Dossier thématique : Points de vue croisés

Chats, sorcières et Moyen Âge : sur les traces de l’origine d’un lien tant fictif que puissant

  • Claudia Tassone
    Doctorante en littérature française du Moyen Âge
    Université de Zurich / Sorbonne Université
  1. La conception du chat au Moyen Âge continue de fasciner l’imaginaire de nos jours. Le web pullule d’articles autour de ce sujet, qui mettent souvent en relief le caractère diabolique du chat médiéval par son association avec le Malin1. En fait, en littérature comme dans le monde du spectacle contemporains, le chat est souvent lié à la figure de la sorcière, et la croyance reste établie qu’il s’agit d’un lien dont les origines sont à rechercher dans l’époque médiévale. Pour ne mentionner qu’un exemple de l’association chat-sorcière dans l’art contemporain, il suffit de penser au célèbre cycle des sept livres d’Harry Potter par J.K. Rowling, parus entre 1997 et 2007 et cinématographiés en huit films entre 2001 et 2011. Ce sont les animaux qui introduisent le lecteur dans le monde paranormal du conte, à savoir les chouettes, les hiboux et « un chat qui lisait une carte routière »2. Quelques pages plus tard, on apprend que ce chat est en réalité une femme métamorphosée, une des enseignantes de l’école de magie et de sorcellerie où se dérouleront la plupart des aventures du protagoniste. Dans cet univers fantastique souvent médiévalisant, les chats font également partie des animaux que les élèves peuvent emporter avec eux à l’école, ce qui remonte indubitablement à la figure des animaux dits familiers censés accompagner surtout les sorcières britanniques à partir du xvie siècle3. La métamorphose de l’enseignante de sorcellerie a, elle aussi, ses racines dans une longue et ancienne tradition, que nous nous proposons d’analyser dans cette contribution à l’aide des premiers procès de sorcellerie et de quelques-uns des traités démonologiques les plus importants4.
  2. La croyance selon laquelle l’association chat-sorcière a ses racines au Moyen Âge n’est vraie qu’en partie, puisque la chasse aux sorcières, souvent associée par l’imaginaire commun à la totalité de cette longue époque, est en réalité un phénomène qui n’en caractérise que la toute fin, sinon le début de la période considérée généralement comme bien plus « lumineuse » qu’est la Renaissance. Ce qui caractérise les derniers siècles du Moyen Âge, à partir au moins du xiie siècle, est plutôt la persécution des hérésies, où l’on peut toutefois reconnaître les éléments précurseurs de la chasse aux sorcières, soit dans les méthodes d’interroger les suspects, soit dans la façon de les punir pour extirper le péché par eux commis, mais aussi dans certains mythes et croyances tournant autour des hérésies elles-mêmes. Certaines hérésies sont ainsi associées à la figure du chat, dont l’on pensait que le diable assumait souvent la forme pour se manifester à ses fidèles et dont l’origine est probablement à rechercher dans le folklore5. Parmi les premières mentions du chat dans un contexte de condamnation des hérésies, on trouve par exemple la représentation des Patarins comme adorateurs d’un démon qui se manifeste sous forme de chat dans le De nugis curialium de Gautier Map (1180-1182), ou l’explication étymologique proposée par Alain de Lille du nom des Cathares, dérivant du chat (cato) qu’eux aussi étaient accusés d’adorer. En 1233, la bulle pontificale du pape Grégoire IX Vox in Rama décrit le rite d’initiation des hérétiques allemands qui comprend, entre autres, l’hommage à un grand chat noir, et au début du xive siècle, les Templiers persécutés par Philippe le Bel sont eux aussi contraints d’avouer l’adoration du chat parmi leurs nombreux crimes. En 1321, dans son Manuel de l’inquisiteur Bernard Gui décrit un chat qui asperge son entourage d’un liquide sortant de son postérieur, dans une sorte de baptême perverti des hérétiques6.

  3. Cet imaginaire du chat diabolique, maître des sectes hérétiques, a sûrement influencé les aveux des premières personnes accusées de sorcellerie, qui, contrairement à ce que l’on pense communément, étaient aussi bien des hommes que des femmes. De la sorte, le chat a été tiré de la sphère des hérésies pour entrer définitivement dans celle, plus tardive, de la sorcellerie. Ailleurs, nous avons étudié vingt-sept parmi les premiers procès intentés contre des sorciers et sorcières présumés, dont les rapports sont contenus dans le registre Ac 29 des Archives cantonales vaudoises et ont été publiés dans les Cahiers lausannois d’histoire médiévale7. De notre analyse l’on peut retenir le fait que vingt-quatre accusé-e-s ont avoué avoir vu le diable, sous une forme humaine ou alors dans les semblances d’animaux différents, tels « un veau, un mouton, un lézard, un ours, une jument, un loup, deux renards, deux bêtes indéfinies, noires et cornues, trois chiens et bien douze chats »8, ce qui confirme le pouvoir imaginatif de l’association du petit félin avec le monde diabolique déjà en cette fin du Moyen Âge. Les résultats de notre analyse se laissent schématiser dans le tableau suivant :

 

Ce tableau met en évidence la progression chronologique et le sexe de la personne sous procès, pour voir s’il y a une relation entre ces facteurs et la semblance féline censée avoir été prise par le diable. Ce que l’on semblerait pouvoir retenir est que la forme animale du diable est évoquée par presque tous les accusés sur toute la longueur du siècle entre le premier et le dernier procès, tandis qu’à partir du procès de 1484, tout le monde avoue avoir rencontré le diable sous forme humaine. Les semblances félines sont mentionnées dans la moitié des rapports, avec une possible diminution à partir de 1498. Des quatre procès qui nous sont connus de cette année, seuls les deux intentés à des femmes renvoient à un chat-diable. Une telle relation ne semble pas concerner les décennies précédentes, car des douze diables félins évoqués dans les vingt-quatre procès, sept sont nommés par des hommes et cinq par des femmes. L’on pourrait alors supposer que le lien entre le chat et les sorcières femmes se renforce au tournant du xvie siècle, mais les chiffres dont nous disposons sont trop réduits pour l’affirmer avec certitude. Pour avoir des résultats plus parlants, il faudrait interroger un grand nombre d’autres procès, les suppositions que nous venons de faire pouvant d’ailleurs n’être que le fruit du hasard dû à l’assemblage factice du registre Ac 29.

  1. Ce qui semblerait plus certain est en revanche le fait que la capacité de se métamorphoser en chat est attribuée, en dehors du diable, aux femmes. Il s’agit d’un des traits principaux de la figure de la sorcière telle qu’elle se construit dès le début du xve siècle. Les témoignages portant sur une telle habilité métamorphique sont plus tardifs que ceux du chat maître du sabbat, l’un des premiers témoignages concrets de ce type se rencontrant dans la prédication du frère franciscain Bernardin de Sienne, notamment en 1427 et en 1443, lorsqu’il rappelle le cas de la femme romaine Finicella, l’une des premières femmes condamnées au bûcher pour sorcellerie. Il s’agit d’un évènement qui a eu lieu à Rome en 1426 (ou, selon une autre reconstruction chronologique de l’activité du frère, en 1427)9, lorsque Bernardin de Sienne se trouvait et prêchait dans la capitale. Comme lui-même l’affirme dans son cycle de prédication siennois de 1427, plusieurs sorcières et enchanteurs furent accusés à la suite de ses sermons romains (« furono acusate una moltitudine di streghe e di incantatori »), parmi lesquels Finicella qui confessa, apparemment sans torture, avoir tué trente enfants en suçant leur sang (« E fune presa una fra l’altre, la quale disse e confessò senza niuno martorio, che aveva uccisi da XXX fanciulli col succhiare il sangue loro »). Après avoir prononcé les noms de ses victimes, Finicella avoua avoir employé des onguents, préparés avec des herbes cueillies pendant la Saint-Jean et le jour de l’Assomption, pour changer son corps en celui d’une chatte (« E disse del modo come ella andava innanzi dì in su la piazza di Santo Pietro, e ine aveva certi bossogli d’onguenti fatti d’erbe che erano colte nel dì di santo Giovanni e nel dì de la Asunzione. […] E dicevano che con essi s’ognevano, e così come erano onte, lo’ pareva essare gatte »)10. Seize ans plus tard, Bernardin revient sur cette affaire pendant son oraison à Padoue connue sous le nom de Seraphim, où il ajoute de nouveaux détails sur le cas, rassemblant tous les stéréotypes de la sorcière11. À propos de la transformation féline, il répète que Finicella avait confessé avoir tué les enfants en compagnie d’autres femmes, toutes sous la forme de chats (« et propter conscientiam ibant et occidebant illo modo pueros, et dicebat quod capiebant formam gatarum »)12.

  2. Cependant, le frère franciscain reste toujours convaincu du fait que ces métamorphoses ne sont pas réelles, mais qu’elles sont au contraire le fruit des illusions du diable agissant sur la conscience de ses suivantes. Cette conviction, qui remonte à saint Augustin (nous y reviendrons), caractérise déjà ses oraisons préalables à l’affaire Finicella. Lorsque, dans ses homélies florentines de 1424, il « dresse la première description de la croyance aux sorcières »13, il affirme dans l’oraison XXXVIII que personne n’a la capacité de changer de forme, devenant une chatte, une chèvre ou un autre animal, comme le croient en revanche les femmes bestiales (« E nota delle streghe, che niuna persona si può mutare in altra spezie si sia, o di gatta, o di capra, o d’altro animale come la bestialità delle donne si dànno a credere »). C’est le démon, dit-il, qui fait croire à la mauvaise femme qu’elle accomplit des actions de sorcière sous forme de chatte, tandis qu’en réalité elle est en train de dormir dans son lit (« El dimonio fa parere a quella mala femmina ch’ella diventi gatta e vada stregonando, ma ella si sta nel letto suo »)14. La femme retient pourtant sa métamorphose comme un fait accompli, possible parce qu’elle s’est enduite d’onguents au pouvoir magique, comme le frère l’explique un an plus tard dans sa prédication XLI à Sienne, où « il réaffirme que la sorcière n’est pas un être doté de pouvoirs surnaturels »15 : beaucoup de personnes, soutient-il, préparent des onguents dont elles s’enduisent et sont convaincues de devenir des chattes, parce que c’est ce que le diable leur fait penser (« So’ molte persone che faranno uno unguento e ongonsi, e così dicono e credono essere come gatta, però che ’l diavolo lo’ dimostra così, e loro il credono »). Dans cette oraison, le prédicateur dévoile la stratégie du diable, le vrai actant : c’est lui qui se rend chez ses victimes pour en boire le sang, mais il fait en sorte que sa suivante endormie rêve ces scènes, se convaincant d’avoir accompli ces actions elle-même (« El diavolo va al fanciullo, e per li peccati del padre pigliarà el fanciullo e berassi el suo sangue. […] E così se beie sangue, pure le pare avere bevuto sangue e parle essere stata bestia […]. A la strega le pare muovare e non si muove »). Ainsi, Bernardin peut répéter le principe de l’immuabilité de la nature humaine : « E però sappi che mai la natura de l’uomo non si muove in altra spezie »16. Pourtant, il « ne réfute pas l’existence des onguents, mais il leur attribue de puissants effets soporifiques », de manière que « le démon investit les rêves de cette femme scélérate et la convainc qu’elle est une sorcière »17.

  3. La même conviction se retrouve dans les prédications du franciscain successives au procès de Finicella. Dans la prédication siennoise de 1427, il répète comment le diable trompe les femmes qui font du mal en leur faisant croire qu’elles sont des chattes (« Dicono che il diavolo può ingannare queste femine, quando fanno tanto male, e così le inganna, che come so’ onte, lo’ pare a loro medesime essare diventate come gatte, e par lo’ andare ne le case a quelli fanciullini, e succhiar lo’ il sangue e guastarli e disertarli »), et il ajoute une explication supplémentaire sur la stratégie qu’il emploie : non seulement ces femmes endormies pensent sucer le sang des enfants dans leurs maisons, mais plusieurs personnes ont été témoins de ces faits et ont blessé le chat qui s’était introduit chez eux pour nuire à leurs petits (« Elli so’ stati già di quelli che hanno veduta la gatta quando va a fare queste cose ; e tali so’ stati tanto preveduti, che hanno auto qualche cosa in mano e arandellato a quella gatta, e talvolta l’hanno gionta. E di quelle so’ state, che hanno riceuta tal percossa, che hanno rotta la gamba »). En réalité, c’est le démon lui-même qu’ils ont vu et blessé (« e non è vero che elleno sieno loro, ma è il diavolo propio »). Pour rendre l’illusion plus crédible, celui-ci fait toutefois passer la blessure au corps de la femme : « E a chi credi che sia rimasa la percossa ? Pure a la femina indiavolata, none al diavolo. E in questo modo l’uno inganna l’altro. Gli occhi di tali femine so’ ingannati per la malizia loro e par lo’ essere quello che elle non so’ »18. Ceci rappelle une oraison du frère de 1423, qui nous est parvenue dans la reportatio de Daniele de Purziliis : déjà à l’époque, Bernardin avait parlé de l’existence de certaines vieilles femmes convaincues de s’être introduites dans les maisons d’autrui sous une forme féline et d’avoir été blessées, puisque le diable qui leur donnait cette illusion leur avait également cassé la jambe, afin que le lendemain l’homme qui avait frappé le chat les reconnût en tant que sorcières19. Nous avons vu que, dans le Seraphim de 1443, le frère revient sur l’affaire romaine, ajoutant des détails fondamentaux pour la croyance aux sorcières. À propos de la métamorphose en chatte, il affirme à nouveau qu’il ne s’agit pas de la réalité mais de l’illusion du diable (« et non est verum quod stant tales in domo sua et dyabolus dat sibi soporem profundum et dat sibi illusiones quod videtur quod capiant forma gate et vadant faxinando pueros »)20. Il ajoute ensuite que les suivantes du démon sont également convaincues d’avoir bu, mangé et commis des péchés liés à la luxure, tandis que le diable s’approche des berceaux sous la forme de chat et boit le sang des enfants (« Videtur eis quod bibant et comedant, luxurientur et multa fantasmata sibi apparent et dyabolus capit formam gate et vadit ad cunabula pueri et sugit puero unam venam post caput et sugit sanguinem pueris illo modo »)21.

  4. La négation du prédicateur de la réalité de la métamorphose, un pouvoir de la Création qui appartient uniquement à Dieu, remonte à la pensée de saint Augustin, diffusée par le Canon episcopi, un texte du xe siècle qui peut être considéré comme la base de l’imaginaire des sorcières22, dont Bernardin de Sienne s’inspire. Dans le De civitate Dei, saint Augustin forge la notion de phantasticum, à savoir « le double fantastique de l’homme », c’est-à-dire « la projection qu’un homme a de lui lorsqu’il est plongé dans un sommeil extrêmement profond »23 ; cette projection peut bouger dans l’espace et peut même être vue par d’autres personnes mais, étant de nature aérienne, ne peut pas apporter de modifications à son environnement, ce que sera fait par l’intervention du démon, qui crée des illusions dans la personne endormie24. Même si Bernardin de Sienne ne mentionne pas explicitement cette notion peut-être « trop complexe pour ses ouailles »25, celle-ci justifie le procès contre Finicella, depuis ce que l’accusée elle-même pense avoir fait jusqu’aux témoignages des pères de famille convaincus d’avoir pris la sorcière métamorphosée en flagrant délit et de l’avoir blessée. Des contemporains du frère franciscain se penchent également sur cette question. Giovanni da Capestrano énumère parmi les nombreux crimes des sorcières (et des sorciers) le fait qu’elles se transforment en chattes ou en souris pour sucer le sang des enfants dans leurs berceaux et les tuer (« enim se nonnumquam transformari in gactam sive murilem et auferre de cuna infantulum cui sanguinem bibere et sic mactare »)26. Lui aussi souligne le caractère illusoire de la métamorphose27. Dans son traité De aegritudinibus capitis, le médecin Antonio Guaineri rationalise la croyance en la métamorphose féline, avec tous les crimes qui y sont associés, expliquant qu’il s’agit d’illusions provoquées par les incubes28. Roberto Caracciolo, plus jeune que les deux clercs et le médecin de quelques générations, rebondit sur ces fausses croyances, rappelant encore une fois celle sur la capacité des sorcières de se métamorphoser en chat ou en d’autres animaux (« Hoc credendum est, licet striga reperiatur que ut musipula incedat et pueros destruat et aliquando inciditur sibi pes et in mane absque manu reperitur »)29. Les premières attestations de la métamorphose féline des femmes suspectées de sorcellerie nient ainsi leur capacité réelle de changer la forme de leur corps, expliquant que c’est le diable qui instaure en elles une telle illusion. Ce qui est pourtant paradoxal, c’est le fait que les prédicateurs, convaincus de l’irréalité de la mutation de la forme humaine, ont en même temps contribué à transmettre et renforcer une croyance dont les origines sont plutôt à rechercher dans le folklore30. On le voit par exemple dans un procès de peu postérieur à celui contre Finicella, et étroitement lié à l’activité de Bernardin de Sienne, le procès contre une autre Italienne qui fut jugée et condamnée à mort pour sorcellerie.

  5. Les premières accusations contre cette femme sont en fait attribuables à Bernardin de Sienne, qui en 1426 avait prêché en Ombrie, et notamment à Todi, où, deux ans plus tard, eut lieu le procès contre Matteuccia di Francesco, tenu par le capitaneus de la ville Lorenzo de Surdis et deux juristes31. Parmi les nombreux crimes imputés à la femme, elle fut réputée capable de se métamorphoser en chat. Sous cette forme (« in forma musipule »), elle aurait saigné les enfants dans leur berceau et se serait même rendue en vol à la réunion des sorcières, le stregatum, chevauchant le diable qui aurait à son tour assumé les semblances d’un bouc32. Ce qui semble ressortir de ce procès est une transition du caractère illusoire des actions de la sorcière vers un caractère considéré comme parfaitement réel33. Si dans les procès du registre Ac 29 des Archives cantonales vaudoises, commencés une dizaine d’années après le cas de Matteuccia da Todi, la capacité métamorphique est réservée au diable et il n’y est donc jamais question de la métamorphose des accusés34, le Malleus maleficarum (1486), connu en français comme Le Marteau des sorcières – « the infamous book on witchcraft that was used by officials for identifying witches by means of torture »35 – rapporte un épisode qui laisse entrevoir l’établissement d’une telle croyance à la fin du xve siècle. Ici, les éléments folkloriques tels le vol des sorcières et leurs métamorphoses passent à l’arrière-plan, mais deviennent des phénomènes considérés comme réels36. On le voit dans le fait « authentique » arrivé dans le diocèse de Strasbourg raconté par les inquisiteurs allemands Heinrich Institoris et Jacob Sprenger, auteurs du traité :

  6. « […] un ouvrier était un jour en train de couper du bois pour faire du feu. Un chat, et pas un petit, apparut pour l’ennuyer en se mettant devant lui ; il le chassa mais voilà qu’un autre plus gros arriva pour se joindre au premier et l’importuner davantage. De nouveau il voulut le chasser, mais ils étaient trois à revenir et à tenter de lui sauter au visage, cependant qu’ils lui mordaient aussi les jambes. Effrayé et, disait-il ensuite, plus inquiet que jamais, il fit le signe de la croix et, laissant son travail, il fonça sur les chats qui avaient grimpé sur le tas de bois, et cherchaient de nouveau à l’attaquer en lui sautant à la figure ou à la gorge ; avec difficulté il réussit à les chasser en frappant l’un à la tête, l’autre aux jambes et le troisième sur le dos. Or une heure après, alors qu’il avait repris son travail, deux agents du magistrat de la ville vinrent l’arrêter comme un malfaiteur pour le mener devant le bailli ou le juge. […] debout devant le juge, comme celui-ci ne voulait pas le regarder, le pauvre homme se jetant aux genoux des autres assistants, demanda qu’on révélât la cause de sa misère. Alors le juge explosa en ces termes : Toi, le plus scélérat des hommes, comment peux-tu ne pas reconnaître ton crime ? Tel jour, à telle heure, tu as blessé trois des matrones les plus considérées de cette ville, au point que maintenant, gardant le lit, elles ne peuvent ni se lever ni se déplacer. Réconforté un peu, le pauvre homme repensant au jour, à l’heure, à l’événement, se mit à dire : Dans ma vie, je n’ai jamais frappé ni blessé aucune femme ; que tel jour à telle heure j’étais en train de couper du bois, je le prouverai par des témoins dignes de foi ; d’ailleurs dans l’heure qui suivit, vos agents eux-mêmes me trouvèrent occupé à mon travail. Le juge entra de nouveau en fureur : Voilà, dit-il, comment il sait cacher son crime ! Et pourtant les femmes se plaignent des coups, en montrent les traces et affirment publiquement qu’il les a frappées. Le pauvre alors repensa davantage encore à l’événement : à cette heure, dit-il, je me souviens avoir frappé des créatures mais pas des femmes. Les assistants étonnés désiraient savoir quel genre de créatures il avait frappé. Lui alors raconta la chose à la stupéfaction de tous. Comprenant que c’était œuvre des démons, les juges ordonnèrent qu’on délivre le pauvre homme et qu’on le laisse aller sans lui faire de mal, en lui demandant de ne pas révéler la chose à qui ce soit »37.

  7. Un peu comme Bernardin de Sienne, les deux inquisiteurs s’interrogent sur la nature de ces aveux : « est-ce que là les démons apparurent dans ces corps assumés sans présence de sorcières ou bien est-ce que par un sortilège les sorcières dissimulèrent leur présence en prenant la forme de bêtes ? ». La conclusion à laquelle ils parviennent est toutefois opposée à celle du franciscain, acceptant l’explication de l’ouvrier par la vraie métamorphose des trois matrones : « On peut répondre pour conclure : bien que l’une et l’autre méthode soit au pouvoir du démon, on présume plutôt que ce fut selon la seconde voie. En effet quand les diables attaquèrent l’homme sous la forme de chats, ils pouvaient en un instant par mouvement local à travers les airs, transférer les femmes chez elles avec les blessures qu’elles avaient reçues (comme chats) des mains de l’ouvrier ; et cela, personne n’en doute, à cause du pacte antérieurement passé »38.

  8. Le motif d’origine folklorique de la sorcière transformée en chat a ainsi fini par influencer la littérature démonologique au-delà du Moyen Âge. L’anecdote du Malleus maleficarum est citée presqu’un siècle plus tard par le jurisconsulte Jean Bodin dans le chapitre VI de sa Démonomanie des sorciers, « De la lycanthropie et si le Diable peut changer les hommes en bestes ». La reprise de cette anecdote a la fonction d’exemple illustre, « pour confirmer le procés fait aux Sorcieres de Vernon, qui frequentoyent, et s’assembloyent ordinairement en un chasteau vieil et ancien en guise de nombre infiny de Chats ». Selon ce procès, « quatre ou cinq hommes » décidèrent une nuit de s’abriter dans ce château, mais « ils se trouverent assailliz de la multitude de chats. Et l’un des hommes y fut tué, les autres bien marquez », mais à leur tour ils « blesserent plusieurs chats, qui se trouverent apres muez en femmes, et bien blessees ». Dans ce cas précis, « d’autant que cela sembloit incroyable, la poursuyte fut delaissee »39. Remarquons que l’on peut isoler dans nos sources deux thématiques dans lesquelles se manifestent les témoignages des femmes-chats : la femme qui se transforme pour attaquer des enfants, telles Finicella et Matteuccia da Todi, et les femmes qui se transforment en groupe pour participer à une réunion de sorcières. Ce dernier motif semblerait se retrouver dans le cas rapporté par Jean Bodin où, étant donné le grand nombre d’agresseurs, les hommes assaillis étaient probablement tombés au milieu d’un sabbat. Similairement, au début du xviie siècle, le juge Henri Boguet raconte d’un homme « nommé Charchot du Bailliage de Gez [qui] fut assailly nuictamment en un bois par une multitude de chats : mais comme il eust fait le signe de la Croix, tout disparut » ; le juge fait suivre cette anecdote par une autre « de plus fraische mémoire », celle d’« un homme de cheval [qui,] passant sous le Chasteau de Joux, apperceut plusieurs chats sur un arbre » et y tire dessus par « une scopette, qu’il portoit », faisant « tomber de dessus l’arbre au moyen du coup de scopette un demicin40, auquel pendoyent plusieurs clefs ». Cet objet va s’avérer fondamental pour démasquer la femme-chat que l’homme a blessée. En fait, « [i]l prend le demicin et les clefs, et les emporte au village : estant descendu au logis, il demande à disner ; la maistresse ne se trouve point non plus que les clefs de la cave ». À ce point, l’homme « monstre le demicin, et les clefs qu’il portoit, l’hoste recogneut que c’estoit le demicin et les clefs de sa femme, laquelle arrive sur ces entrefaictes estant blessee an la hanche droite », ne pouvant donc plus nier ce qui s’était passé : « le mary la prent par rigueur, et elle confesse qu’elle venoit du sabbat, et qu’elle y avoit perdu son demicin, et les clefs aprés avoir receu un coup de scopette en l’une des hanches »41. Indirectement, elle avoue donc également sa métamorphose en chat, l’animal blessé par le cavalier.

  9. Au xviie siècle, la métamorphose des femmes en chats (ou en d’autres animaux) semble donc un phénomène dont la possibilité, réelle ou due à une illusion diabolique, est largement acceptée par les experts en démonologie. Ainsi, en 1613, le juge Pierre de L’Ancre, dans son deuxième livre du Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons, décrit le sabbat « comme une foire celebre de toutes sortes des choses, en laquelle aucuns se promenent en leur propre forme, et d’autres sont transformez […] en chiens, en chats, asnes, chevaux, pourceaux, et autres animaux », et deux livres plus tard il ajoute avoir appris par maintes confessions, « Que lors que les insignes sorcieres reviennent de leurs maudites assemblees, qu’elles se transforment en chat, en chien et en autres bestes semblables, pour effrayer ceux qu’elles trouvent par les chemins : et en partie aussi pour se faire mescognoistre »42. Cependant, la thématique de la femme qui se transforme pour tuer les enfants dans leurs berceaux ne disparaît pas complètement, mais est intégrée dans le contexte du sabbat. Dans le livre II du Tableau de l’inconstance, Pierre de L’Ancre explique que la sorcière trouble les sens de ses victimes, « leur ayant passé la main par le visage ou sur la teste, ou leur ayant baillé à manger quelque pomme ensorcelee et droguee, ou quelque morceau de pain de millet noir », pour aller « la nuict en forme de chat prendre et ravir l’enfant d’entre les bras des pere et mere, qui sont aussi ensorcelez et estourdis pendant que la sorciere est dans leur chambre, et ne se peuvent esveiller » ; d’ailleurs, une jeune fille « d’Ascain nommee Dojartzabal, aagee de quinze à seize ans », accusa une femme emprisonnée de l’avoir cherchée « dans son lict en forme de chat » pour l’emmener au sabbat, bien que sa mère veillât sur elle43. Dans le livre IV, Pierre de L’Ancre laisse entendre que les sorcières enlèvent les enfants pour les emmener au sabbat et en faire don au diable, la forme privilégiée pour ces enlèvements étant encore la forme féline : « Nous avons aussi le tesmoignage de plusieurs sorcieres qui confessent mener des enfants au sabbat, et d’un nombre infini d’enfans qui y sont menez. Que les sorcieres les vont querir la nuict en forme de chat jusques dans le lict : et les ayant tirez hors des bras des peres et meres, et hors la maison, elles reprennent leur forme »44. Le juge revient néanmoins à l’idée augustinienne de l’impossibilité de la mutation de la nature humaine. Son explication s’éloigne cependant de celle de ses prédécesseurs, l’actant étant la sorcière (ou le sorcier) elle-même et non pas le diable : « les transmutations qu’on lit des magiciens et sorciers, ne se font reellement et essentiellement, mais seulement en apparence, et avec prestige et illusion diabolique. Parce que le malin Esprit presse et espaissit tellement l’air à l’entour des corps des sorciers, que trompant nos sens, il les faict apparoir loups, chiens, chats et autres animaux. Il leur change pareillement (Dieu le permettant ainsi) la fantasie, et leur brouille en telle façon les sens interieurs, qu’ils croyent estre changez tout à faict en ces animaux, se voyans eux-mesmes en telle forme, et ayans des appetits brutaux, pour l’alteration que le Demon a faict de la complexion de l’homme »45.
  10. Ce tour d’horizon de quelques-uns des premiers procès de sorcellerie et des textes démonologiques les plus importants entre le xve et le xviie siècle nous montre la place privilégiée du chat comme alter ego du diable et de la sorcière, ce qui a en dernière instance influencé l’imaginaire commun tel qu’il est parvenu jusqu’à nos jours. Mais pourquoi, parmi tous les animaux diaboliques possibles, le chat a-t-il pu grimper au sommet de cette hiérarchie infernale ? Le choix du chat et de la chèvre, opéré par Bernardin de Sienne dans sa prédication florentine XXXVIII de 1424 pour nier les croyances folkloriques sur la transformation de la nature humaine, renvoie, selon Émilie Zanone, à la nature libidineuse des femmes puisque, dit-elle, il s’agit de « deux créatures diaboliques de la religion chrétienne, car elles vivent dans la promiscuité la plus honteuse »46. Pensons aussi que dans les oraisons que nous avons considérées, le prédicateur siennois parle plus généralement d’une gatta, un chat femelle, ce qui pourrait en effet appuyer l’hypothèse de la chercheuse, la libido étant, au Moyen Âge et au-delà, plus facilement attribuée à la sphère féminine que masculine. Cependant, Bernardin de Sienne ne donne pas d’explication sur son choix, et il faudrait donc justifier l’hypothèse d’É. Zanone à l’aide d’autres données. Bien que dans la littérature et d’autres sources médiévales le chat puisse aussi paraître comme un animal de compagnie, utile pour combattre l’action destructrice des souris, parfois même chéri et cajolé par ses propriétaires47, dans les documents traitant les hérésies et la sorcellerie il figure généralement comme un être négatif. Ainsi, Heinrich Institoris et Jacob Sprenger considèrent que le chat est idoine pour représenter le Malin, car il s’agit d’un animal perfide (« catti, quod animal perfidiorum est appropriatum signum »)48, sans pourtant en dire plus, et nous avons déjà vu qu’Alain de Lille lie étymologiquement la secte des Cathares au catus qu’ils étaient censés adorer. Similairement, le prédicateur allemand Berthold von Regensburg (1210-1272) souligne que tous les hérétiques (en allemand « Ketzer ») ont ce nom en relation au chat (en allemand « Katze »), et il en explique la raison : tous les deux se cachent dans les recoins, et tous les deux semblent doux comme des anges, tandis qu’ils polluent le corps et l’âme des gens49. En fait, le chat serait impur, car il est supposé lécher le venin des crapauds50. Les caractéristiques associées au chat par ces auteurs sont ainsi la perfidie, l’impureté, un caractère secret, presque clandestin, et la flatterie. Même les proverbes, où l’on reconnaît souvent la pensée d’une société, ne sont pas plus magnanimes à propos du chat, laissant transparaître l’image d’un animal paresseux, gourmand, égoïste, rusé et profiteur, des propriétés qui se trouvent aussi dans la littérature médiévale51. Si dans ces textes il n’est pas fait mention de la promiscuité, les adjectifs qui décrivent le félin sont assez négatifs pour justifier son inscription dans la sphère du diabolique.

  11. Voyons comme exemple conclusif comment le chat se présente chez Jean Wier, « un médecin qui croit à l’existence du diable » mais qui s’inscrit « en faux contre la croyance en la possibilité d’une sorcellerie "populaire", pratiquée par des femmes ignorantes et perverses », dénonçant « les effets d’une répression aveugle, et la confiance en des aveux obtenus sous la torture »52. La figure du chat revient dans au moins deux chapitres de son De Praestigiis daemonum, qu’il rédigea en latin en 1563 et qui fut traduit en français par Jacques Grévin six ans plus tard. Dans le climat d’un film d’horreur moderne, le chapitre 9 du troisième livre conte les tourments démoniaques soufferts par les religieuses de Wertet : elles entendent des voix étranges, sont tirées par les pieds de leur lit ou enlevées dans l’air par une force invisible, et commettent une série d’actions effrayantes, comme vomir un liquide noir, marcher « sur le devant des jambes, comme si elles n’eussent point eu de pieds », et monter « au haut des arbres, ainsi que chats ». Ici, nous n’avons pas proprement affaire à une métamorphose complète, le texte insistant sur le fait qu’il n’y eut « aucune mutation de leur corps », mais la comparaison de femmes « ensorcelées » au chat, et non pas à d’autres animaux, nous semble significative pour ce qui concerne la renommée du petit félin. En outre, l’auteur indique que la cause du tourment des religieuses fut attribuée à l’action d’une matrone de la ville, soupçonnée d’être une sorcière, qui aurait enfermé un chat noir dans une corbeille à l’intérieur du couvent. Ne partageant pas les soupçons de sorcellerie, Jean Wier attribue les supplices des religieuses à l’action du diable lui-même : « Même si le chat était naturel, il ne faut point douter que le diable ne l’eût mis en la corbeille : et certes je préférerais plutôt que ce fût le diable même sous la figure d’un chat »53. C’est encore au diable que le médecin attribue « les retirements des nerfs ou convulsions monstrueuses et innombrables, advenu[s] aux religieuses du couvent de Kentorp », dans le chapitre suivant. Dans ce cas-ci, le « diable parlait souventefois et beaucoup par la bouche des jeunes, lesquelles avaient l’esprit troublé », et il se manifestait à elles « en forme de chat noir, ou sous la fausse semblance d’Else Kamense, ou sous celle de sa mère, ou bien celle de son frère : tellement que toutes pensaient, mais faussement, que ces personnes fussent causes de leurs misères et cruels tourments »54.

  12. Même pour un auteur savant comme Jean Wier, sceptique pour ce qui concerne la chasse aux sorcières en vogue à son époque, et qui exclut la métamorphose de la forme humaine, il est pourtant possible que le diable lui-même se manifeste aux gens, et cela aussi sous forme féline. Si initialement le chat semble avoir partagé la nature diabolique avec plusieurs autres animaux, la figure du chat diabolique semble donc s’être frayée un chemin durant le passage des siècles, continuant à hanter l’imaginaire commun même dans une ère où le félin est devenu indubitablement l’un des animaux de compagnie les plus répandus et les plus aimés. C’est ainsi qu’a pu se consolider le lien chat-sorcière-Moyen Âge, à l’imaginaire puissant et captivant, même si, comme nous espérons l’avoir démontré ici, ce lien est quelque peu forcé, les procès de sorcellerie ayant commencé à la toute fin du Moyen Âge et le chat étant initialement associé aux hérétiques et au diable que ceux-ci étaient censés adorer, ne devenant un symbole de la sorcellerie que dans un deuxième moment. Cependant, grâce à la force imaginative de ce lien, nous pouvons encore rêver des chats dans le contexte des sabbats, d’enchantements, et en relation avec des femmes métamorphosées, dont nous trouvons les traces dans des documents d’autrefois, qui ont laissé une trace sombre dans notre histoire.

Mots-clés : chat, sorcières, diable, Moyen Âge, procès de sorcellerie, traités démonologiques

  • 1 Pensons par exemple au titre du Blog Gallica pour la journée internationale du chat, « Entre diabolisation et vénération : l’histoire des chats vue par Gallica ! », autrice : Nejma Omari ; https://gallica.bnf.fr/blog/08082021/entre-diabolisation-et-veneration-lhistoire-des-chats-vue-par-gallica?mode=desktop ou à l’ouverture de l’article sur les chats au Moyen Âge dans la World History Encyclopedia : « Au Moyen Âge, les chats étaient généralement désapprouvés, considérés comme, au mieux, des nuisibles utiles et, au pire, des agents de Satan, en raison de l’Église médiévale et de son association des chats avec le mal » (Joshua J. Mark, « Les Chats au Moyen Âge », traduit par Babeth Étiève-Cartwright, World History Encyclopedia, publié le 20 mai 2019, https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1387/les-chats-au-moyen-age/. D’autres sources en lignes, pas académiques, ouvrent le sujet en thématisant la mauvaise réputation des chats au Moyen Âge, par exemple : « Au Moyen Âge, les chats avaient mauvaise réputation. En effet, ils étaient associés à la sorcellerie et au paganisme » : « L’histoire des chats au Moyen Âge. Superstition, royauté, religion... », https://dailygeekshow.com/chats-moyen-age/. Liens consultés le 30.04.2024.
  • 2 J. K. Rowling, Harry Potter à l’école des sorciers, traduit de l’anglais par Jean-François Ménard, illustrations de Jim Kay, Paris, Gallimard, 2020 (20151), p. 2.
  • 3 Cf. James Sharpe, « Familiars », in Encyclopedia of Witchcraft. The Western Tradition, ed. Richard M. Golden, Santa Barbara, ABC-Clio, 2006, vol. 2, p. 347-49.
  • 4 Ces traités sont rassemblés et analysés in Nicole Jacques-Lefèvre, Histoire de la sorcellerie démoniaque. Les grands textes de référence, Paris, Honoré Champion, 2020.
  • 5 Pensons que le folklore, les mythes, les légendes et les fables « do not tell of objective, but of psychic, events, and though such beliefs may not be true about the animal, they are certainly accurate in their description of what the cat meant to people, and still means to many of us today » (Patricia Dale-Green, Cult of the Cat, London-Melbourne-Toronto, Heinemann, 1963, p. 142). Pour ce qui concerne la datation, l’on peut dire avec Laurence Bobis, que « la diabolisation du chat est en marche dès la deuxième moitié du xiie siècle » (Laurence Bobis, Une histoire du chat : de l’Antiquité à nos jours, Paris, Seuil, 2006, p. 208).
  • 6 Il s’agit de témoignages bien connus par la critique. Nous en avons traité plus en détail dans Claudia Tassone, « Le chat et la sorcière. Des premières attestations de l’adoration du chat-diable jusqu’au chat des procès de sorcellerie et des traités de démonologie », Reinardus, 31 (2019), p. 182-200, p. 184 ss. Il se pourrait que la renommée du chat ait empiré suite à la pandémie de peste du milieu du xive siècle, les chats étant considérés comme des transmetteurs de la maladie (cf. E. Fuller Torrey, Parasites, Pussycats and Psychosis. The Unknown Dangers of Human Toxoplasmosis, Springer, Cham, 2022, p. 34).
  • 7 À savoir : Pierre-Han Choffat, La Sorcellerie comme exutoire. Tensions et conflits locaux : Dommartin 1524-1528, Lausanne, Université de Lausanne, Section d’Histoire, 1989 ; Martine Ostorero, Folâtrer avec les démons : sabbat et chasse aux sorciers à Vevey (1448), Lausanne, Université de Lausanne, Section d'Histoire, 1995 ; Eva Maier, Trente ans avec le diable. Une nouvelle chasse aux sorciers sur la Riviera lémanique (1477-1484), Lausanne, Université de Lausanne, Section d’Histoire, 1996 ; Laurence Pfister, L’Enfer sur terre. Sorcellerie à Dommartin (1498), Lausanne, Université de Lausanne, Section d’Histoire, 1997 ; Georg Modestin, Le Diable chez l’évêque. Chasse aux sorciers dans le diocèse de Lausanne (vers 1460), Lausanne, Université de Lausanne, Section d’Histoire, 1999 ; Martine Ostorero, Agostino Paravicini Bagliani, Kathrin Utz Tremp, L’Imaginaire du sabbat : édition critique des textes les plus anciens (1430 c. - 1440 c.), en collaboration avec Catherine Chêne, Lausanne, Université de Lausanne, Section d’Histoire, 1999 ; Martine Ostorero, Kathrin Utz Tremp, Inquisition et sorcellerie en Suisse romande : le registre Ac 29 des Archives cantonales vaudoises (1438-1528), en collaboration avec Georg Modestin, Lausanne, Université de Lausanne, Section d’Histoire, 2007.
  • 8 Tassone, « Le chat et la sorcière », art. cit., p. 193.
  • 9 Nous tirons la date de 1426 de Marina Montesano, Classical Culture and Witchcraft in Medieval and Renaissance Italy, Cham, Palgrave Macmillan, 2018 (Palgrave Historical Studies in Witchcraft and Magic), p. 163. Émilie Zanone situe au contraire l’évènement en 1427, reprenant la chronologie « établie par Fr. D. Pacetti et C. Ginzburg » (Émilie Zanone, « De l’attente du jugement divin aux bûchers : le stéréotype de la sorcière dans la prédication en langue vulgaire de Bernardin de Sienne », Cahiers d’études italiennes, 15 (2012), p. 67-97, p. 68, n. 4).
  • 10 Bernardino da Siena, Prediche volgari sul Campo di Siena 1427, 2 vols., a cura di Carlo Delcorno, Milano, Rusconi, 1989, vol. 2, p. 1007-9 (pr. XXXV).
  • 11 Cf. Marina Montesano, "Supra acqua et supra ad vento", "Superstizioni", maleficia e incantamenta nei predicatori francescani osservanti (Italia, sec. XV), Roma, Istituto Storico Italiano per il Medio Evo, 1999, p. 135, et Ead., Classical Culture and Witchcraft, op. cit., p. 165.
  • 12 Transcription de Marina Montesano de Bernardino da Siena, Seraphim, Bergamo, Biblioteca civica Angelo Mai, Codice Delta V. 23, f. 19r-257v, f. 171r-173v (pr. XXVII), in Montesano, "Supra acqua et supra ad vento", op. cit., p. 137. La chercheuse propose une traduction anglaise du passage in Ead., Classical Culture and Witchcraft, op. cit., p. 166.
  • 13 Zanone, « De l’attente du jugement divin aux bûchers », art. cit., p. 70.
  • 14 Bernardino da Siena, Le prediche volgari. Quaresimale fiorentino del 1424, éd. Ciro Cannarozzi, Pistoia, Pacini, 1934, 2 vols., vol. II, p. 169 (pr. XXVIII).
  • 15 Zanone, « De l’attente du jugement divin aux bûchers », art. cit., p. 73.
  • 16 Bernardino da Siena, Le prediche volgari. Predicazione del 1425 a Siena, éd. Ciro Cannarozzi, Firenze, Rinaldi, 1958, 2 vols., vol. II, p. 278-79 (pr. XLI).
  • 17 Zanone, « De l’attente du jugement divin aux bûchers », art. cit., p. 73-74.
  • 18 Bernardino da Siena, Prediche volgari, éd. Delcorno, op. cit., vol. 2, p. 1009-10 (pr. XXXV).
  • 19 « Sunt enim aliquae vetulae, quae credunt se ire cum Zobiana, vel in cursu, quia diabolus faciet sic sibi apparere in somnis, quod efficiatur una felis, et tamen non erit verum, quia diabolus transformabit se in unam felem, et in apparentia felis intrabit cameram, et pater familias habens puerum credit quod sit una striga, et surgens percutiet felem, et videbitur sibi fregisse tibiam felis et deinde diabolus faciet frangi tibiam illi vetulae, et in crastino tam illa pater familias quam illa vetula credent esse vera, et erunt illusiones diabolicae » (Bernardino da Siena, « ‘Seraphim’ Paduae an. 1423 reportatum a Daniele De Purziliis », in Opera omnia, 3 vols., ed. Joannis De La Haye, Paris, 1645, vol. 3, p. 198 ; cf. Montesano, Classical Culture and Witchcraft, op. cit., p. 159). La reportatio est une sorte de rapport écrit de façon abrégée par un tiers lorsqu’un prédicateur était en train de prêcher à ses ouailles (cf. ibid., p. 139).
  • 20 Transcription de M. Montesano de Bernardino da Siena, Seraphim, Bergamo, Biblioteca civica Angelo Mai, Codice Delta V. 23, f. 19r-257v, f. 171r-173v (pr. XXVII) ; « but it was not true, because they stay in their houses, and the devil makes them sleep deeply, and deludes them into thinking that they take the shape of cats and go about fascinating children » (trad. d’Ead., Classical Culture and Witchcraft, op. cit., p. 166).
  • 21 « They are also persuaded to drink and eat, commit luxurious sins and other phantasies, while the devil, changed into a cat, approaches the cradles of children and sucks their blood from a vein on their heads » ; ibid.
  • 22 Cf. Marco Frenschkowski, Die Hexen. Eine kulturgeschichtliche Analyse, Wiesbaden, Marixverlag, 2012, p. 72.
  • 23 Zanone, « De l’attente du jugement divin aux bûchers », art. cit., p. 84 ; cf. Sancti Aurelii Augustini episcopi, De civitate Dei. Libri XXII, 2 vols., éd. Bernardus Dombart et Alfonsus Kalb, Stutgardiae, B. G. Teubner, 1981 (5e éd.), vol. II, liber XVIII, caput XVIII (« Quid credendum sit de transformationibus, quae arte daemonum hominibus videtur accidere »), p. 277-80. Cf. aussi Laurence Harf-Lancner, « La métamorphose illusoire. Des théories chrétiennes de la métamorphose aux images médiévales du loup-garou », Annales (Économie, Société, Civilisation), 1 (Janvier-février 1985), p. 208-26.
  • 24 Cf. Zanone, « De l’attente du jugement divin aux bûchers », art. cit., p. 84-85.
  • 25 Ibid., p. 86.
  • 26 Transcription de M. Montesano de Giovanni da Capestrano, Tractatus de confessione, L’Aquila, Convento O.F.M., Codice XVII di Capestrano, cc. 242r-352v, 304v, in Montesano, Classical Culture and Witchcraft, op. cit., p. 160.
  • 27 Cf. ibid., p. 159 et Montesano, "Supra acqua et supra ad vento", op. cit., p. 125.
  • 28 Cf. Montesano, Classical Culture and Witchcraft, op. cit., p. 155-56.
  • 29 Cf. ibid., p. 160, et aussi Roberto da Lecce, Quaresimale padovano : 1455, éd. Oriana Visani, Padova, Ed. Messaggero, p. 209. Le terme “musipula” signifie « Catus, felis » (« Musipula » par C. du Cange, 1678), dans du Cange, et al., Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. augm., Niort : L. Favre, 1883‑1887, t. 5, col. 557c. http://ducange.enc.sorbonne.fr/MUSIPULA), et est proche du mot « musio », généralement employé par les encyclopédistes médiévaux, tels Isidore de Séville ou Thomas de Cantimpré, pour désigner le chat.
  • 30 C’est ce que remarque également M. Montesano (cf. Ead., "Supra acqua et supra ad vento", op. cit., p. 132).
  • 31 Cf. Montesano, Classical Culture and Witchcraft, op. cit., p. 174.
  • 32 Cf. ibid., p. 176 et Montesano, "Supra acqua et supra ad vento", art. cit., p. 148.
  • 33 Cf. Montesano, Classical Culture and Witchcraft, op. cit., p. 173 : « Where Bernardino, who had a classical education, modelled his image of the witch on the Latin tradition of Petronius and Apuleius, with their vivid descriptions of striges, the transposition of the literary topos in the trial of Matteuccia led to a different set of assertions : that witches are not just maleficae cheated by the devil, but are really able to do what they are accused of ».
  • 34 D’ailleurs, la métamorphose des êtres humains est réputée comme impossible dans le procès de Claude Bochet (1479) : « on lui demanda s’ils pouvaient entrer par une certaine petite ouverture, il dit que non, car ils ne pouvaient pas réduire leur corps ni leurs os » (Maier, Trente ans avec le diable, op. cit., p. 191).
  • 35 Torrey, Parasites, Pussycats and Psychosi, op. cit., p. 35.
  • 36 Cf. Frenschkowski, Die Hexen, op. cit., p. 133.
  • 37 Henricus Institoris, Jacobus Sprenger, Le Marteau des sorcières, éd. et trad. par Amand Danet, Grenoble, J. Million, 1990, p. 324-26 ; pour le texte en langue originale, cf. Id., Malleus maleficarum, 2 vols., éd. Christopher S. Mackay, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, vol. 1, p. 443-44.
  • 38 Ibid.
  • 39 Jean Bodin, La Démonomanie des sorciers, éd. critique préparée par Virginia Krause, Christian Martin et Eric MacPhail, Genève, Droz, 2016 (Travaux d’Humanisme et Renaissance, DLIX), p. 249. L’anecdote du Malleus maleficarum suit ce passage : « Mais les cinq Inquisiteurs qui estoyent experimentez en telles causes, ont laissé par escript qu’il y eut trois Sorcieres pres Strasbourg, qui assaillirent un Laboureur en guise de trois grands chats […] » (ibid.).
  • 40 Les dictionnaires, modernes et d’autrefois, ne donnent pas de définition de ce mot ; Christian Doumergue propose la définition suivante, qui nous convainc : « Sorte de ceinture à laquelle les ménagères pendaient les clés » (cf. Christian Doumergue, La France des chats extraordinaires. 75 histoires de chats (vraiment) pas comme les autres, Paris, Les Éditions de l’Opportun, 2021 [consulté dans le format e-book], « Partie 2. Bourgogne – Franche-Comté. Doubs », n. 3). Peut-être que le mot dérive du moyen français damasquin, qui est une « Etoffe ornée de fils d’or ou d’argent (à la façon des étoffes de Damas) » (Dictionnaire du Moyen Français (DMF), « Damasquin », consulté le 28 mai 2024), et qui, par métonymie, pourrait désigner un sachet ou la ceinture envisagée par C. Doumergue. Ce sens n’est pourtant pas attesté.
  • 41 Henri Boguet, Discours execrable des sorciers, ensemble leur Procez, faits depuis deux ans en çà en divers endroicts de la France, Paris, Denis Binet, 1602, p. 114.          
  • 42 Pierre de L’Ancre, Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons, édition de 1613 établie et annotée par Jean Céard, Genève, Droz, 2022, p. 189 (livre II, discours IV, « Description du Sabbat. Du poison qui se fait en iceluy. Et quelques depositions notables de certaines Sorcieres fors suffisantes ») et 302 (l. IV, d. I, « De la Transformation des Sorciers »).
  • 43 Ibid., p. 133 (l. II, d. I, « Quand se faict le Sabbat, et en quelle forme le Diable s’y represente ») et 158 (l. II, d. II, « Du transport des sorciers au sabbat »).
  • 44 Ibid., p. 302-3 (l. IV, d. I).
  • 45 Ibid., p. 305 (l. IV, d. I).
  • 46 Zanone, « De l’attente du jugement divin aux bûchers », art. cit., p. 70.
  • 47 La caractéristique la plus constante du chat au Moyen Âge est probablement son lien avec la souris, tellement important que Tibert le chat, l’un des protagonistes du Roman de Renart, se perd pour en chasser, les proverbes le mentionnent assez souvent et les encyclopédistes ont créé des mots qui le résument : murilegus, musio, comme pour dire bête-souricière. Même dans l’iconographie concernant le chat, celui-ci est souvent représenté avec une ou plusieurs souris : la plupart du temps il tient sa proie entre ses deux pattes, dans une attitude qui évoque le jeu du félin avec sa proie. Pour ce qui concerne le chat comme animal domestique, cf. Kathleen Walker-Meikle, Chats du Moyen Âge, traduit de l’anglais par Laurent Bury, Paris, Les Belles Lettres, 2015 (2ème tirage ; 2013), par exemple p. 3, 67-68 et 72.
  • 48 Institoris, Sprenger, Malleus maleficarum, op. cit., p. 445. Traduction dans Id., Le Marteau des sorcières, op. cit., p. 326 : « D’ailleurs usant ici du chat animal perfide, ils emploient un signe bien approprié ».
  • 49 « Aber swie maniger leie namen sie haben, so heizent sie überal ketzer. Unde daz tet unser herre âne sache niht, daz er sie ketzer hiez. Nû war umbe hiez er sie niht htinder oder miuser oder vogeler oder swîner oder geizer ? Er hiez in einen ketzer. Daz tet er dar umbe, daz er sich gar wol heimelichen gemachen kan, swâ man in niht wol erkennet, als ouch diu katze: diu kan sich gar wol ouch zuolieben unde heimlichen » (Berthold von Regensburg, Vollständige Ausgabe seiner Predigten, mit Anmerkungen und Wörterbuch von Franz Pfeiffer, vol. 1, Wien, Wilhelm Braumüller, 1862, p. 402) ; « Unde dâ von sô heizet der ketzer ein ketzer, daz er deheinem kunder sô wol glîchet mit sîner wîse sam der katzen. Sô gêt er alse geistlichen zuo den liuten unde redet alse süeze rede des êrsten unde kan sich alse wol zuo getuon, rehte alse diu katze tuot, unde hât den menschen dar nâch sô schiere verunreinet an dem lîbe. Alsô tuot der ketzer : er seit dir vor alle süeze rede von gote unde von den engeln, daz dû des tûsent eide wol swüerest, er wære ein engel. […] Unde dâ von heizet er ein ketzer, daz sîn heimelicheit als schedelich ist als einer katzen, und alse vil schedelîcher. Diu katze verunreinet dir den lîp : sô verunreinet iu der ketzer sôle unde lîp » (ibid., p. 403).
  • 50 « Sô gêt sie hin unde lecket eine kroten swâ sie die vindet under einem zûne oder swâ sie sie vindet, unz daz diu krote bluotet : so wirt diu katze von dem eiter indurstic, unde swâ sie danne zuo dem wazzer kumt daz die liute ezzen oder trinken suln, daz trinket sie unde unreinet die liute alsô, daz etelîchem menschen dâ von widervert, daz ez ein halbcz jâr siechet oder ein ganzez oder unze an sînen tôt oder den tôt dâ von gâhens nimt » (ibid., p. 402). Cf. Kathrin Utz Tremp, Von der Häresie zur Hexerei. „Wirkliche“ und imaginären Sekten im Spätmittelalter, Hannover, Hahnsche Buchhandlung, 2008, p. 332-33.
  • 51 Pour les proverbes, cf. Thesaurus proverbiorum medii aevi = Lexicon der Sprichwörter des romanisch-germanischen Mittelalters, 13 vols., Samuel Singer, Werner Ziltener, Christian Hostettler, Schweizerische Akademie der Geistes- und Sozialwissenschaften. Kuratorium Singer (éd.), Berlin, de Gruyter 1995-2002, vol. 6, p. 441-465. Pour la littérature, il suffit de penser à la représentation et au rôle de Tibert le chat dans le Roman de Renart : souvent, le félin y est représenté comme l’antagoniste par excellence du renard, l’animal le plus rusé en absolu, devenant son digne rival, parmi les seuls capables de le battre parfois dans son jeu de la tromperie.
  • 52 Jacques-Lefèvre, Histoire de la sorcellerie démoniaque, op. cit., p. 138. Cf. aussi Richard Trachsler, « Johann Weyer und die Anfänge des psychiatrischen Werwolfs. Betrachtungen zum De praestigiis daemonum (1563) und seinen französischen Übersetzungen », in Transfert des Savoirs au Moyen Âge/Wissenstransfer im Mittelalter, éd. par Stephen Dörr et Raymund Wilhelm, Heidelberg, Winter, 2008, p. 207-32.
  • 53 Jean Wier, Cinq livres de l’imposture et tromperie des diables, des enchantements et sorcelleries. De Praestigiis daemonum. Traduit du latin par Jacques Grévin (1569), édition critique et introduction par Serge Margel, Grenoble, Jérôme Million, 2021, p. 402-3.
  • 54 Ibid., p. 406.
 

RSDA 1-2024

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