Actualité juridique : Jurisprudence

Droit animalier associatif

  • Jérôme Verlhac
    Maître de conférences en droit privé
    Université de Limoges

Les limites de l’exorbitance de l’action associative dans le portage des sans voix.

 

Mots clés : association / actio popularis / locus standi / adhésion

 

Le droit de recours individuel est un des piliers du droit européen. Le 4 juin 20201, la Cour E.D.H. constate le manquement des autorités françaises à protéger un jeune mineur des actes de maltraitance assénés par ses propres parents. Cette prise de position de la Cour EDH est d’un tout premier intérêt pour les associations de défense de causes non appropriables tel que l’environnement ou la défense des animaux. En effet, c’est sous l’angle de la décision de recevabilité de l’action menée par deux associations (reconnues représentantes de facto de la victime), que la Cour affirme sa volonté d’assurer l’effectivité des droits garantis par la convention. Les associations donnent de la voix à ceux qui n’en ont pas ou qui, comme en l’espèce, faute d’intention des représentants légaux, ne peuvent pas l’exprimer. Cela ouvre le champ des possibles de l’action associative en matière de défense de l’effectivité des droits garantis. En interfaçant cette décision avec le rattachement hors sol de la protection du bien-être animal au but légitime de protection de la morale publique2 figurant au paragraphe deux de l’article neuf nous pouvons sans contraindre l’esprit de la jurisprudence européenne prévoir une inflation des champs d’action des associations de défense et de protection des sans voix et notamment de la cause animale. Cela soulève la question de l’arrimage de la capacité pour agir de ces associations à la qualité de victime mais également celle de l’incidence de cet enrôlement tant sur la capacité du droit associatif d’absorber cette nouvelle tension que du droit européen de prévenir les dérives que cela peut faire naître.

 

I – L’arrimage de l’action associative à la qualité de victime

 

La victime n’a pas systématiquement la qualité pour agir. On retrouve cela pour ceux qui ne  relèvent pas, dans le texte, de l’article 34 de la Convention EDH (notamment les animaux, végétaux et autres composants environnementaux essentiels). Le portage de leurs actions participe plus largement de l’effectivité de la défense des principes fondamentaux reconnues par la morale publique (PFRMP).

 

A – La qualité pour agir : une exclusivité contraignante

 

Certaines causes ne font rien de moins que d’interroger l’avenir de l’humanité. Pour autant, bien que clairement partie de cet ensemble, un individu s’il n’est pas directement victime ne peut pas, dans l’absolu, soulever les atteintes portées à son propre environnement. Dans un arrêt de grande chambre Aksu c. Turquie3 la Cour n’autorise pas ce qu’elle considère être une action populaire (Actio popularis). Cela réhausse l’importance de la qualité de victime, clé de l’action en défense des intérêts en cause. Bien qu’elle se défende régulièrement4 d’aborder l’article 34 de « façon rigide, mécanique et inflexible » la jurisprudence de la Cour montre une perception certaine des limites d’une position ainsi arrêtée. Dans plusieurs arrêts et notamment le célèbre arrêt Gorraiz Lizarraga5, la Cour martèle que la notion de victime doit « faire l’objet d’une interprétation évolutive à la lumière des conditions de vie d’aujourd’hui ». Ainsi, sous réserve d’un lien direct avec le préjudice évoqué, sont considérées au titre de victime, celles et ceux qui allèguent d’une atteinte directe6, indirecte7 ou potentielle8.

Le droit de l’environnement, sans grande surprise9, a récemment était le théâtre de ce tri que le droit européen opère parmi les victimes entre celles qui peuvent et celles qui ne peuvent pas être entendues.

Dans deux affaires très attendues dans le domaine de l’action des États pour la lutte contre le changement climatique la grande chambre de la Cour EDH fait une application claire de sa jurisprudence en matière d’identification des victimes « audibles ».

Souvent oubliée dans l’ombre médiatique de la seconde décision que nous analyserons, l’action (insuffisante) de la France en matière climatique est soulevée dans une décision Carême contre France10. L’intérêt de cette jurisprudence réside dans la décision (à l’unanimité) d’irrecevabilité de la requête au motif que le plaignant ne justifiait d’aucun lien pertinent avec la commune de Grande-Synthe. La qualité d’ancien maire de cette commune n’a pas fait le poids face à son statut d’ancien résidant. L’évidence du lien est rompue sur l’hôtel de la temporalité. À la lecture de cette jurisprudence, il est clair que la qualité de victime, aux fins de l’article 34 de la Convention, sous aucun des volets des articles 2 et 8 n’est pas reconnue en matière climatique à celles et ceux qui ne sont plus sur le territoire de l’atteinte évoquée.

Ce même jour, cette même grande chambre condamne la Suisse pour mesures insuffisantes en matière de changement climatique. Ainsi cinq plaignantes, quatre femmes « âgées » et une association se plaignent de l’insuffisance d’action en matière climatique de la Suisse. Bien que toujours résidence de la Suisse les quatre plaignantes « âgées » ne remplissent pas, selon l’appréciation de la Cour les critères relatifs à la qualité de victime de l’article 34 de la Convention, ce faisant leurs griefs sont déclarés par la Cour et devant elle, irrecevables. L’âge du plaignant, vieux ou jeunes, semble être un critère particulièrement efficace de rejet des actions en matières environnementale11.

En revanche, l’association Verein KlimaSeniorinnen Schweiz, cinquième plaignante est, elle, habilitée à agir près la Cour européenne des droits de l’homme. Si on s’en tient à la jurisprudence de la Cour12 relative aux actions menées par les associations, elles ne peuvent pas porter d’action relative à des troubles qu’elles ne peuvent pas, en tant que personne morale, ressentir. De plus, elles ne peuvent pas se fonder sur des troubles de santé pour justifier d’atteintes à l’article 813. Ce raisonnement a déjà été opposé à l’action associative en matière environnementale14. Dès lors, sans le dire clairement, la Cour accorde à l’association Verein KlimaSeniorinnen Scweiz non plus le statut de victime ou de mandataire de celle-ci mais l’enrôle au service de la lecture des principes européens. En effet, certains arrêts, d’une autre gamme, aux dires même de la Cour « servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes » 15. L’incantation aux « considérations spéciales » permet à la Cour, dans une démarche de principe que nous pouvons retrouver en droit interne, en l’espèce de recevoir l’action de l’association Verein KlimaSeniorinnen Schweiz là où l’action individuelle, pourtant tentée, est rejetée. S’il est évident que nous ne sommes pas sur une reconnaissance en matière environnementale d’une actio popularis, nous pouvons y voir le portage d’une revendication par une locus standi16. La Cour permet à l’action associative de jouer dans une clé de lecture différente de l’action individuelle. Il en résulte une hauteur d’action plus importante.

Nous pourrions retenir, classiquement l’approche observée dans l’arrêt Gorraiz Lizarraga et autres17. Or ici, point d’acte administratif extraordinairement complexe rendant le recours au sauvetage associatif de l’action indispensable. Il convient de le rappeler, les plaignantes « âgées », parallèlement membres de l’association requérante avaient agi près la Cour EDH sans que celle-ci retienne leurs actions.

Via ce glissement jurisprudentiel de la qualité pour agir de la victime directe vers les évocateurs de causes majeures, nous sommes bien, dans certains domaines de la jurisprudence EDH, dans la reconnaissance d’une exorbitance de l’action associative. L’exorbitance de l’action étant établi, il convient, en l’état de la jurisprudence d'en délimiter les champs d’intervention.

 

B – La raisonnabilité induite par l’enrôlement de l’action associative

 

Les associations de défense de toutes les sensibilités sont vecteurs des grandes causes et à ce titre ont une considération judiciaire singulière. Nous venons de voir qu’en matière de défense environnementale, elles ont chapitre là où les individus, faute d’atteinte directe, n’ont pas qualité pour agir. Il faut en revenir à l’arrêt Vides Aiizsardzibas Klubs c. Lettonie18 de 2004 pour définir précisément la reconnaissance de l’action associative. Celle-ci est classiquement reconnue comme « spécialisée en la matière » mais surtout élevée au rang de « chien de garde » 19 de l’environnement20. Dès lors, à l’image des journalistes visés ici par la symbolique, elles sont enrôlées21 fondamentalement au service de l’expression nécessaire à toute société démocratique. Reste à savoir22 si l'exercice d'expression des opinions nécessaires à la démocratie comporte toujours pour l'association des « devoirs et responsabilités » tels que cela figurent aux termes23 de la Convention E.D.H.. Il est sain de s’interroger sur le « degré d'hyperbole et d'exagération »24 retenu pour l’expression associative en matière de défense des grandes causes.

 

Rappelons que ce n’est pas en matière environnementale mais pour une cause très liée par leur construction concomitante, celle de la défense animale25, que la Cour a fixé l’extrême limite de la parole associative. Dans cet arrêt Peta Deutschland c/ Allemagne du 8 novembre 2012 la Cour EDH énonce classiquement que l’étendue de la liberté d’expression de l’article 10 couvre (« également ») les informations qui choquent ou dérangent26 mais rappelle fermement la nécessaire contextualisation de ce quasi devoir d’informer. En effet, le devoir de mémoire27 s’oppose ici à la comparaison faite par une association allemande de protection des animaux28 entre le traitement réservé aux animaux en élevage intensif (in mass stocks29)  et les camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale. En 2014, l’arrêt Tierbefreier E.V. v. Germany30 du 16 janvier 2014 fait un pas de plus dans une construction exemplaire de l’action en protection des grandes causes, par des associations de défenses. En soutenant des attaques individuelles31, et en cautionnant des actes extrémistes, l’association sort, selon la Cour, du rôle de gardienne de l’effectivité du débat public.  Il est ici question pour la première fois, par l’exclusion de tout extrémisme et de respect individuel, de moralisation de l’action associative et partant du débat démocratique.

La jurisprudence européenne a amorcé une démarche de « nécessaire qualification » de le l’action associative poursuivie avec zèle par le juge interne.

C’est en rappelant que la protection animale répond à un besoin social impérieux, que la première chambre civile de la Cour de cassation, le 8 février 2023, participe à son tour à la qualification nécessaire de l’action associative. En effet, selon la procédure au fond (CA Rennes, 30 septembre 2020), l’association de protection animale L214 a diffusé (site internet de l’association et réseaux sociaux) un film tourné sans autorisation dans un bâtiment privé d’élevage de lapins. Les moyens reprennent sans surprise, de part et d’autre, une vérification du respect de l’équilibre entre les droits fondamentaux de même valeur, le droit de propriété pour l’entreprise exploitante et le droit d’information pour l’association. Sur le fondement de la jurisprudence EDH32, le juge interne procède à la mise en balance des intérêts en présence et privilégie finalement la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. Les juges procèdent à une cassation au motif que le trouble manifestement illicite provoqué par l’association (elle disposait déjà d’images permettant de dénoncer ces conditions d’élevage) n’est pas, en lui-même, suffisant au sens de la jurisprudence européenne33. Il est intéressant de voir apparaître, au crédit des associations de protection animale, outre le rejet du soutien à l’extrémisme vue plus tôt, une obligation de raisonnabilité34. Celle-ci se traduit notamment par le respect de la loi mais commande plus largement aux associations qui souhaitent user de la protection assurée aux journalistes, d’« observer un comportement responsable ». Touches après touches, la protection offerte à ceux qui assurent la diffusion de l’information se fait sous réserve de répondre au portrait attendu pour les porteurs de la « morale publique ».

 

L’action au nom de tous, y compris de ceux qui ne sont pas, ne sont pas encore ou ne seront jamais, est au prix du cadrage comportemental des associations qui prétendent, au soutien d’une cause noble et d’intérêt collectif, à une exorbitance de leur capacité à ester.

 

II – Le défaut de maîtrise de la géométrie interne de l’association.  

 

L’association de défense est considérée comme un porteur efficace de par sa capacité élargie a agir. En systématisant le recours à l’association comme assurance de l’effectivité des droits de la convention, il convient de prendre en compte que l’association est l’unité première du tissu associatif. Celui-ci est protéiforme, sa propre géométrie interne, voir les interactions entre associations peuvent, dans l’extrême atteindre à la mission réserver de représentation des causes majeures.

 

A – La perturbation du droit d’association par la revendication du droit d’adhésion

 

L’association est un vecteur de défense des grandes causes mais ce véhicule d’intérêts à besoin de sociétaires qui le pilotent, volontairement et dans une même direction. Ainsi le contrat d’association présuppose une réunion volontaire dans un but commun35. Si l’affectio associationis chère à certains nostalgiques du tout contrat pose le préalable à la relation d’association, c’est la liberté de s’y soumettre qui forme des pilotes efficaces, dévoués et désintéressés. La liberté d’association recouvre deux réalités, celle de s’associer et celle plus récente de ne pas ou ne plus s’associer. La première issue directement des textes internes (voir pour la France à titre d’illustration l’article 1 de la loi 1901) est garantie par une jurisprudence européenne stable et régulièrement enrichie36. La liberté d’association est appréciée comme une composante nécessaire de l’expression démocratique. La seconde, découverte plus récemment, est la garantie de ne pas être contraint à s’associer. L’invention de cette protection individuelle est issue du droit animalier. En vertu d’une loi de 1964 les propriétaires terriens français étaient membres de droit de l’association communale de chasse agréée locale et partant, devaient faire apport de leur terrain pour permettre la pratique de l’activité de ladite association. En retenant la prééminence de la mission de service public sur le droit de propriété, la Cour de cassation rejette37 la demande des plaignants et par la même le droit de ne pas s’associer. C’est dans la poursuite de cette action judiciaire que la Cour EDH, dans l’arrêt Chassagnou contre France38, fonde le droit d’association négatif par la condamnation de la France. La géométrie de l’association par l’assurance de la liberté d’association dans son aspect positif comme négatif semble cohérente. Cela permet d’envisager les associations comme des acteurs enrôlables au service de la morale publique39.

Toutefois, la jurisprudence interne en appel à notre vigilance. C’est en matière d’exploitation animalière, plus précisément relatif à la relation entre le chasseur et « son » association communale de chasse agréée que la jurisprudence française s’illustre à nouveau en modernisant le célèbre virelangue du chasseur : « Un chasseur sachant chasser, sait chasser sans son chien. Un chasseur sachant chasser sans son AICAF40, ça ne se chasse pas, sachez-le ». En l’espèce, selon l’exposé des juges du fond41, par un arrêté préfectoral, quatre communes voisines ont fusionné. Selon le code de l’environnement42, une telle fusion n’entraîne pas automatiquement la fusion des ACCA préalablement constituées.  Ainsi, une AICAF (l'AICAF des Trois ruisseaux) est créée par fusion des ACCA préexistantes dans les communes initiales à l’exception d’une ACCA qui préférait se maintenir au travers d’une fusion avec une AICAF (AICAF de l'Amicale des chasseurs du vignoble) hors du territoire de la nouvelle commune. Un chasseur domicilié dans la commune fusionnée souhaite étendre son territoire de chasse et bien que dépendant géographiquement de l’AICAF de l'Amicale des chasseurs du vignoble souhaite obtenir une carte de membre de l’AICAF des Trois ruisseaux. Cela lui est refusé. Membre d’une AICAF, ce chasseur ne subit pas de limitation à sa liberté de pratiquer son activité associative. Pour autant, aux fins d’étendre son champ de jeu, la Cour de cassation accède à sa demande d’adhésion. Certaines associations, comme les partis politiques et les associations religieuses, se sont vues reconnaître la capacité de limiter les adhésions à ceux qui partagent leur croyance43. Si l’opposition éthique, telle que prévue dans le code de l’environnement44 permet, pour les « petits » propriétaires terriens, de ne pas adhérer à une ACCA et partant de ne pas apporter ses terres à la pratique de la chasse45. Il faut garder à l’esprit qu’il est de jurisprudence constante que la liberté d’association n’emporte pas le droit d’adhésion à une association spécifique46. La jurisprudence interne vient là créer un précédent dans le domaine associatif qui porte atteinte à la sécurité contractuelle propre à la construction et au fonctionnement de ce type de groupements. Alors que certains craignent que les associations aient des « difficultés à assumer une réelle vie associative et démocratique »47 et que parallèlement la nécessité de véhiculer les causes sans voix les pare de tous les atours, l’ouverture d’un flou potentiel dans la géométrie des membres de ces associations n’est certainement pas à propos.

 

B – Du parasitisme à la concurrence entre les associations de protection animale

 

Nous assistons à une appropriation progressive de la défense des grandes causes par des actions judiciaires issues du tissu militant. Les raisons de ce phénomène sont multifactorielles, pressions diverses, difficulté d’action, complexité procédurale, coût démesuré, action asynchrone et longue pour un particulier isolé (etc.). En l’état des contraintes, et par défaut, l’association est le véhicule judiciaire qui s’impose. Consciente de la prééminence de cet acteur, la jurisprudence, notamment européenne tente, dans un parfait mouvement de balancier, de protège ce porte-voix nécessaire tout en vérifiant de manière dynamique qu’il répond à un minimum qualitatif commun. Cependant, le tissu associatif lui-même, protéiforme, couvre parfois pour une même cause des intérêts antagonistes. Cette réalité, dû à la patrimonialisation de l’action de défenses des sans voix par le tissu associatif peut, dans les cas extrêmes desservir la cause elle-même.   

Dans une première approche, c’est un cas de parasitisme entre associations de protection d’une même cause qui questionne. Déjà en 201848, une association de protection des animaux était condamnée pour concurrence déloyale et parasitisme aux motifs que l’association (SPA) entretenait la confusion dans l’esprit du public en utilisant systématiquement les éléments distinctifs d’une autre association du même secteur de protection (SPA France). En 2022, c’est à nouveau l’Association de Protection des Animaux qui subit les coûts d’une autre association. En effet, quelques jours seulement après sa campagne nationale pour dénoncer la torture faite aux animaux dans divers cadres (Corrida, expérimentation médicale et paramédicale, abattage), les éléments de communication sont repris par l’association La Manif Pour Tous. Elle le fait pour dénoncer notamment l’avortement « tardif », l’euthanasie, la procréation médicalement assistée sans père et la gestation pour autrui.  La seconde association est condamnée pour parasitisme, aux motifs que « fondée sur l’article 1382, devenu 1240, du code civil, qui implique l’existence d’une faute commise par une personne au préjudice d’une autre, peut être mise en œuvre quels que soient le statut juridique ou l’activité des parties, dès lors que l’auteur se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements »49. Une telle pratique atteint directement la cause défendue par la SPA en ce sens qu’elle brouille et affaiblit le message de la campagne initiale par la réutilisation des éléments de langage pour une toute autre cause.

Une étape supplémentaire est franchie dans le constat d’instabilité du tissu d’associations porteuses de la défense animale. Un récent arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation fait état de déviance dans l’appropriation associative de la cause animale. En l’espèce, les dirigeants d’une association en charge d’un refuge pour équidés soustraits à la maltraitance, à l’abandon ou à l’abattoir sont condamnés pour mauvais traitement sur ces animaux. Le comble ne s’arrête pas là. Lorsque qu’une seconde association de protection animale accompagnée des forces de l’ordre s’est présentée sur les terrains du refuge pour soulager de la charge de gardiennage et d’entretien des équidés, les dirigeants ont compliqué voir empêché l’action, y compris en faisant mordre les animaux visés par leur chien. Force est de constater que la qualité n’est ici nullement remise en cause. Toutefois, cause commune, ne signifie pas toujours communauté de causes. Si les associations ne sont pas remises en cause dans leur atours contractuels (la cause défendue et le but recherché) c’est bien leur pilotage qui peut devenir source de déviance.

Peut-être un prochain trait de caractère que le véhicule associatif devra justifier lors du contrôle opéré pour lui conférer la qualité de porteur à l’occasion d’une action de défense d’une cause sans voix.

Nous avons pu voir ici l’expression nouvelle des limites de l’approche contractuelle du droit associatif lors qu’il est retenu au soutien de l’expression des grandes causes. Une nouvelle fois, constat est fait que l’élasticité du droit associatif, tant interne qu’européen, est éprouvée parfois au-delà de son point de rupture. D’un référencement judiciaire uniquement patrimoniale des victimes et acteurs audibles, peut-être est-il temps de songer à la viabilité d’une approche systémique englobante de l’ensemble des acteurs qui composent notre environnement ?  

  • 1 CEDH, affaire Association Innocence en Danger et Association Enfance et Partage c. France, 4 juin 2020, N° 15343/15.
  • 2 J.-P. Marguénaud, D. recueil, 11 avril 2024, n° 14/8035, l’abattage rituel avec étourdissement réversible, au sujet de CEDH, affaire Executif Van de Moslims Van België c/ Belgique, 13 février 2024.
  • 3 CEDH, Aksu c. Turquie [GC], nos4149/04 et 41029/04, §§ 50‑51, CEDH 2012.
  • 4 Voir Mutadis mutandis, CEDH, Albert et autres c. Hongrie [GC], no 5294/14, § 121, 7 juillet 2020.
  • 5 CEDH, Gorraiz Lizarraga et autres, précité, § 38, et Yusufeli İlçesini Güzelleştirme Yaşatma Kültür Varlıklarını Koruma Derneği c. Turquie (déc.), no 37857/14, § 39, 7 décembre 2021 ; D. Recueil Dalloz, 18 avr. 2024, n°15/8036.
  • 6 CEDH, Mansur Yalçın et autres c. Turquie (no 21163/11, § 40 in fine, 16 septembre 2014.
  • 7 CEDH, Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 47, CEDH 2013.
  • 8 CEDH, Senator Lines GmbH c. Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Espagne, Suède et Royaume-Uni (déc.) [GC], no 56672/00, CEDH 2004‑IV.
  • 9 CEDH, Di Sarno et autres c. Italie, no 30765/08, § 80, 10 janvier 2012.
  • 10 CEDH, Carême C/ France, [GC], 9 avr. 2024, n° 7189/21.
  • 11 CEDH, GC, Duarte Agostinho c/ Portugal et 32 autres, 9 avr., 2024, n° 39371/20.
  • 12 CEDH, Besseau et autre c. France (déc.), no 58432/00, 7 février 2006.
  • 13 CEDH, Greenpeace e.V. et autres c. Allemagne (déc.), no18215/06, 12 mai 2009.
  • 14 CEDH, Yusufeli İlçesini Güzelleştirme Yaşatma Kültür Varlıklarını Koruma Derneği c. Turquie (déc.), no 37857/14, § 39, 7 décembre 2021.
  • 15 CEDH, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie[GC], no 47848/08, § 105, 2014.
  • 16 F. Gélinas, Les cahiers du droit, Le locus standi dans les actions d’intérêt public et la relator action : l’empire de la common law en droit québécois, Volume 29, numéro 3, 1988.
  • 17 Gorraiz Lizarraga et autres, Op. Cit. , § 38.
  • 18 CEDH, Affaire Vides Aiizardzibas Klubs c. Lettonie, Requête n° 57829/00, 27 mai 2004, définitif le 27/08/2004.
  • 19 CEDH, Affaires Thorgeir Thorgeirson c. Islande, 25 juin 1992, série A N°239, p. 27, #63; Goodwin c. R.-U., 27 mars 1996, Recueil 1996-II, p. 500, #39, et Bladet Tromso et Stensaas c. Norvège, n°21980/93, #59, CEDH 1999-III ; qualification de la presse comme le « chien de garde » de la démocratie.
  • 20 CEDH, Affaire VAK, op. cit., n°42.
  • 21 CEDH Affaire VAK, op. cit., n° 36, 40 b, 40 b, 42, 42.
  • 22 CEDH, Affaire Mamére c. France, 7 nov. 2006 ; Légipresse n° 239, mars 2007, III, p. 34, comm. H. Leclerc; D.2007.1704, note J-P Marguénaud.
  • 23 Convention E.D.H., article l0§2, Liberté d'expression.
  • 24 Voir Mutadis mutandis, CEDH, Affaires Steel et Morris, Op. Cit., et Prager et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995.
  • 25 CEDH, Affaire Peta Deutschland v. Germany, 8 novembre 2012 (final 18 mars 2013), n° 43481/09.
  • 26 CEDH, Affaire, Peta Deutschland v. Germany, Op. Cit., n° 46.
  • 27 CEDH, Affaire, Offer and Annen v. Germany, 13 janvier 2011, (final 20 juin 2011), nos. 397/07 and 2322/07
  • 28 People for the Éthical Treatment of Animals.
  • 29 CEDH, Affaire, Peta Deutschland v. Germany, Op. cit., n° 7.
  • 30 CEDH, Affaire Tierbefreier E.V. v. Germany, 16 janvier 2014, n° 45192/09.
  • 31 CEDH, Affaire, Tierbefreier E.V. v. Germany, Op. Cit., n°56.
  • 32 CEDH, Affaire, Beyeler c. Italie, 5 janvier 2000, n° 33202/96, # 107 ; CEDH, Affaire, Aliniae et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine, 16 juillet 2014, n° 60642/08, #108. 
  • 33 CEDH, Affaire Atoll C. Suisse, 10 déc. 2007, n° 69698/01, # 112 ; CEDH, Affaire, Pentikäinen c. Finlande, 20 octobre 2015, n° 1182/10, # 90.
  • 34 C. cass., Civ. 1ère, 8 février 2023, 22-10.542, inédit, #15. 
  • 35 CEDH, Affaire, Young James et webster Ctre R.U., rapport de la commission, 1981, #167.
  • 36 Voir mutadis mutandis, au sujet de l’expulsion de membres : CEDH, affaire Lovric ctre Croatie, n° 38458/15
  • 37 Cass. civ. 3, 16-03-1994, n° 91-16.513, FP-B, Rejet.
  • 38 CEDH, Affaire Chassagnou et autres ctre France, n° 25088/94, 28331/95 et 28443/95, 29 avr. 1999. 
  • 39 J.-P. Marguénaud, Op. Cit., au sujet de CEDH, affaire Executif Van de Moslims Van België c/ Belgique, 13 février 2024.
  • 40 Association Intercommunale de Chasse Agrée Fusionnée.
  • 41 CA, Besançon, 8 mars 2022, n° 2°/01147.
  • 42 Code de l’environnement, article L. 422-4, alinéa 2.
  • 43 CEDH, Affaire Associated Society of Locomotive Engineers and Firemen (ASLEF) vs The united Kingdom, 27/05/2007, n° 11002/05.  
  • 44 C. de l’environnement, art. 422-10-5.
  • 45 CEDH, Affaire Chabauty ctre France, 4 oct. 2012.
  • 46 CEDH, Décision Ernest Dennis Cheall C/ Royaume Uni, 13 mai 1985, n° 10550/83.
  • 47 F. Mayaux, Juris Association, Lorsque les frontières se brouillent : le risque de banalisation, 1er Avril 2024, n°696.
  • 48 CA Paris, 30 mars 2018, N° 17/07421.
  • 49 Cass. Com., 16 févr. 2022, n° 20-13.542.
 

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