clair (le conjoint à qui la propriété est accordée) et un perdant (le conjoint à qui la propriété est refusée).

16 - Loin de prendre en considération le bien-être des compagnons canins, ces juges n’ont même pas daigné reconnaitre le lien émotionnel pouvant exister entre un chien et les membres de la famille. Ainsi, en plus de ne pas refléter la véritable nature des animaux de compagnie et nos relations avec eux, l'approche traditionnelle du droit des biens pour déterminer la propriété contestée s'aligne avec l'approche individualiste de la propriété.

 

II - Le bien-être de l’animal, composante du droit de propriété

 

17 - Les deux arrêts précédents peuvent laisser un goût amer aux défenseurs de la cause animale mais cette jurisprudence, pour l’instant majoritaire, est de plus en plus concurrencée par une approche plus respectueuse des animaux de compagnie. Sans faire du bien-être de l’animal un critère d’attribution lors d’un divorce, certains juges l’incorporent parmi les facteurs à prendre en considération lorsqu’ils décident quel époux sera titulaire du droit de propriété. A ce titre quatre décisions peuvent être citées.

18 - La première d’entre elle est l’arrêt Baker v. Harmina6. Le 6 mars 2018, la Cour d'appel de Terre-Neuve-et-Labrador a rendu un arrêt offrant ainsi une perspective intéressante sur la détermination de la propriété d'un animal de compagnie suite à la rupture d'un couple.

Les parties, qui n'étaient pas mariées, ont cohabité pendant environ huit ans, jusqu'en 2013. Pendant leur relation, elles ont acquis un chien de race terre-neuve dénommé Mya. La question de la propriété de Mya a été soulevée dans le cadre d'une action en enrichissement sans cause intentée par Mme Baker à l'encontre de M. Harmina. Devant le juge de première instance, Mme Baker a soutenu qu'elle avait droit à la propriété de Mya, car c'était elle qui en avait fait l'achat, assumé les frais vétérinaires et obtenu son enregistrement à son nom auprès de la Société canadienne d'enregistrement des animaux. Pour sa part, M. Harmina a fait valoir que Mya lui avait été offerte en cadeau et que, depuis la séparation du couple, il en avait la possession. Il a toutefois admis que Mme Baker avait payé les factures du vétérinaire et les cotisations d'adhésion au club canin. 

19 - Le juge de première instance a rejeté la demande de Mme Baker concernant la propriété de Mya. Il a estimé que même si cette dernière s'était chargée des paiements et démarches administratives concernant la chienne, les parties l'avaient achetée pour en être tous deux propriétaires. De plus, il a relevé que Mya résidait avec M. Harmina depuis la séparation, que celui-ci en prenait soin et qu'il serait dans le meilleur intérêt de l'animal de rester avec lui.

20 - Mme Baker a interjeté appel de cette décision. Dans une opinion majoritaire, la Cour d'appel a confirmé le jugement de première instance. D'emblée, le juge Welsh a reconnu que les animaux de compagnie occupent une place singulière d'un point de vue juridique. Tout en étant considérés comme des biens, ils suscitent un attachement émotionnel particulier. C'est pourquoi, selon lui, les principes du droit des biens ne devraient pas constituer l'unique fondement des décisions relatives à leur propriété.

21 - La Cour a ensuite examiné les divers facteurs pouvant orienter la détermination de la propriété d'un animal de compagnie. Outre les preuves d'achat de la part du revendiquant, elle a estimé pertinent de prendre en compte l'intention des parties, leurs contributions respectives aux soins et dépenses, ainsi que leur relation avec l'animal. En l'espèce, le juge Welsh a relevé que Mme Baker avait certes réglé la plupart des frais afférents à Mya, mais que M. Harmina en était véritablement le principal soignant. Ce dernier partageait avec la chienne une relation étroite et fusionnelle. La majorité de la Cour en a donc conclu que dans ces circonstances, il serait préjudiciable pour Mya d'être séparée de M. Harmina chez qui elle réside depuis plusieurs années. 

22 - Dans une opinion concordante, la juge Hoegg a exprimé quelques réserves sur le raisonnement de la majorité, tout en aboutissant au même résultat. Selon elle, il est indéniable que les animaux de compagnie sont juridiquement des biens et qu'ils devraient le demeurer. Cependant, elle admet qu'une analyse stricte et désincarnée fondée sur le droit de propriété peut parfois se révéler inadaptée et conduire à des résultats inéquitables au regard du lien affectif homme-animal. C'est pourquoi il conviendrait d'apprécier tous les facteurs pertinents dans leur ensemble, en plaçant le bien-être de l'animal au cœur des préoccupations.

23 - L'arrêt Baker v. Harmina semblait donc être le signe d’un changement : la volonté croissante des tribunaux d'appréhender le statut des animaux de compagnie dans toute sa complexité et sa spécificité. Sans remettre en cause leur qualification de biens, il invite à dépasser une approche purement patrimoniale pour replacer la relation affective au centre de l'analyse. Le lecteur de cet arrêt constate que la Cour ne s’est nullement arrêtée à la question de l’acheteur de l’animal de compagnie mais s’est penchée de manière très approfondie sur les conditions dans lesquelles le compagnon canin du couple a vécu. Le bien-être de l’animal devient ainsi l’un des critères du droit de propriété.

24 - La seconde décision qui suit la même orientation est Marquis v. Harvey7 rendue le 21 octobre 2019. La Cour supérieure du Québec a été saisie d'une affaire portant sur la garde de deux chiens, Pico et Floki, à la suite de la séparation des parties qui ont exprimé leur attachement aux chiens et ont présenté des arguments en faveur de leur garde respective.

  1. Marquis a fait valoir qu'il avait contribué au paiement du prix d'acquisition des chiens et qu'il était en mesure de bien s'en occuper. Il a également souligné son attachement particulier à Pico, avec qui il avait développé une connexion émotionnelle au cours des trois années précédentes. Il a regretté de ne pas avoir vu les chiens depuis octobre 2017 en raison du refus de Mme Harvey.

25 - De son côté, Mme Harvey a exprimé son attachement profond aux deux chiens et a craint que Floki, le plus fragile, ne soit durement touché s'il était séparé de Pico. Elle a également mis en doute la capacité de M. Marquis à prendre soin des chiens adéquatement.

26 - Après avoir examiné les arguments des parties, le tribunal a conclu qu'il était préférable de préserver la situation actuelle et de laisser la garde des deux animaux à Mme Harvey. Cette décision a été motivée par l'affection profonde de Mme Harvey pour les chiens et la dynamique de jeu existant entre eux. Le tribunal a également noté que la communication entre les parties était tellement déficiente qu'il ne serait pas envisageable de prévoir la réunion des deux animaux à l'occasion. En conséquence, le tribunal a ordonné que Mme Harvey reste la seule propriétaire des chiens Pico et Floki. Là encore le juge a pris en considération le meilleur intérêt de l’animal au mépris d’intérêts pécuniers ou même de la peine que pouvait ressentir l’un des époux.

27 - La troisième décision pertinente est Poole v. Ramsey-Wall8. Ce jugement, rendue le 19 juillet 2021 par le Tribunal de résolution des conflits civils de la Colombie-Britannique, porte sur un litige relatif à la propriété d'une chienne nommée Tessa, suite à la rupture de la relation entre les parties, M. Ryan Poole (le demandeur) et Mme Tina Ramsey-Wall (la défenderesse).
28 - M. Poole et Mme Ramsey-Wall avaient adopté conjointement Tessa auprès d'un organisme de secours pour animaux le 12 mai 2019, pendant leur relation amoureuse. Après leur séparation en septembre 2019, ils ont initialement convenu d'un arrangement de garde partagée. Cependant, en décembre 2020, Mme Ramsey-Wall a unilatéralement mis fin à cet arrangement et a refusé l'accès de M. Poole à Tessa.

29 - M. Poole a alors introduit une demande devant le Tribunal afin de recouvrer la possession de Tessa, alléguant être son propriétaire légitime. Mme Ramsey-Wall a soutenu qu'ils avaient convenu qu'elle serait la seule propriétaire de l'animal, ou à défaut, qu'elle était la mieux placée pour offrir un foyer adéquat à Tessa.

30 - Après avoir examiné les différents facteurs pertinents établis par la jurisprudence, tels que les circonstances d'acquisition de l'animal, les accords entre les parties, la contribution respective aux soins et aux dépenses, le Tribunal a conclu que les parties étaient initialement co-propriétaires de Tessa.

32 - Cependant, face à l'impossibilité pratique d'ordonner une garde partagée pérenne, le Tribunal a dû déterminer à qui attribuer la propriété exclusive de Tessa. En se basant notamment sur une évaluation d'experts quant au meilleur intérêt de l'animal, le Tribunal a conclu que M. Poole était le mieux à même d'en assurer le bien-être optimal.

33 - Le Tribunal a notamment pris en compte le fait que Tessa était habituée à accompagner M. Poole quotidiennement dans son atelier de réparation de vélos, environnement jugé sain et épanouissant pour elle, contrairement aux allégations de comportements craintifs avancées par Mme Ramsey-Wall. Une experte certifiée en dressage de chiens d'assistance a d'ailleurs confirmé n'avoir jamais observé de signes de peur ou d'anxiété chez Tessa dans l'atelier. En revanche, la défenderesse laissait Tessa à son domicile lorsqu’elle devait travailler.

34 - En conséquence, le Tribunal a ordonné à Mme Ramsey-Wall de restituer Tessa à M. Poole dans un délai de 30 jours, et de lui rembourser les frais de procédure.

35 - Enfin la quatrième décision est Bond v. McInulty9. Par cet arrêt de principe rendu le 30 mars 2023, le Tribunal de résolution des conflits civils de la Colombie-Britannique a eu l'occasion de se pencher sur la délicate question de l'attribution de la garde d'un animal de compagnie à la suite de la rupture d'une relation de couple.

Dans cette affaire, les demandeur et défenderesse, anciennement un couple, s'étaient portés acquéreurs d'un doberman européen nommé Bentley. Suite à leur rupture, un accord tacite s'était instauré sur un partage de la garde alternée de l'animal sur des périodes de trois semaines. Cette entente perdurait depuis près de huit années, jusqu'à ce que Mme McInulty décide unilatéralement de garder Bentley définitivement auprès d'elle, invoquant des motifs troubles liés au comportement de M. Bond, sans toutefois les préciser.

Face à ces allégations infondées, le Tribunal a dû trancher sur la base des principes juridiques mis en lumière dans les arrêts précédents. Le juge commença par souligner que bien que les animaux soient légalement considérés comme des biens meubles, la jurisprudence a progressivement admis une approche contextuelle prenant en compte divers facteurs circonstanciels pertinents. Parmi ces facteurs figurent notamment l'acquisition initiale, les soins prodigués, le partage des dépenses ainsi que les liens affectifs développés avec l'animal.

Après un examen méticuleux des éléments de preuve, le Tribunal a d’abord conclu à la propriété conjointe initiale du chien par les deux parties sur la base de leur intention commune lors de son acquisition. Toutefois, comme il est impossible de diviser un animal de compagnie et que les parties ne souhaitent généralement pas vendre l'animal et partager le produit de la vente, le juge a dû déterminer laquelle des deux parties devrait avoir la propriété et la possession exclusives de Bentley. Le Tribunal a également souligné l'absence totale d'éléments concrets étayant les allégations de Mme McInulty sur un quelconque comportement déplacé de son ex-conjoint, jugeant ce motif inapte à justifier sa rétention unilatérale de l'animal.

Poursuivant son analyse, le Tribunal a finalement attribué la garde de Bentley à M. Bond, estimant qu'il était le mieux à même d'assurer son bien-être. Cette conclusion s'appuyait sur le constat que Mme McInulty avait fait prévaloir ses propres intérêts personnels au détriment de ceux de l'animal en agissant de manière unilatérale et sans motif valable.

36 - Ces quatre décisions revêtent une certaine importance dans le paysage juridique, puisqu'elles affirment avec vigueur la nécessité d'une approche individualisée et empreinte de nuances lorsqu'il s'agit de statuer sur l'attribution de la garde d'un animal de compagnie suite à une rupture. Cette jurisprudence rappelle avec justesse que, bien que n'étant pas juridiquement assimilés à des enfants, les animaux constituent des êtres vivants sensibles dont l'intérêt supérieur doit primer sur les simples considérations matérielles.

 

Conclusion

 

37 - Au terme de cette analyse, il apparaît que le droit canadien traverse une période de transition dans son appréhension des litiges relatifs à la propriété des animaux de compagnie lors des divorces. L'approche traditionnelle, qui assimile purement et simplement l'animal à un bien meuble, se heurte de plus en plus à une volonté prétorienne de prendre en compte la nature singulière du lien affectif unissant les compagnons non-humains aux membres de la famille.

Cette évolution jurisprudentielle, bien qu’encore minoritaire, témoigne d'une prise de conscience croissante de la spécificité des animaux de compagnie et de la nécessité d'adapter les règles de droit pour mieux refléter leur statut particulier. Sans remettre fondamentalement en cause leur qualification juridique de biens, les juges semblent de plus en plus enclins à intégrer des considérations relatives au bien-être animal dans la détermination de la propriété.

38 - Cette tendance se manifeste notamment par la prise en compte de facteurs tels que l'attachement émotionnel respectif des époux, leur implication dans les soins prodigués à l'animal, ainsi que la stabilité de l'environnement offert. Ce faisant, les tribunaux cherchent à dépasser une approche purement patrimoniale pour replacer la relation affective au cœur de l'analyse juridique.

39 - Toutefois, il convient de souligner que cette évolution demeure fragile et non linéaire. La réticence de certains juges à se saisir de ces questions, qu'ils considèrent comme indignes de l'attention des tribunaux, témoigne de la persistance d'une vision traditionnelle réduisant l'animal à un simple objet de propriété.

40 - En définitive, l'émergence d'une jurisprudence plus soucieuse du bien-être des animaux de compagnie lors des divorces reflète une tension croissante entre la qualification juridique de ces derniers et la place qu'ils occupent dans la société. Si le droit peine encore à appréhender pleinement la nature du lien homme-animal, les récentes évolutions prétoriennes laissent entrevoir une volonté de concilier les impératifs de sécurité juridique avec une approche plus empathique et éthique.

L'enjeu, à terme, est de parvenir à un équilibre satisfaisant entre la préservation du cadre juridique existant et la reconnaissance de la singularité des animaux de compagnie. Cela passera nécessairement par un approfondissement de la réflexion sur leur statut, ainsi que par une adaptation progressive des règles de droit aux réalités affectives et sociales qui les entourent.

Seule une telle démarche, alliant rigueur juridique et considérations éthiques, permettra de concilier les intérêts parfois divergents des époux en litige avec le respect de la sensibilité et de la dignité des animaux non-humains. C'est à ce prix que le droit pourra pleinement jouer son rôle de régulateur des relations sociales, tout en accompagnant l'évolution des mentalités et des valeurs de notre temps.

  • 1 Cette reconnaissance ne concerne pour l’instant que le Québec. Selon l’article 898.1 du Code civil du Québec introduit en 2015, les animaux ne sont plus juridiquement considérés comme des biens, mais comme des êtres doués de sensibilité qui ont des impératifs biologiques. Loi visant l’amélioration de la situation juridique de l’animal, L.Q. 2015, c. 35; A. FIORENTINO, « La réforme du statut juridique de l’animal au Québec », Revue semestrielle de droit animalier 2015, n°2, pp. 161-171;  M. LACHANCE, « Le nouveau statut juridique de l’animal au Québec », Revue du notariat 2018, n°2, pp. 333–356.
  • 2 J. LAZARE, « Who Gets the Dog?: A Family Law Approach », Queen’s Law Journal 2020, pp. 287-318.
  • 3 M. DECKHA, « Property on the Borderline: A Comparative Analysis of the Legal Status of Animals in Canada and the United States », Cardozo Journal of International and Comparative Law 2012, vol. 20, n°2, pp. 313-365, spéc. p. 333
  • 4 Ireland v. Ireland, 2010 SKQB 454.
  • 5 Henderson v. Henderson, 2016 SKQB 282.
  • 6 Baker v. Harmina, 2018 NLCA 15
  • 7 Marquis v. Harvey, 2019 QCCS 4361. A. ROY, « La garde de l’animal de compagnie lors de la rupture conjugale », Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 2022, pp. 249-263 ; M. LESSARD, M.-A. PLANTE, « L’animal de la famille : un sujet sensible », Revue de droit de l’Université de Sherbrooke 2023, pp. 729-792.
  • 8 Poole v. Ramsey-Wall, 2021 BCCRT 789
  • 9 Bond v. McInulty, 2023 BCCRT 263
 

RSDA 1-2024

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