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Prix Michelet – Accessit : Proposition de loi tendant à assurer la protection de l’animal sauvage vivant en liberté par le Code pénal

  • Christine Basset

« On peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités ».
Gandhi

I. Exposé des motifs

Mesdames, Messieurs,
L’animal sauvage vivant à l’état naturel de liberté n’est pas protégé pour lui-même. Il peut donc être blessé, maltraité, torturé ou tué dans d’atroces souffrances en toute impunité. Ce silence coupable du Code pénal autorise, de fait, des comportements violents à l’égard d’animaux que leur liberté n’immunise pourtant pas contre la souffrance ! Cette carence du droit est inacceptable à plus d’un titre. Elle dénie à l’animal sauvage une valeur en tant qu’individu. Elle crée une hiérarchie entre des animaux qui pourtant partagent une même sensibilité. Elle banalise enfin l’expression d’une violence que notre société entend par ailleurs combattre.
L’animal sauvage doit être privé de sa liberté pour se voir protégé par le Code pénal qui n’accorde une protection qu’à l’animal « apprivoisé ou tenu en captivité », à l’instar de celle qu’il ne manque pas d’accorder à l’animal domestique.
L’animal sauvage vivant à l’état naturel, défini « en négatif » par le Code de l’environnement en tant qu’« espèces animales non domestiques », ne peut bénéficier que d’une protection de son espèce et de son habitat1, sous réserve qu’il ait le privilège d’appartenir à une espèce protégée, et non celle de sa « personne ».
Des comportements très variés allant de la destruction d’animaux de ces espèces à la dégradation de leurs habitats sont ainsi curieusement incriminés de la même manière. L’utilisation du terme de « destruction » étonne s’agissant d’un être vivant. Le Code de l’environnement prévoit en outre un certain nombre de dérogations dont certaines ont un spectre particulièrement large2.
Les animaux « chassables » ou « pêchables » bénéficieront d’une protection bien moindre que les espèces protégées. Les « espèces susceptibles d’occasionner les dégâts », enfin, ne bénéficient d’aucune protection ; leur nuisibilité supposée les condamne.
Si le Code de l’environnement reconnaît l’animal sauvage comme un « être vivant »3, il ne lui reconnaît pas pleinement la qualité d’être sensible4 et ne le protège pas en tant que tel.
Cette reconnaissance de l’être vivant fait écho au fameux article 515-14 du Code civil qui, disposant que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité », ne procède à aucune distinction entre les animaux.
La seule reconnaissance de la sensibilité de l’animal ne suffit cependant pas à le protéger. Elle droit être traduite en droit pénal qui revêt une importance spécifique. En incriminant des comportements qui portent atteinte aux valeurs d’une société qu’elle estime essentielles, la loi pénale les défend. C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi vise spécifiquement et exclusivement à modifier le Code pénal afin de ne plus réserver ses dispositions protectrices aux animaux sous la main de l’Homme.
L’animal sauvage doit être protégé pour ce qu’il est, un être vivant et sensible, présentant un caractère qui lui est propre, ressentant émotions et souffrance.
Cette sensibilité ne dépend nullement de son appropriation. Lier la protection de l’animal à sa possession par l’Homme conduit à l’impunité d’auteurs d’infractions, comme la torture d’un blaireau ou le massacre de renardeaux, les actes de cruauté ne pouvant être retenus qu’à l’encontre d’« animaux domestiques, ou apprivoisés ou tenus en captivité », comme le précisent les dispositions de l’actuel Code pénal. Le ministère public pourra considérer, en l’état du droit positif, que ce n’est pas parce que l’animal sauvage est maltraité par l’homme qu’il est captif. Aucune suite pénale ne sera par conséquent donnée à des comportements pourtant porteurs d’une grande violence qui devraient être effectivement poursuivis et condamnés5.
La protection de l’animal doit en outre être pérenne et non dépendante des aléas de son existence, révélant ainsi une situation d’incohérence juridique justement dénoncée6. Comme le constatent les professeurs Jacques Leroy et Damien Roets, « le sort de l’animal sauvage reste le parent pauvre de la protection animalière. Si le renard est captif, il est protégé contre les sévices et actes de cruauté (article 521-1 du Code pénal) ; s’il est en liberté, il peut être traqué et tué dans des conditions atroces ». On ne peut, comme eux, que déplorer « que la qualité d’être sensible attribué à un être de chair et de sang varie selon l’arbitraire des classifications »7.
La protection de l’animal sauvage est enfin importante en ce qu’elle participe à mieux protéger l’être humain de La violence. Des liens ont été mis en exergue entre violences domestiques et maltraitance animale. La loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes porte une attention particulière aux mises en cause ou condamnations de mineurs ou de leurs responsables pour les infractions animalières les plus graves susceptibles de révéler une situation de danger pour ces mineurs8.
A cet égard, Madame Violaine Perrot, Procureur, a souligné l’importance de l’enjeu que constitue la protection de l’animal sauvage dans la lutte contre La violence, la répression de cette violence de l’être humain à l’égard des animaux tendant à améliorer son comportement non seulement envers ces derniers mais également envers d’autres êtres humains9.
Le champ d’application de la protection de l’animal sauvage, potentiellement très vaste, sera nécessairement circonscrit en pratique par la nécessité de caractériser juridiquement les infractions en cause et leur applicabilité à l’espèce – dans tous les sens du terme –, dont la capacité à éprouver de la souffrance devra être scientifiquement établie.
Le droit animalier suppose l’alliance du droit et de la science. Un Comité scientifique réunissant juristes et scientifiques sera utilement constitué afin de travailler sur les questions communes à la science et au droit en établissant notamment une liste, régulièrement mise à jour, d’espèces dont la capacité à ressentir de la souffrance est scientifiquement établie 10. Cette liste, qui sera fixée par arrêté ministériel, aura un caractère limitatif et contraignant.
Il appartiendra au Parquet de vérifier, s’agissant de ces espèces, que les infractions définies par le Code pénal sont bien caractérisées et de décider des suites à y donner selon le principe de l’opportunité des poursuites.
Nul ne pourra donc ainsi craindre d’être condamné à des peines d’emprisonnement pour avoir écrasé une fourmi, attrapé une souris ou tué un frelon(11). L’instabilité juridique n’est pas à craindre. Les magistrats, formés au droit animalier, interpréteront avec discernement et rigueur les infractions prévues par le Code pénal.
Sans nul doute la question de la chasse et de la pêche est-elle davantage source d’inquiétude. La présente proposition n’entend interdire ni l’une ni l’autre sous réserve que les techniques utilisées ne soient pas constitutives de comportements prohibés par la loi.
Une bonne connaissance des techniques en cause et de leurs conséquences pratiques sur l’animal dont la sensibilité aura été préalablement établie12 est indispensable. Il appartiendra au comité scientifique pluridisciplinaire susvisé d’étudier les techniques de chasse et de pêche afin de mieux définir les critères selon lesquels une technique pourra être, ou non, jugée légale. La mise en place d’un processus collaboratif, prévoyant sur cette question la participation aux travaux du comité d’associations de protection des animaux et de représentants des chasseurs, doit être favorisée. Gageons que nombreux seront les chasseurs qui, respectueux d’une « éthique de la chasse »13, ne s’y opposeront pas.
Il appartiendra aux magistrats, ainsi éclairés, d’apprécier au cas par cas si les techniques de chasse et de pêche utilisées sont constitutives de sévices, d’actes de cruauté ou de mauvais traitements.
Nous tenons enfin à souligner que la protection de l’animal ne nuit pas à celle de l’espèce. Les deux objectifs sont au contraire complémentaires. Le Code pénal devrait à cet égard prévoir une circonstance aggravante lorsque le comportement incriminé concerne un animal membre d’une espèce protégée. Comme l’a indiqué Jérôme Leborgne, « la protection pénale de l’animal sauvage ne serait pas en concurrence mais au contraire complémentaire à celle de son milieu, la protection pénale n’est pas solitaire mais solidaire avec la nature » 14.
La protection de l’animal sauvage en liberté est plébiscitée au-delà des cercles militants de la cause animale. Un sondage a été commandé par Louis Schweitzer, Président de la Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences, à l’IFOP, sur l’opinion des Français sur « cette anomalie de nos lois qui autorise la cruauté gratuite vis-à-vis des animaux sauvages »15. L’immense majorité des personnes sondées est favorable à l’interdiction des actes de cruauté à l’égard des animaux sauvages à l’état de liberté. « On est donc face un mouvement de fond » conclut Louis Schweitzer.
Les associations pourront se faire le relais de cet intérêt. L’entrée de l’animal sauvage dans le Code pénal aura des conséquences sur la mise en œuvre des poursuites par le biais de l’action civile. Les associations de protection des animaux pourront se constituer partie civile en ce qui concerne les infractions listées à l’article 2-13 du Code de procédure pénale puisque ces infractions concerneront également l’animal sauvage considéré dans son individualité16.
Nous avons une responsabilité à l’égard de l’animal sauvage, à l’instar de celle que nous avons à l’égard de l’animal domestique. La protection de l’animal sauvage vivant en liberté par le Code pénal mettrait fin à une grande incohérence de notre droit. Nous faisons tous partie du Vivant, nous en sommes tous responsable. Notre Code pénal, doit, dans son domaine, nous donner les moyens d’exercer cette responsabilité.

II. Proposition de loi tendant à assurer la protection de l’animal sauvage vivant en liberté par le Code pénal

Article 1er
Aux articles 521-1 alinéa 1, 521-1-1 alinéa 1, 521-1-2 alinéa 1, 522-1 alinéa 1, R .653-1 alinéa 1, R. 654-1 alinéa 1, la mention « domestique, ou apprivoisé ou tenu en captivité » est supprimée.

Article 2
A l’article 521-1, est introduit un alinéa 6 rédigé comme suit : « Est considéré comme circonstance aggravante du délit mentionné au premier alinéa le fait de le commettre sur un animal sauvage appartenant à une espèce protégée figurant sur les listes des espèces protégées fixées par arrêté ministériel ».

Article 3
A l’article 521-1-1 alinéa 3, est prévue une circonstance aggravante supplémentaire. Après « le gardien de l’animal », sont ajoutés les mots « ou sur un animal sauvage appartenant à une espèce protégée figurant sur les listes des espèces protégées fixées par arrêté ministériel ».

Article 4
A l’article 522-1, est introduit un alinéa 2 rédigé comme suit : « Est considéré comme circonstance aggravante du délit mentionné au premier alinéa le fait de le commettre sur un animal sauvage appartenant à une espèce protégée figurant sur les listes des espèces protégées fixées par arrêté ministériel ».
A l’article 522-1, est introduit un alinéa 3 rédigé comme suit : « Lorsqu’il est commis avec circonstance aggravante, le délit mentionné au présent article est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende ».

Article 5
A l’article R. 653-1, est introduit un alinéa 2 rédigé comme suit : « Est considéré comme circonstance aggravante de la contravention mentionnée au présent article le fait de la commettre sur un animal sauvage appartenant à une espèce protégée figurant sur les listes des espèces protégées fixées par arrêté ministériel ».
A l’article R. 653-1, est introduit un alinéa 3 rédigé comme suit : « Lorsqu’elle est commise avec circonstance aggravante, la contravention mentionnée au présent article est punie de l’amende prévue pour les contraventions de 5ème classe ».

Article 6
A l’article R. 654-1, est introduit un alinéa 2 rédigé comme suit : « Est considéré comme circonstance aggravante de la contravention mentionnée au présent article le fait de la commettre sur un animal sauvage appartenant à une espèce protégée figurant sur les listes des espèces protégées fixées par arrêté ministériel ».

Article 7
Est créé un article 521-3 rédigé comme suit : « L’exercice volontaire de mauvais traitement envers un animal appartenant à une espèce protégée figurant sur les listes des espèces protégées fixées par arrêté ministériel est puni de 1 an d’emprisonnement et de 50 000 euros d’amende »17.

Article 8
Le tribunal statue sur le sort de l’animal. Les articles 521-1 alinéa 7 (ancien alinéa 6), 521-1-1 alinéa 4, R. 653-1 alinéa 2, R. 654-1 alinéa 2 du Code pénal sont modifiés comme suit : après les mots « qui pourra librement en disposer » sont ajoutés les mots : « S’agissant d’un animal sauvage, le tribunal peut prévoir qu’il sera remis à un centre de soins de la faune sauvage ou décider de sa remise en liberté ».

  • 1 Articles L. 411-1 et L. 415-3 du Code de l’environnement.
  • 2 Article L. 411-2 du Code de l’environnement.
  • 3 Art. L. 110-1 du Cde l’environnement.
  • 4 A noter, à titre d’exception, de rares dispositions du Code de l’environnement prenant en compte la sensibilité de l’animal sauvage non captif en matière d’expérimentation (art. L. 412-2 et R. 412-11) ou de piégeage (art. R. 427-17).
  • 5 Intervention de Mme Manon DELATTRE, juriste à l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) lors du Colloque « Préserver et protéger les animaux sauvages en liberté » organisé par la Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences (LFDA), 16 novembre 2021, évoquant le cas d’un blaireau torturé par des jeunes en Isère avec une plainte classée sans suite.
  • 6 Intervention de Muriel FALAISE, « Faune sauvage, de l’espèce à l’individu : un besoin de cohérence juridique », exemple donné des animaux élevés donc protégés, pour ensuite être relâchés dans la nature à l’ouverture de la chasse (estimés à plus de 20 millions) et perdant alors la protection dont ils bénéficiaient. Intervention dans le cadre du Colloque « Préserver et protéger les animaux sauvages en liberté », précité.
  • 7 Voir les observations de J. LEROY et D. ROETS in Chronique de droit criminel, Cass. crim. 25 janvier 2022, n° 21-84.514, RSDA n°1/2022.
  • 8 L’article 36 de cette loi modifie les articles L. 221-1 et L. 226-3 du Code de l’action sociale et des familles afin qu’il soit « [veillé] au repérage et à l’orientation des mineurs condamnés pour maltraitance animale ou dont les responsables ont été condamnés pour maltraitance animale ». « Lorsqu’elles sont notifiées par une fondation ou une association de protection animale reconnue d’intérêt général à ladite cellule (cellule recueil des informations préoccupantes relative aux mineurs en dangers ou qui risquent de l’être), les mises en cause pour sévices graves ou actes de cruauté ou atteinte sexuelle sur un animal mentionnées aux article 521-1 et 521-1-1 du code pénal donnent lieu à évaluation de la situation du mineur ».
  • 9 V. le Colloque virtuel sur la personnalité juridique de l’animal consacré à l’animal sauvage (partie III), 7 novembre 2020, Université de Toulon, et plus particulièrement l’intervention de Mme Violaine PERROT, substitut du procureur à Besançon, « Le droit pénal à l’épreuve de la faune sauvage : enjeux et stratégie de poursuite ».
  • 10 Pour M. G. CHAPOUTIER, philosophe et neurobiologiste, directeur de recherche émérite au CNRS (Paris), « il est clair que pour déterminer les droits qui peuvent protéger certains animaux, le juriste ne peut pas ignorer les connaissances et les classifications de la science », in « Réflexions sur la manière de classer les animaux et sur ses conséquences juridiques », RSDA n°1-2/2019.
  • 1 = Argument du ministre de l’Agriculture de l’époque pour solliciter le rejet de l’amendement 113 à la loi relative à la lutte contre la maltraitance animale déposé par le député Eric Diard visant à modifier le premier alinéa de l’article 521-1 du Code pénal afin de ne plus établir de distinction entre les animaux appropriés et les animaux sauvages.
  • 12 Voir supra.
  • 13 Expression utilisée par M. Loïc OBLED, directeur général délégué « police, connaissance et expertise » de l’Office Français de la Biodiversité : « Il y a un droit de la chasse […]. Il y a ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Il y a des choses qui sont entre les deux qui ne sont pas cadrées […] et qui ne correspondent pas à ce que les chasseurs considèrent comme l’éthique de la chasse ». Intervention dans le cadre du Colloque « Préserver et protéger les animaux sauvages en liberté », précité.
  • 14 J. LEBORGNE, « Une protection pénale pour l’intérêt de l’animal : vers un droit post moderne du vivant ? », RSDA n° 1/2020, p. 527.
  • 15 V. le colloque du 16 novembre 2021 sur le thème de la préservation et de la protection des animaux sauvages en liberté, précité. Il apparaît que « 85 % des personnes sondées –1500 personnes majeures, c’est un sondage plutôt large – disent qu’il faut interdire les actes de cruauté vis-à-vis des animaux sauvages à l’état de liberté […]. Les jeunes, les moins de 35 ans, sont à 87 % à vouloir cette modification législative […]. 81 % des habitants des communes rurales sont favorables à l’interdiction des actes de cruauté envers les animaux sauvages […] ».
  • 16 Une prochaine ourse Cannelle pourrait ainsi être protégée sur le fondement d’une attaque volontaire à sa vie. Cf. chronique de jurisprudence de D. ROETS, « L’affaire Cannelle devant la Chambre criminelle, 1er juin 2010, pourvoi n° 09-87159 », RSDA n°1/2010.
  • 17 Toute l’échelle des peines en matière de droit animalier mériterait d’être revue. Cette refonte des peines dépasse le cadre de la présente proposition de loi qui prévoit une aggravation des peines concernant les espèces protégées et propose dans ce cadre des peines au regard de l’échelle des peines existantes.
 

RSDA 1-2024

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