Actualité juridique : Législation

Chronique Législative

  • Lucille Boisseau-Sowinski
    Maître de conférences en droit privé
    Université de Limoges
    OMIJ-CRIDEAU
  • Matthias Martin
    Maître de conférences HDR en droit privé
    IFG, Université de Lorraine
  • Jordane Segura-Carissimi
    Docteur en droit privé et sciences criminelles
    Chargée de recherche, Luxembourg

L’actualité législative animalière de la fin de l’année 2023 et du début de l’année 2024 n’est pas particulièrement riche de textes novateurs ou réformateurs. Quelques nouveautés méritent tout de même d’être relevées et brièvement commentées.

Au niveau législatif, deux lois adoptées en avril 2024 peuvent être relevées alors qu’elles ne portent pas spécifiquement ni substantiellement sur les animaux. En effet, ces lois comportent chacune une disposition qui les concerne expressément et qu’il semblait opportun de mentionner.

 

À titre principal, le premier texte considéré est la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie1. Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi n° 643 déposée en 2022 et ayant abouti, à l’issue de l’ensemble de travaux parlementaires, à la loi précitée adoptée en 2024, le texte vise à poursuivre les efforts menés « afin d’avancer vers une société du bien vieillir en France ». Toujours selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, « bien vieillir en France » est entendu, d’une part, comme une vie plus longue et en meilleure santé, grâce à une politique de prévention efficace et accessible à tous, d’autre part, comme la possibilité d’exercer son libre arbitre et d’être un citoyen à part entière en jouissant pleinement de ses droits même en situation de perte d’autonomie, grâce notamment à une lutte ferme contre les maltraitances et, enfin, comme la garantie pour chacun de disposer d’un hébergement et de prestations de qualité et accessibles, grâce à des professionnels accompagnés et soutenus dans leur pratique.

En pratique, les Français, dans leur grande majorité, souhaitent pouvoir rester vivre chez eux le plus longtemps possible. Ainsi, l’amplification des mesures en faveur du maintien à domicile des personnes âgées est envisagée et prescrite par les normes nouvelles issues de la loi de 2024. Néanmoins, cette solution n’est malheureusement pas toujours possible et certaines personnes âgées doivent quitter leur domicile et être accueillies en établissements. Or, dans l’hypothèse où la personne âgée a un animal pour compagnon, que devient alors ce dernier, en particulier si l’EHPAD refuse de l’accueillir ? Comment la personne âgée, contrainte à la séparation avec son animal – qui s’ajoute au fait de quitter son domicile –, vit-elle cette situation ? Cette séparation imposée de la personne âgée avec son animal est-elle conforme à l’idée de « bien vieillir », notamment en considération des effets positifs de la présence animale pour réduire l’isolement et améliorer le bien-être physique et psychologique des personnes âgées ?

Ces problématiques n’ont a priori pas été envisagées – ou tout au moins pas été tranchées – dans le texte initial de la proposition de loi. Cependant, en cours de travaux parlementaires, un amendement a été déposé afin de traiter celles-ci et d’y apporter une solution. Ainsi, dans le texte final adopté, l’article 26 insère un nouvel article L. 311-9-1 dans le Code de l’action sociale et des familles au sein d’une section expressément consacrée aux droits des usagers. Selon cette nouvelle disposition issue de la loi du 8 avril 2024, sauf avis contraire du conseil de la vie sociale de l’établissement, les établissements qui accueillent des personnes âgées garantissent désormais aux résidents le droit d’accueillir leurs animaux de compagnie, sous réserve de leur capacité à assurer les besoins physiologiques, comportementaux et médicaux de ces animaux et de respecter les conditions d’hygiène et de sécurité définies par arrêté du ministre chargé des personnes âgées.

Sans revenir présentement, d’un côté, sur les histoires et témoignages des personnes âgées qui ont été contraintes, malgré elles et souvent avec une profonde tristesse, de se séparer de leur(s) compagnon(s) pour aller vivre en établissement ou qui, refusant cette séparation imposée, ont refusé d’intégrer un établissement et sans proposer, d’un autre côté, d’imaginer ce qu’a/ont pu également ressentir le(s) « compagnon »(s) concerné(s) à l’issue de cette séparation imposée, ainsi que le sort de celui-ci ou de ceux-ci, la reconnaissance de la garantie du droit des personnes âgées à ce que leurs animaux de compagnie soient accueillis au sein de l’établissement où elles vont désormais résider ne peut qu’être saluée, à la fois dans sa « dimension humaine », par rapport à la personne âgée concernée, mais aussi dans sa « dimension animalière », par rapport à l’animal ou aux animaux concerné(s).

Ce droit désormais reconnu et devant être garanti par les établissements qui accueillent des personnes âgées connaît toutefois certaines limites.

D’une part, il ne concerne que les « animaux de compagnie ». Or, que faut-il entendre par « animal de compagnie » ? Selon l’article L. 214-6.I du Code rural et de la pêche maritime, on entend par animal de compagnie tout animal détenu ou destiné à être détenu par l’homme pour son agrément. Cette définition posée par la loi semble devoir être retenue dans le cadre de l’application de la nouvelle disposition issue de la loi du 8 avril 2024 ; mais avec quels « contours » et/ou quelles « limites » ? L’application de la nouvelle disposition issue de la loi du 8 avril 2024 se limite-t-elle, par exemple, uniquement aux chiens, aux chats, aux poissons ou encore aux canaris ? A priori, il peut être supposé que non. Peut-elle être également étendue aux « nouveaux animaux de compagnie » ? A priori, il peut être supposé que oui. Peut-elle être encore étendue à d’autres animaux plus « exotiques », voire « originaux », qui seraient les « compagnons » d’une personne âgée et détenus par elle pour son agrément ?

D’autre part, le droit nouvellement reconnu n’est garanti qu’en l’absence d’avis contraire émanant du conseil de la vie sociale de l’établissement. Cette limite permet une adaptation de la nouvelle disposition prescrite aux spécificités de chaque établissement, ainsi qu’une prise en compte de ces spécificités. Elle semble relever d’un choix discrétionnaire. Or, concrètement et dans la perspective de garantir l’effectivité du nouveau droit reconnu, serait-il possible d’envisager un éventuel « encadrement » et/ou « contrôle » du droit de refus des établissements qui accueillent des personnes âgées, ainsi que des justifications d’un « avis contraire » émanant du conseil de la vie sociale ?

De plus, le nouvel article L. 311-9-1 du Code de l’action sociale et des familles issu de la loi de 2014 précise expressément une « réserve » au droit nouvellement reconnu et devant être garanti : les établissements qui accueillent des personnes âgées doivent avoir la capacité d’assurer les besoins physiologiques, comportementaux et médicaux des animaux. Une telle « réserve » est à la fois évidente et justifiée. Cependant, elle pourrait, le cas échéant, être évoquée par un établissement qui refuserait strictement d’accueillir des animaux de compagnie ou, tout au moins, certaines catégories d’entre eux. En pratique, il conviendrait donc de veiller à ce que des « utilisations abusives » de cette « réserve » soient évitées, afin que l’effectivité du nouveau droit soit assurée. Toutefois, dans le même temps, la garantie effective du nouveau droit reconnu constitue un réel défi pour les établissements concernés, dans un contexte fortement marqué par un manque de personnel et de ressources au sein de ces établissements. Elle soulève également des interrogations concrètes portant, notamment, sur les solutions à envisager et à implémenter au sein de ces établissements, par exemple, dans l’hypothèse où la personne âgée deviendrait soudainement inapte à s’occuper de son animal en raison de son état de santé, voire en cas de décès de la personne.

Enfin, le nouvel article L. 311-9-1 du Code de l’action sociale et des familles issu de la loi de 2014 pose une limite supplémentaire liée au respect des conditions d’hygiène et de sécurité définies par arrêté du ministre chargé des personnes âgées. Là encore, la limite prévue est à la fois évidente et justifiée. L’arrêté visé ici est destiné à préciser les conditions d’hygiène et de sécurité indispensables afin que la cohabitation entre les résidents et les animaux soit saine et sécurisée, mais aussi les catégories d’animaux pouvant être accueillies, avec éventuellement des limitations de taille pour chacune de ces catégories. Il sera intéressant de connaître et d’analyser les dispositions précisément prescrites par cet arrêté. Néanmoins, au moment de l’écriture de ces lignes, l’arrêté attendu, auquel se réfère expressément le nouvel article L. 311-9-1 du Code de l’action sociale et des familles issu de la loi du 8 avril 2024, n’a pas encore été adopté, ni publié.

 

À titre subsidiaire et strictement informatif, le second texte considéré est la loi n° 2024-344 du 15 avril 2024 visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative 2.

Cette loi a pour objectif, d’une part, d’encourager et de mieux reconnaître l’engagement bénévole et le volontariat et, d’autre part, de simplifier la vie associative.

Dans le cadre de la simplification de la vie associative, l’article 10 de la loi du 15 avril 2024 se réfère expressément à la protection animale, aux côtés des causes scientifiques, sociales, familiales, humanitaires, philanthropiques, éducatives, sportives ou culturelles et à la défense de l’environnement, pour lever la prohibition des jeux d’argent et de hasard posée par l’article L. 320-1 du Code de la sécurité intérieure pour les jeux d’argent et de hasard, ainsi que pour les lotos traditionnels, organisés dans les conditions définies par les nouveaux articles L. 322-3 et L. 322-4 du même Code issus de la loi de 2024.

J. S.-C.

 

Au niveau réglementaire, plusieurs textes ont également retenu l’attention.

L’Arrêté du 9 novembre 2023 relatif à l'identification des chiens, chats et furets, l'agrément de leur matériel d'identification et fixant les modalités de mise en œuvre du fichier national d'identification des chiens, chats et furets (JORF n°0266 du 17 novembre 2023, Texte n° 19)

Ce texte vient abroger et surtout remplacer l'arrêté du 1er août 2012 relatif à l'identification des carnivores domestiques et fixant les modalités de mise en œuvre du fichier national d'identification des carnivores domestiques3. Ce nouveau texte n’a rien de révolutionnaire en ce qu’il reprend pour l’essentiel le contenu des anciennes dispositions en réadaptant les références aux règlements européens et plus généralement aux textes applicables. Quelques nouveautés peuvent cependant être relevées.

La première tient au fait que désormais les détenteurs d’animaux, les personnes habilitées et les ayants-droit peuvent consulter et mettre à jour le fichier national en utilisant des moyens informatiques de connexion et de transfert de données ou en demandant expressément au gestionnaire l'impression sous forme papier de formulaire de mise à jour. Cette faculté déjà admise dans la pratique n’était pas expressément mentionnée dans le texte. C’est désormais chose faite.

Une autre nouveauté du texte tient également au fait que le gestionnaire du fichier national d'identification des carnivores domestiques a un rôle moins actif que dans l’ancien texte. Maintenant, il se limite à enregistrer les données et à rééditer des cartes d’identification en cas de pertes de celles-ci. Auparavant, il devait contrôler si les données figurant dans la déclaration et celles enregistrées au fichier national concordent. Si elles ne concordent pas, il pouvait « demander des informations complémentaires au propriétaire enregistré sur le fichier national d'identification des carnivores domestiques ». Le gestionnaire du fichier national d'identification des carnivores domestiques informait également le nouveau détenteur de cette démarche et sursoit sa décision de réédition de la carte d'identification ou de réidentification jusqu'à la réponse du propriétaire enregistré sur le fichier national d'identification des carnivores domestique. Il est dommage que les contrôles n’aient pas été renforcés alors même que les trafics d’animaux familiers explosent ces dernières années4.

De plus, le texte prévoit quelques informations supplémentaires qui seront intégrées au fichier d’identification. La première est qu’en cas de décès de l’animal, le gestionnaire du fichier national d'identification des chiens, chats et furets devra être informé et les motifs de décès devront être déclarés dans le mois suivant la mort de l'animal Cela permettra ainsi de recueillir des informations sur les principales causes de mortalité. La deuxième concerne le vol d'un carnivore domestique. Le gestionnaire du fichier national d'identification des chiens, chats et furets est informé par le détenteur du vol de son animal et doit fournir un dépôt de plainte. Dans le cadre du vol de l’animal, « le gestionnaire du fichier national d'identification des chiens, chats et furets suspend toute demande de mise à jour dans le fichier jusqu'à ce que le détenteur informe le gestionnaire de tout retrait de plainte ou qu'une décision de justice soit rendue ». Enfin, un système d'aide au perdu/trouvé/retrouvé lié au fichier national d'identification des chiens, chats et furets est inséré dans le nouveau texte. Il permet au détenteur de déclarer le carnivore domestique perdu ou retrouvé mais il permet également au grand public de déclarer un carnivore domestique trouvé après avoir pu vérifier les caractéristiques de l'animal. Ce système prend la forme d'une plateforme permettant de publier des alertes contenant : le numéro d'identification du carnivore domestique, les contacts de la personne publiant l'alerte après son accord, et l'adresse approximative où le carnivore domestique a été perdu ou a été trouvé. Ces derniers ajouts du nouveau texte permettront peut-être de mieux connaitre le nombre d’animaux perdus ou volés.

 

L’Arrêté du 20 novembre 2023 portant abrogation de l'arrêté du 26 février 1993 relatif à l'anesthésie électrique ou à l'électrocution des animaux d'élevage (JORF n°0284 du 8 décembre 2023)

L’utilisation de l’électricité comme anesthésiant ou comme méthode d’abattage des animaux d’élevage est relativement répandue. L'électronarcose est un procédé utilisé dans certains abattoirs provoquant l'étourdissement d'un animal à la suite de la traversée de son cerveau par un courant électrique.  Elle est utilisée sous forme de bain d’eau électrique pour les volailles ou de pince à électrodes pour les porcins. Contrairement à l’électronarcose qui est un mode d’étourdissement provoquant un état d’insensibilité réversible, l’animal pouvant être à nouveau conscient avant la fin du processus de saignée, l’électrocution est létale. Elle consiste à appliquer une troisième électrode sur la zone de projection du cœur, dans le cas du porc. Le courant passe des deux électrodes situées sur la tête à la troisième électrode, arrivant ainsi au cœur et à la moelle épinière. La stimulation cardiaque provoque l’arrêt cardiaque et la mort de l’animal.

Ces procédés sont conformes aux règles de bien-être animal de droit européen et français encadrant l’abattage des animaux. Étant cependant mis en œuvre par des travailleurs dans des abattoirs généralement industrialisés, leur installation doit également respecter le Décret n°88-1056 du 14 novembre 1988 pris pour l'exécution des dispositions du livre II du code du travail (titre III : Hygiène, sécurité et conditions du travail) en ce qui concerne la protection des travailleurs dans les établissements qui mettent en œuvre des courants électriques. Ce texte prévoit un certain nombre de prescriptions et normes visant à assurer la sécurité des travailleurs. Or, ce décret général ne prévoit aucune disposition spécifique aux établissements d’élevage ou d’abattage utilisant l’électricité comme moyen d’étourdissement ou d’abattage. Ces articles 27 et 28 disposent cependant que des arrêtés fixent en tant que de besoin les dispositions particulières à chacun des types de locaux ou emplacement particulier. C’est dans ce cadre que l’Arrêté du 26 février 1993 relatif à l'anesthésie électrique ou à l'électrocution des animaux d'élevage prévoyait un certain nombre de dérogation au décret du 14 novembre 1988 tout en mettant en œuvre des mesures compensatrices pour garantir la sécurité des travailleurs. Le 20 novembre dernier, il aura cependant été mis fin à ses dérogations par l’adoption de l’Arrêté du 20 novembre 2023 portant abrogation de l'arrêté du 26 février 1993 relatif à l'anesthésie électrique ou à l'électrocution des animaux d'élevage. Le texte de 1993 n’étant pas remplacé par de nouvelles dispositions, ce sont les règles générales prévues par le décret du 14 novembre 1988 qui s’appliqueront désormais.

 

L’arrêté du 8 avril 2024 modifiant l'arrêté du 21 janvier 2005 fixant certaines conditions de réalisation des entraînements, concours et épreuves de chiens de chasse5.

Peut-être pouvions nous supposer qu’en dehors des périodes de chasse réglementairement fixées, le gibier pouvait paître tranquillement sans avoir à se soucier de croiser un chasseur au détour d’un fourré. C’était sans compter sur la réalisation d’entraînements, de concours ou d’épreuves de chiens de chasse prévue par un Arrêté du 21 janvier 2005 fixant certaines conditions de réalisation des entraînements, concours et épreuves de chiens de chasse6. Ce texte fixe les conditions applicables à la réalisation des entraînements, concours et épreuves de chiens de chasse réalisés sur des territoires répondant aux caractéristiques d'un véritable territoire de chasse, dans des conditions similaires à celles d'une action de chasse. Son article 1 précise ainsi qu’ « il ne s'applique pas aux exercices auxquels sont soumis les chiens en vue de leur entretien en bonne forme physique, pouvant notamment consister dans des déplacements sur des voies forestières ou rurales, sans que ces déplacements soient comparables à un entraînement à l'action de chasse, les personnes accompagnant les animaux n'étant munies d'aucune arme et les animaux demeurant sous le contrôle immédiat de leur maître et ne quêtant pas le gibier ».

Le texte prévoit notamment que la manifestation (entraînement, concours ou épreuve), à l’exception des entraînements par un particulier à titre individuel, doit faire l’objet d’une autorisation préfectorale et bénéficier de l'accord des propriétaires ou ayants droit ou titulaires du droit de chasse sur les parcelles concernées. Il fixe également les périodes où ces manifestations peuvent avoir lieu en dehors de période de chasse, en prévoyant notamment que le tir destiné à apprécier le comportement des chiens doit être effectué à l'aide de munitions uniquement amorcées. 

Un arrêté du 8 avril 2024 vient préciser que désormais l'autorisation pourra faire l’objet de contrôles puisque les éléments précisés lors de la demande d'autorisation devront pouvoir être « présentés, sur demande, aux fonctionnaires et agents publics affectés dans les services de l'Etat ou à l'Office français de la biodiversité, aux inspecteurs de l'environnement mentionnés à l'article L. 172-1 du code de l'environnement ainsi qu'aux agents de développement visés à l'article L. 421-5 du code de l'environnement ». Il vient également préciser les notions d’enclos de chasse et de parcs d’entraînement en définissant l’enclos de chasse comme « espaces clos empêchant complètement le passage d'animaux non domestiques » et le parc d’entrainement comme un « espace clos servant au moins vingt jours par an aux manifestations » de ce type.  

Le texte précise également que « dans ces enclos de chasse, des actions collectives de chasse à tir au grand gibier peuvent être organisées au plus cinq jours par an. ».

On n’est plus tout à fait dans l’entraînement puisqu’il s’agit d’une véritable action de chasse qui est autorisée. L’arrêté du 8 avril 2024 ouvre ainsi une brèche qui permettra désormais aux chasseurs de pratiquer leur passion en dehors des périodes de chasse et toute l’année dans des enclos fermés. Les établissements professionnels de chasse à caractère commercial peuvent se frotter les mains : le législateur leur assure un avenir qui s’annonce radieux !

L. B.-S.

 

« Promenons-nous dans les bois, tant que le loup n’y est pas… »

Régulièrement, nous dénonçons le fait que la faune sauvage est la grande oubliée des préoccupations du législateur, ne bénéficiant d’aucune protection d’envergure. La fin de l’année 2023 et le début de l’année 2024 ne font pas exception à la règle, bien que la production normative ne soit pas neutre.

Quatre arrêtés ont retenu notre attention. Il est remarquable que deux d’entre eux, adoptés en même temps, concerne le loup, signe d’un accroissement 7 — bien que modeste — de la population lupine.

 

Arrêté du 21 février 2024 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus)

Cet arrêté encadre les conditions dans lesquelles l’abattage (l’arrêté évoque pudiquement le terme de « destruction ») de loup peut être autorisé par les préfets, afin de prévenir des dommages importants aux troupeaux domestiques. Il remplace l’arrêté du 23 octobre 20208 en la matière.

L’article 2 de l’arrêté pose les objectifs contradictoires qu’il convient de concilier : limiter l’abattage des loups au strict nécessaire tout en veillant à la possibilité de défense des troupeaux toute l’année. Il convient de rappeler que le loup bénéficie du statut d’espèce protégée depuis la Convention de Berne9. Afin d’éviter des abus, le nombre maximum de spécimens de loups qui peut être prélevé est fixé annuellement par un arrêté ministériel, et les loups qui auraient été tués de manière volontaire en dehors de l’autorisation sont décomptés du quota annuel.

Comme les loups sont une espèce à la dispersion exceptionnelle et qui bougent tout le temps, le préfet coordonnateur du plan national d’actions sur le loup s’assure que les abattages de loup soient utiles et non faits à l’aveugle. Il peut ainsi redistribuer les quotas aux « territoires où la prévention ou la diminution de dommages importants aux troupeaux domestiques est prioritaire » (article 3).

Un souci réel de limiter au maximum les morts de loups semble avoir présidé l’écriture de ce texte. Il ne faut pas y voir un blanc-seing donné pour tuer du loup sans raison. Ainsi, l’article 5 impose de signaler toute mort mais aussi toute blessure faite à un loup, et même tout tir fait en direction d’un loup sans que l’on en sache l’issue, dans un délai de 12 heures. Les articles 7 à 9 encadrent les opérations d’effarouchement, allant de moyens olfactifs, visuels et sonores à des tirs de petite grenaille. L’article 10 précise que la destruction d’un loup n’est possible que si le troupeau comporte au moins une victime indemnisable dont la mort ne peut être attribuée qu’à une attaque de loup. Ces quelques exemples montrent que si l’abattage des loups demeurent la règle, un encadrement strict est assuré. La réduction de la population lupine passe par deux stratégies différentes : soit des tirs de défense (simples ou renforcés, selon le nombre d’attaques), soit des tirs de prélèvement dans le cadre de territoires particulièrement impactés.

De manière habituelle, l’ensemble des opérations de chasse sont inscrites avec précision dans un registre afin que les préfets puissent suivre l’évolution de la destruction des loups.

 

Arrêté du 22 février 2024 pris pour l'application du décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx

Cet arrêté remplace l’arrêté du 9 juillet 2019 sur le même thème, et il est le corollaire du précédent arrêté, mais du point de vue des éleveurs. En effet, l’attaque des loups (mais aussi des ours et des lynx) cause des dégâts économiques qu’il convient de prendre en compte.

L’arrêté prévoit de manière technique les différentes indemnisations, qu’elle soit directe (perte de l’animal) ou indirecte (pertes indirectes liées au troupeau). Le texte, précis, envisage de nombreuses possibilités, telle que la perte économique d’un animal disparu (indemnisée à hauteur de 20 % par rapport à un animal tué, l’éleveur devant prouver la perte de l’animal pendant une attaque) ou d’un autre animal sur l’exploitation qui ne fait pas partie du troupeau (comme un chien de protection par exemple).

Si l’aspect comptable des annexes peut sembler éloigné des préoccupations du droit animal actuel (combien d’euros par mouton égorgé), il n’en reste pas moins essentiel pour les éleveurs qui peuvent se retrouver dans des situations financières difficiles. C’est aussi -et surtout- un moyen indispensable à la protection de ces prédateurs sauvages car sans indemnisations sonnantes et trébuchantes, la société agricole rechignerait davantage à les protéger.

 

Les deux autres textes ne sont pas en lien spécifiquement avec les loups.

 

Arrêté du 28 décembre 2023 portant modification de l'arrêté du 1er août 1986 relatif à divers procédés de chasse, de destruction des animaux nuisibles et à la reprise du gibier vivant dans un but de repeuplement

Cet arrêté modifie à la marge l’arrêté du 1er août 198610 relatifs aux animaux nuisibles. Trois innovations sont à noter. En premier lieu, est désormais également interdit, sauf autorisation exceptionnelle par le préfet pour les chevreuils, l'emploi et l'utilisation de grenaille de plomb pour la chasse de tout gibier et pour la destruction des espèces d'animaux classées susceptibles d'occasionner des dégâts. Cette interdiction de la grenaille rejoint celle de la canne-fusil, des armes à air comprimé ou encore des armes à rechargement automatique. 

En deuxième lieu, l'emploi de chevrotines est autorisé pour le tir du sanglier en battues collectives, uniquement dans les départements présentant des formations de forte densité végétale ou des secteurs à densité importante en matière d'infrastructures ou de constructions ne permettant pas toujours les tirs sécurisés par balle. Cet emploi ne peut se faire que dans le cadre d’un arrêté ministériel autorisant une campagne cynégétique qui peut être triannuelle. C’est évidemment la question des « sanglochons » ou « cochongliers » qui est sous-entendue ici, et dont les dégâts dans le sud de la France sont considérables.

Enfin, en dernier lieu, l’innovation la plus intéressante est d’ordre sémantique. L’appellation d’animaux nuisibles, bien qu’elle subsiste dans l’intitulé de l’arrêté d’origine, disparaît du corps du texte au profit « des espèces d'animaux classées susceptibles d'occasionner des dégâts ». L’usage des mots n’est jamais neutre, et les défenseurs des droits des animaux s’étaient émus11 à de nombreuses reprises de cette appellation de « nuisible » qui empêchait, sans l’imaginaire collectif, toute protection. Un toilettage important avait été réalisé par la loi du 8 août 201612, il convenait d’achever le travail linguistique.

 

Arrêté du 8 avril 2024 fixant les modalités de déclarations préalables à l'effacement de clôtures en application de l'article L. 424-3-1 du code de l'environnement

La loi du 2 février 202313 a pour objectif de permettre les continuités écologiques et de limiter l’engrillagement des espaces naturels. Elle créé notamment des « trames verte et bleue » (art. nouveaux L. 371-1 à L. 371-6 C. envir.). La question des clôtures est évidemment abordée comme entrave aux mouvements de la faune sauvage (art. L. 372-1 C. envir.). Le présent arrêté apporte des indications concrètes concernant la suppression de ces clôtures par les propriétaires.

Toute suppression de clôture qui empêche complètement le passage des animaux non domestiques (suppression obligatoire avant le 1er janvier 2027 sauf cas particuliers14) doit être précédée d’une déclaration préalable à la direction départementale des territoires du lieu de situation de l'espace clos. L’objectif de cette déclaration est d’éviter plus de mal que de bien : il se peut en effet qu’en libérant l’espace, des espèces sauvages qui seraient en trop grand nombre se propagent, causant ainsi des « atteintes à l'état sanitaire, aux équilibres écologiques ou aux activités agricoles du territoire » (article 1er). Comme l’arrêté précédent du 28 novembre 2023, c’est la délicate articulation entre protection de la nature et protection des intérêts économiques des agriculteurs qu’il convient de trouver. Il n’y a hélas pas de solution miracle et des concessions doivent être faites. La question est sensible et de manière assez exceptionnelle, l’article 1er de l’arrêté est entièrement consacré aux objectifs, sans portée normative réelle, à l’instar des grandes lois d’orientation. C’est dire si le législateur marche sur des œufs.

Cet arrêté montre bien que la protection de la faune sauvage n’est pas absolue en France (même si cela progresse) et qu’elle n’est tolérée que dans une certaine limite. Ici, cette limite est comptée : « Si la densité estimée des populations à l'intérieur de l'espace clos est supérieure à 5 sangliers/100 ha ou 2 cerfs élaphes/100 ha ou 6 chevreuils/100 ha, le propriétaire procède ou fait procéder, au moins 2 mois en amont de l'effacement ou de la mise en conformité de ses clôtures, à des actions de régulation, par la chasse ou par destruction selon la période de l'année, visant à abaisser la densité moyenne aux 100 hectares à un niveau inférieur ou égal à cette valeur seuil » (article 4). Il en est de même pour les espèces non indigènes, notamment de grands ongulés (daim, mouflon, chamois, isard) ou d’espèces exotiques envahissantes, qui devront être régulées.

M. M.

  • 1 JORF n° 83 du 9 avril 2024, texte n° 1.
  • 2 JORF n° 89 du 16 avril 2024, texte n° 2.
  • 3 JORF n°0183 du 8 août 2012, Texte n° 45
  • 4 https://www.ladepeche.fr/2023/09/27/chiens-chats-les-vols-danimaux-de-compagnies-explosent-il-na-fallu-que-de-quelques-minutes-dinattention-11479372.php
  • 5 JORF
  • 6 JORF n°34 du 10 février 2005, texte n° 38.
  • 7 https://www.ferus.fr/loup/le-loup-biologie-et-presence-en-france (consulté le 7 juin 2024).
  • 8 Arrêté du 23 octobre 2020 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) ; JO du 29 oct. 2020.
  • 9 Cf. décret n° 90-756 du 22 août 1990 portant publication de la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe (ensemble quatre annexes), ouverte à la signature à Berne le 19 septembre 1979 ; JO du 28 août 1990.
  • 10 Arrêté du 1 août 1986 relatif à divers procédés de chasse, de destruction des animaux nuisibles et à la reprise du gibier vivant dans un but de repeuplement ; JO du 5 sept. 1986.
  • 11 Cf. Simon Jolivet, « Les animaux “ nuisibles ” en Droit : permanence, évolutions… et contingence(s). », in Marianne Faure-Abbad, David Gantschnig, Laurence Gatti, Adrien Lauba, Jean-Victor Maublanc, Les animaux, LGDJ / Presses universitaires juridiques de Poitiers, pp.425-446, 2020, 978-2-38194-002-1. hal-03362411.
  • 12 Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ; JO du 9 août 2016, texte n° 2.
  • 13 Loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée ; JO du 3 fév. 2023, texte n° 1.
  • 14 À savoir les clôtures les plus anciennes (plus de 30 ans avant la publication de la loi n° 2023-54 du 2 fév. 2023 visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée).
 

RSDA 1-2024

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